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De nombreuses personnes s’accordent à dire qu’il faut enseigner le code à l’école (j’en ai déjà parlé ici), mais certains vont jusqu’à prétendre qu’il faudrait enseigner le PHP dès l’école primaire :

 

Le pire est que l’incongruité d’une telle proposition ne choque pas plus de gens que ça (ou pas assez pour que plus jamais personne ne dise un truc pareil), et qu’il ne vient pas à l’esprit de ceux qui l’affirment qu’on ne saurait coder sans savoir un minimum d’orthographe qui plus est dans une langue qui n’est pas la nôtre ni sans un minimum de bagage informatique.

Mais il y a pire. On voit bien que ce souci de déterminer ce qui doit être transmis à l’école ne s’accompagne d’aucune réflexion sur les valeurs à transmettre, d’aucune signification autre qu’économique. Je crois comprendre qu’on veut des générations de codeurs parce qu’on trouve sexyl’image du hackeur ou du développeur et que si en plus celui-ci a un côté californien fortuné, ça n’en est que meilleur pour la France et nos égos.

Mais c’est précisément de cette image et surtout de cette école dont je ne veux pas. Comprenez-moi bien : j’appelle le numérique de toute mon âme, mais je refuse de céder à une vulgate complètement irréaliste. J’ai beau le crier sur tous les toits, ça ne sert à rien (il faut dire que mon audience n’est pas bien large). Mais surtout il m’apparaît qu’il faut absolument que je définisse ce qu’est pour moi le numérique à l’école. J’avais déjà fait un modeste galop d’essai.

Je reprends ici avec dix propositions qui fondent ma conception de l’école numérique.

L’élève est un écrivain

Le numérique, c’est le retour à la case Gutenberg. Nos enfants se doivent donc d’écrire et d’écrire beaucoup dans des situations très diverses : ils tweetent, mettent à jour leur statut, ils bloguent, ils ont peut-être un journal (quelle merveilleuse application que Day One), ils notent (avec EvernoteOneNoteKeep, etc.), ils rédigent pour l’école (sur leurs copies numériques), ils font des livres eux-mêmes avec un simple traitement de texte (et l’extension idoine) ou une app comme Bookcreator, ils participent à une encyclopédie libre et gratuite, ils m’écrivent à moi, leur professeur (via le mail, le chat, l’ENT…), etc.

contes

Jamais un enfant n’a eu autant besoin de maîtriser les codes de l’écrit, de la typographie et de l’orthographe. Il doit avoir du style (au double sens du terme : il use les styles de son traitement de texte et possède une belle plume). Aussi doit-il savoir utiliser dictionnaires numériques et logiciels d’aide à la rédaction. Antidote est l’application rêvée pour cette maîtrise du langage. On sait qu’une simple faute d’orthographe dans un tweet peut vous faire devenir la risée du pays tout entier. Quelques personnalités politiques l’ont récemment expérimenté.

L’élève est polyglotte

Depuis cette année, Antidote nous aide à mieux écrire non seulement en français mais en anglais. Or j’ai coutume de dire à mes élèves que se couper de l’anglais, c’est se couper d’une partie considérable du web, cette invention et (quasi) propriété américaine. Il existe tant d’informations disponibles en anglais et uniquement en anglais ! Et il existe de si belles applications pour l’apprendre que ce serait un crime de s’en passer. En voici deux : Babbel et English Central. Mais on peut aussi évoquer Pilipop ou Duolingo, non limités à l’anglais.

Clavier

Mais comme la Chine est le nouveau territoire de jeu des entrepreneurs, je suppose qu’il est temps de proposer l’apprentissage de cette langue. Sur votre clavier virtuel, vous avez déjà le clavier (les claviers) nécessaire(s). Quelle que soit la langue que vous choisirez, pourquoi ne pas utiliser Skype in the classroom ? Vous pouvez même jouer au Mystery Skype et trouver une classe dans le monde entier.

Mystery Skype

L’élève est un grand lecteur

J’ai récemment écrit un article sur le sujet, Qu’est-ce que lire au XXIe siècle ?

C’est un enjeu majeur tant il est vrai que l’accès au savoir est conditionné par cette compétence. Mais surtout on lit partout, tout le temps. Les fichiers numériques (le PDF, le doc, l’odt, le html, l’ePub…) sont commencés ici et terminés là. L’acte de lire s’est même complexifié. C’est devenu presque un art à part entière que de savoir user de toutes les fonctionnalités liées au livre numérique : dictionnaire intégré, possibilité d’annoter, d’affiner sa recherche, etc.

Mais il n’y a pas que le livre : lire sur le web est une pratique quasi inconnue de nos élèves.

Combien savent ce qu’est un agrégateur de contenus ? Ce qu’est un fichier XML ? Un flux RSS ? Qui connaît Instapaper ou Pocket ? Combien savent garder, ordonner, retrouver les notes de leur lecture ? Combien savent les partager ?

L’élève est un être sociable

Le numérique est une invitation à la promiscuité, au vivre ensemble (comme on dit si mal), à la sociabilisation.

L’élève partage et en tire grand bénéfice. S’il lit (même un tweet), il le partage. Il écrit tout un livre ? Il le diffuse sur Wattpad. Il développe des connaissances ? Il les offre au regard d’autrui. Il les publie, par exemple sur Vikidia, et comprend que l’écriture peut-être collaborative. Il l’a découvert sur un Pad, il approfondit cette compétence en écrivant pour et avec autrui.

D’ailleurs mon élève ne travaille plus jamais seul. Le numérique n’est pas une invitation à se replier sur soi et sa machine. Il travaille avec les autres. Il apprend à déléguer, à s’organiser, à faire confiance aux autres, à responsabiliser le réfractaire, à demander de l’aide aux autres.

élèves travaillant ensemble

L’élève va vers l’autre. Il participe à différents projets que seul le numérique a rendu possibles : il crée une web radio, une web TV, des podcasts, etc. Il interviewe des enseignants, des sportifs, des artistes et mobilise de nombreuses compétences pour arriver à ses fins. Il sait enregistrer, travailler le son, utiliser des bruitages et agrémenter son travail d’une musique. C’est précisément ce que nous faisons aussi avec les audiobooks. C’est un bel exemple de travail collaboratif. Je vous en reparlerai.

L’élève communique

Il est sur les réseaux sociaux et sait que sa parole l’engage.

Il diffuse tous azimuts et connaît les moyens de le faire. De ce point de vue, il sait donc écrire et en sait suffisamment pour créer son propre blogue. Mais il sait aussi user de tous les moyens que l’on connaît : les QR-Codes, la réalité augmentée n’ont rien pour lui d’inédit.

Son quotidien en est envahi et, comme chez Marie Soulié, les murs de sa classe parlent. L’information est partout et il contribue à la transmettre.

La Twictée est à ce propos un enjeu intéressant. On fait d’une pierre deux coups en enseignant aux enfants l’orthographe tout en les enjoignant à partager ce travail, à aider les autres et à prendre confiance en eux. Ils ont ainsi franchi des frontières, au sein même de leur propre classe, puisque l’on communique avec d’autres classes aux quatre coins du globe.

L’utilisation d’Edmodo donne un souffle nouveau aux bonnes vieilles correspondances et les échanges d’un continent à l’autre sont devenus monnaie courante. L’univers de mon élève n’est plus la classe, c’est la planète tout entière. Avec sa photo de profil (sa PP comme on dit), il se présente par delà les mers.

Mais il ne communique pas seulement, il transmet comme les élèves de @Jul_Dum ses connaissances aux élèves de primaire :

Nos élèves réinvestissent l’expérience de décantation et de filtrage de l’eau qui est au programme de 5e. Ils se mettent par groupes, refont l’expérience vue en classe avec leur professeur (c’est au programme de 5e) et prennent de nombreuses photos. Ils les trient ensuite, les annotent, et réalisent un tutoriel avec l’application BookCreator (1 tutoriel par groupe).
Le tutoriel finalisé, ils établissent collectivement une grille d’évaluation et reprennent si besoin leur tutoriel en fonction de celle-ci. Les élèves de primaire viennent ensuite au collège (c’est prévu pour après les vacances) pour réaliser l’expérience eux-mêmes. Ils sont répartis par groupe et ont pour seule aide l’un des tutos de nos 5e. Ils doivent refaire l’expérience étape par étape et de préférence la réussir. Les auteurs du tutoriel qu’ils ont en main les suivent à distance pendant ce temps et constatent ou non les failles de leur travail : les primaires arrivent-ils à bien sélectionner/utiliser le matériel ? ont-ils bien toutes les étapes ?

filtration

L’élève manipule l’image

L’élève a acquis une compétence en la matière qui force l’étonnement.

Via Instagram ou Snapchat, il cadre et applique des filtres autrefois réservés à quelques happy few (souvenez-vous de la déclaration du fondateur d’Instagram : « All Instagram did was take the creative tools that the pros have been using and put them in the hands of the masses », cité par Clive Thompson in Smarter than you think). Il sait souligner les détails et enregistrer la frêle beauté d’un moment.

 

Il sait produire un bon mash-up capable de susciter le rire sur des questions d’actualité.

Il use à foison des gifs animés qui sont devenus également un moyen de communication (beaucoup plus difficiles à filtrer que les textes, rappelle également l’auteur de Smarter than you think, raison pour laquelle ils sont si utilisés dans certains pays comme la Chine).

Ces quelques exemples sont même des invitations à repenser notre rapport à l’élève ou à notre pédagogie… L’élève produit ses propres tutoriels sur YouTube (voir ces vidéos sur l’utilisation de Scratch ou encore le travail des élèves de Naïma Horchani Carton). Il sait ce qu’est un logiciel de montage vidéo et connaît différents formats (et pas seulement du .wma ou de l’.avi). Mais pour faire de la vidéo, combien il est important de persuader ces jeunes élèves qu’il faut accepter sa voix et son corps, qu’il faut accepter de se mettre en avant, face à une caméra. Que de compétences sont ainsi à créer ! Rien que pour faire une vidéo en classe, il faut acquérir les connaissances, organiser ses idées, écrire le script, (se) filmer, monter le film puis diffuser et partager.

 

 

 

J’ajouterai que le numérique permet de montrer des élèves osant se mettre en scène le temps d’une vidéo, de façon isolée et qui n’auraient jamais osé le faire face à toute une classe. Un enseignant à Londres me montrait récemment de jeunes et timides élèves acceptant de chanter face à la caméra. L’an dernier, je découvrais combien ces élèves étaient talentueuses :


De la même façon, j’aimerais mettre en place ce travail : à la fin de l’année, chaque élève de ma classe devra faire un talk. En public, il présentera le sujet de son choix, en s’appuyant sur un diaporama (type PowerPoint) pour évoquer le sujet de son choix. Merci @Ipenou pour cette idée !

L’élève est conscient des enjeux liés au droit

Mon élève sait qu’il a une responsabilité, une responsabilité d’autant plus grande qu’il est conscient des abus liés au droit d’auteur.

Mais de la même façon qu’il partage, il est sensible à la culture du libre, des notions de standard, d’honnêteté et de propriété intellectuelle. Si celle-ci est inaliénable, il est conscient qu’un enjeu plus vaste le dépasse et contribue à l’enrichissement du bien commun. Il sait donc ce que signifient les Creative Commons et sait utiliser le travail des autres sans se livrer à un pillage que d’aucuns ne manqueraient pas de lui reprocher. Mon élève sait que ce qu’il écrit sur Vikidia est lu, et remarqué, commenté et supprimé s’il contrevient aux règles. Il sait que le plagiat est une bien vilaine chose.

L’élève est un chercheur

Mon élève est un infatigable chercheur et il connaît les techniques liées à une bonne et efficace recherche.

Il sait utiliser non pas un mais plusieurs moteurs de recherche et affiner sa recherche en recourant à tous les outils mis à sa disposition (que ce soit en sélectionnant telle ou telle option mais aussi en recourant à quelques éléments comme des opérateurs booléens).

Il sait aussi remonter à la source d’une info, d’une image et ne s’en laisse pas compter par toutes les rumeurs.

Il ne me regarde pas comme si j’étais Dieu lorsque je lui indique ce qu’on peut faire et surtout trouver d’un simple crtl + f. À ce propos, il sait taper sur un clavier. À lui les joies de la dactylographie. Il est hors de question de le voir continuer à taper à deux doigts (grand maximum).

Et, comme un vrai codeur, il a les mains rivées sur le clavier, usant de tous les raccourcis possibles et imaginables.

L’élève code (un peu)

Cet apprentissage du code est passionnant, mais je suis persuadé qu’un usage précoce serait contreproductif, en tout cas au primaire voire au collège.

Bon, si vous faites une fixation sur Scratch, je ne peux plus rien pour vous, mais si vous voulez bien comprendre qu’un élève n’a aucune idée qu’un logiciel peut être autre chose que WYSIWYG, vous comprendrez que l’urgence n’est pas à la notion de variable ni même de programmation. Encore qu’on pourrait envisager une sélection précoce des enfants : les littéraires d’un côté, les scientifiques de l’autre, mais ce n’est pas ce qu’on veut. On veut des scientifiques qui ont des idées, des scientifiques littéraires en somme, des ingénieurs sachant s’exprimer et développer des projets.

À cet effet, je crois que le plus urgent est que les élèves voient ce qu’il y a derrière le rideau (the man behind the curtains). La syntaxe wiki me semble une excellente initiation et on peut embrayer sur le Markdown puis le HTML. À partir de là, la voie est ouverte. Même le CSS intègre désormais des variables, mais je reste persuadé que cet usage doit se développer au lycée.

L’élève fait usage de la machine

Mais avant même que l’enfant devienne un petit codeur, il lui faut un minimum de connaissances.

De la même façon qu’on a conçu le socle commun censé représenter (à la fin de la scolarité) le minimum obligatoire, il faudrait concevoir un bagage informatique nécessaire.

Pour commencer, je suis toujours surpris de constater que, année après année, les élèves confondent toujours navigateur et moteur de recherche. Ils ne savent pas ce qu’est un client mail, n’ont jamais entendu parler de système de fichiers, ignorent probablement ce qu’est un OS (a fortiori souverain) ; URL, DNS sont des acronymes abscons, etc. Mais reconnaissons qu’ils le sauraient s’ils manipulaient tout cela un peu plus souvent.

Pour l’heure, j’ai vu beaucoup d’élèves incapables d’enregistrer un fichier, incapables de le retrouver, incapables de le transmettre… Entendons-nous bien. Je ne les accuse pas d’une nullité déplorable. Je constate simplement que certains élèves ont développé des connaissances très spécifiques (par exemple, jouer aux script kiddies), mais ont une connaissance très vague de principes de base. Ce sont des autodidactes à l’école !

Finalement, ce dont ils ont besoin, c’est d’une pratique régulière de l’ordinateur (ou de la tablette ou du smartphone). Cette pratique, non pas pour elle-même, mais pour produire l’un ou l’autre contenu signalé ci-dessus dans cet article.

Quoi qu’il en soit, vous l’aurez compris, mon élève initié au numérique est un humaniste : faire preuve de jugement, savoir s’exprimer à l’aide de différents médias, défendre des idées de partage, participer au développement de projets communs, devenir altruiste… Voilà les objectifs que je propose.

Parce qu’ " Il y a de l’humain derrière l’algorithme ", explique Jean-Baptiste Casaux à propos de l’application Citymapper, il est important que l’école formule ses priorités. Il ne saurait être question de coder pour coder. L’algorithme peut bien attendre. Si l’on met celui-ci au centre de l’apprentissage, l’humain s’en désintéressera. Pourquoi voulez-vous que l’algorithme intéresse davantage des enfants que la SVT ou la 3e république ?

Avouez que tout cela est un peu plus excitant que de faire bouger une tortue en Logo (poke @Phitassel). Ne recommençons pas les mêmes erreurs…

16 février 2016 by  Yann Houry

Dernière modification le samedi, 13 mai 2017