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Publié par Digital Society Forum, projet initié par Orange, en partenariat avec Psychologies Magazine et la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération)
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Depuis les années 60, le double processus d’émancipation de la femme et d’individualisation a contribué à l’émergence de nouveaux codes relationnels familiaux. Comme le souligne François de Singly, l’objectif de « famille heureuse » a progressivement laissé place à celui « d’individus heureux » au sein du collectif familial. La famille est devenue un lieu de développement de personnalités toutes singulières, qui ont acquis dans notre société le droit à leur autonomie.

Ce renversement a entraîné en particulier le passage de l’autorité patriarcale au partage de l’autorité parentale et le développement des relations choisies et électives entre tous les membres du foyer.
À partir des années 90, la multiplication de terminaux personnels connectés toujours plus nomades au sein du foyer, est venue accompagner cette tendance. Chacun ou presque possède désormais un outil multifonctionnel pour ses communications interpersonnelles comme pour des usages professionnels, scolaires, domestiques ou de pur divertissement. Cette « multifonctionnalité » des outils introduit un changement dans la vie familiale : elle rend encore plus opaque la manière dont chacun occupe son temps à l’intérieur du foyer.
La conjugaison de l’individualisation des outils et leur multifonctionnalité entraîne le paradoxe suivant : au sein du foyer, la vie personnelle des différents membres de la famille devient très visible, mais de manière opaque. Au risque de questionner l’équilibre entre le développement de la vie privée personnelle et le développement de la vie privée familiale.

Nouveaux outils, nouvelles tensions

S’ils favorisent l’autonomie et les choix électifs, ces nouveaux outils suscitent de nombreuses tensions autour des enjeux de surveillance, notamment des parents vers les enfants. La famille nucléaire est la première concernée. Au « t’es où ? » a succédé le « tu fais quoi là » ? Les couples sont également concernés, parfois même les enfants envers leurs parents. L’exemple est frappant dans les foyers monoparentaux où les parents devant garder seul leur(s) enfant(s), sortent moins et surfent depuis le foyer en tentant de rester discrets sur leur vie personnelle. Et si l’existence d’un fossé générationnel avec des enfants qui maîtrisent mieux les outils numériques – sans pour autant détenir le recul adéquat – crée des incompréhensions et appelle de nouvelles formes d’échanges, l’évolution du « faire ensemble » est également questionnée. Plus électif, il renforce sans doute moins l’unité familiale globale mais favorise de nouveaux liens, plus choisis. En effet, les outils permettent désormais de partager autrement, offrant une forme de souplesse inédite et laissant davantage de place aux conversations et aux échanges de contenus.
 

Avec à la clé une dynamisation des réseaux familiaux et du vivre ensemble à distance, la progression des usages dédiés à la vie domestique et familiale hors du domicile – au travail ou ailleurs – est le signe que les outils servent en effet aussi au renforcement de la vie familiale. Les liens familiaux sont maintenus sur les lieux de travail, en situation de mobilité (professionnelle ou scolaire) et même à l’école. Cette continuité relationnelle constitue parfois un fil à la patte, notamment pour les adolescents qui doivent construire leur autonomie. Enfin, pour la plupart des Français, vivre sa vie de famille avec les outils numériques, c’est entretenir davantage les liens : être au contact des membres de la famille qui ne vivent pas ou plus au domicile, des enfants devenus grands, des petits-enfants, des enfants mineurs dont on n’a pas la garde, des nièces ou des neveux pour les célibataires sans enfants, des conjoints ou compagnons avec lesquels on n’habite pas, etc.

De la protection à la projection

Les tensions autour des enjeux de surveillance des usages du numérique dans la famille (notamment des parents vers les enfants) font qu’on aborde souvent les relations familiales augmentées par le numérique sous l’angle de la protection : maîtriser ce qui est téléchargé, savoir ce à quoi chacun accède, joue, écoute, partage... ce qu’il fait, où il est. On observe ou on valorise plus difficilement combien ces pratiques numériques, ces nouvelles formes de partage, permettent d’agir, de se projeter, collectivement comme individuellement. La baisse du temps de partage au cœur-même de l’espace domestique (chacun devant son écran plutôt que tous devant le grand écran), ne signifie pas qu’il y ait moins de partage au sein des foyers, mais que celui-ci se recompose, de manière plus élective et sélective. D’autant plus que la désynchronisation des temps sociaux (c’est-à-dire les tensions existantes entre les activités parentales et celles des enfants, les activités professionnelles et sociales décalées et les contraintes qu’elles font peser sur les modalités d’organisation interne à la famille) renforce ce sentiment d’éclatement.

Les travaux des sociologues montrent que la manipulation des outils et des contenus numériques cristallise les tensions ou les complicités au sein d’un foyer, mais qu’elle n’en est pas le déclencheur. Ces outils sont utilisés pour s’émanciper de la vie familiale autant que pour la construire et la vivre. Il est temps de reconnaître le rôle de la projection de soi dans les pratiques numériques familiales et mieux regarder ce qu’elles bâtissent.


François de Singly interviewé par Anne-Sylvie Pharabod, sur les nouvelles technologies dans la vie familiale

Partie 1


 

Partie 2


 

Partie 3


 

Partie 4




rédacteur : Hubert Guillaud
rédacteur : Anne-Sylvie Pharabod
rédacteur : Thierry Taboy

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Dernière modification le mardi, 18 novembre 2014
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