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Les démarches des réseaux d’échanges réciproques des savoirs (RERS) créés par Claire Heber Suffrin sont nées, il y a plus de 40 ans, dans le cadre scolaire, puis autour de l’école et dans la ville.
Elles se sont développées depuis en France et dans d’autres pays, dans le champ de la vie sociale et citoyenne, dans le champ scolaire (à l’école, à l’université, dans la formation des enseignants) et même, depuis 6 ans, en entreprise. Depuis 1985, les réseaux se sont organisés en réseaux de réseaux pour constituer une association, le MRERS devenu FORESCO (Formations réciproques –Echanges de savoirs – Créations collectives).
 
C’est un mouvement pédagogique qui a bien peu la faveur des médias, qui est souvent ignoré du monde enseignant et donc des communautés éducatives, qui est encore sous-estimé par les autres mouvements pédagogiques et par les institutions. Il est pourtant d’une richesse et d’une efficacité qui surprennent ceux qui le découvrent.
 
Sa philosophie, son bilan, ses actions en cours et ses projets sont inscrits depuis l’origine dans la perspective d’une conception ouverte, globale, moderne, démocratique, profondément humaniste. Pour les animateurs des RERS, tout humain possède des savoirs et peut les partager. Tout être humain, enfant, jeune ou adulte a la capacité d’apprendre et de partager. La reconnaissance de ces savoirs est une forme de respect de l’autre, une condition pour progresser et s’épanouir, et même pour réussir à l’école. On sait que l’ignorance voire le mépris des savoirs des enfants considérés comme des tables rases, est un facteur important de la perte de l’estime de soi et de l’échec scolaire.
 
Les RERS, là où ils existent, leur philosophie et leurs démarches là où ils n’existent pas encore, pourraient très logiquement trouver une place importante dans la refondation de l’école.
 
Au niveau des activités périscolaires, ils pourraient, avec les mouvements d’éducation populaire, permettre d’éviter un des grands dangers qui menacent la refondation : la professionnalisation de tous les intervenants extérieurs à l’école au nom de garanties de sérieux et de sécurité. On basculerait alors vers une culture de services avec des risques renforcés de cloisonnements, de juxtaposition sans mobilisation collective sur des finalités concrètement partagées par tous, satisfaisantes au premier regard avec des usines à cases bien remplies, mais fort éloignées de la définition de « refondation ». Le grand père passionné de jardinage, par exemple, qui n’a pas le BAFA et qui est bénévole peut apporter beaucoup aux élèves, et réciproquement, les élèves peuvent l’initier au numérique, dans le cadre d’organisations moins rigides que celles qui sont actuellement mises en œuvre. L’ouverture de l’école sur le quartier ou le village prendrait alors tout son sens avec la notion de globalité du projet éducatif.
 
Au niveau du fonctionnement du système, les RERS pourraient être un moteur pour réduire la culture de la verticalité, imposée par la pyramide Education Nationale qui semble décidément inébranlable au-delà des alternances politiques, et pourraient développer davantage d’horizontalité entre les élèves eux-mêmes, entre les enseignants eux-mêmes, entre les enseignants et les parents qui ne seraient plus considérés comme des répétiteurs ou des sous-enseignants, mais comme des citoyens porteurs de savoirs, entre l’école et les mouvements d’éducation populaire qui ne seraient pas considérés comme des prestataires de services mais comme des porteurs d’un projet éducatif réellement partagé. Il est vrai que ce serait plus compliqué que de remplir des cases et de rémunérer tous les intervenants dûment diplômés…
 
Au niveau de l’ambition du projet gouvernemental, une implication forte des RERS et des mouvements d’éducation populaire serait de nature à donner du souffle à la refondation, un esprit, une volonté partagée par la population, plutôt que de la laisser sombrer dans la gestion et l’administration, la seule satisfaction de voir les cases de l’emploi du temps remplies, et finalement, de se complaire dans le règne de l’apparence.
 
Les apparences sont souvent trompeuses. A force de ne scruter que les tableaux et les rapports officiels des chefs qui disent toujours que c’est bien, aujourd’hui comme hier, on oublie l’humain, le réel, l’enfant, l’adulte, ses émotions, son plaisir d’apprendre et d’être reconnu comme une personne et non comme un sujet ou une croix dans une case. C’est terrible comme malgré les alternances, on retrouve cette permanence, voir cette aggravation du technicisme, de la domination de la gestion et de l’administratif.
 
Les RERS, comme l’action des mouvements d’éducation populaire, pourraient être un des meilleurs atouts pour la refondation. Encore faut-il qu’ils aient le temps, les moyens nécessaires pour prendre toute leur place et que l’on fasse confiance aux acteurs du terrain, professionnels ou volontaires bénévoles.
 
Il s’agirait peut-être de faire du projet éducatif l’amorce d’un projet de société.
 
Nous ne sommes pas sur cette voie.
 
Pas encore ?
Dernière modification le jeudi, 13 novembre 2014
Frackowiak Pierre

Inspecteur honoraire de l’Education nationale. Vice-président de la Ligue de l’Enseignement 62. Co-auteur avec Philippe Meirieu de "L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société ?". Editions de l’Aube. 2008. Réédition en format de poche, 2009. Auteur de "Pour une école du futur. Du neuf et du courage." Préface de Philippe Meirieu. La Chronique Sociale. 2009. Auteur de "La place de l’élève à l’école". La Chronique Sociale. Lyon. Auteur de tribunes, analyses, sur les sites educavox, meirieu.com. Prochainement, une BD avec les dessins de J.Risso :"L"école, en rire, en pleurer, en rêver". Préface de A. Giordan. Postface de Ph. Meirieu. Chronique Sociale. 2012.