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La communication politique a des motivations et des moyens qui laissent parfois pantois. Déjà, sur le tout récent événement Éducatice — bon sang ! quand va-t-on supprimer cette appellation datée et devenue stupide ? —, on évoquait sans honte le « coding » sur une table ronde organisée par un média scolaire et l’abscons « usages » était mis à toutes les sauces, dès qu’il s’agissait de choses qu’on ne comprenait pas.

Quelques exemples tirés du programme officiel pour la seule première journée : « une politique réussie de développement massif des usages partout en France », « la généralisation des usages numériques », « pédagogie inversée et nouveaux usages », « retours d’expériences sur les usages », « constat actuel des usages d’Internet ». La majorité de ceux qui participaient aux tables rondes en question, des cadres mâles pour la plupart d’entre eux, seraient bien incapables de dire ce que signifient précisément ces usages. Des pratiques professionnelles ? Des modalités d’enseignement, de formation ? Des statistiques ? Des engagements ? Des apprentissages transversaux, disciplinaires ? Nul ne sait…

Fort heureusement, le sens le plus courant paraît être celui de pratique professionnelle. Dans cette hypothèse, pourquoi n’utilise-t-on pas ce mot ? A-t-on peur de dire ou d’écrire que les professeurs sont à la fois des praticiens et des professionnels de l’éducation ? Préfère-t-on les réduire, à l’image des autres acteurs, élèves et parents, au simple rôle d’usagers et de consommateurs ? Il est comme ça des mots qui finissent par prendre racine dans la langue de bois officielle et qui finissent par faire consensus par la seule vacuité du sens qu’on s’accorde à leur donner trop souvent…

Il en est d’autres encore qui font florès. On peut évoquer le fameux « essaimage » dont il convient de redouter, je l’ai déjà dit (1) à propos de sa redondance dans le discours institutionnel, qu’il ne serve, une fois de plus, qu’à procrastiner.

Déployer le numérique à l’école

C’est le plus récent, le plus « hype ». Si on vous demande ce que vous faites, dites que vous déployez, ça n’engage à rien.

Le ministère, convaincu de l’importance du projet et quelque peu alerté — oh ! pas dans tous ses services ! — quant aux enjeux, a ouvert un site web ad hocappelé ecolenumerique.education.gouv.frqui reprend la communication en cours, de fort belle facture à mon avis, qui prétend que « L’école change avec le numérique », slogan auquel j’adhère pleinement. Ainsi on entend bien dans ce discours que ce dernier est, plus qu’un outil, un nouveau modèle qui s’applique aussi à l’école et peut constituer, pour elle, un fort levier pour son changement.

La ministre en titre disait récemment, à Londres, à propos du numérique :

« Je l’ai dit, il n’est pas dans l’habitude de la France de passer à côté des révolutions. Aussi, vous pouvez être assurés que nous ne raterons pas celle-ci. Autrement nous courons un grand risque : celui de voir s’accroître un fossé entre, d’une part, le monde dans lequel vivent nos élèves, et, d’autre part, l’École. »

Ainsi l’école ne craint pas le changement, elle entend tirer profit des mutations induites par le numérique pour changer et mieux être en accord avec le monde qui l’entoure et les jeunes à qui elle est censée enseigner et qu’elle accompagne.

Dans ce contexte, « déployer » pourrait alors signifier faire en sorte qu’il y ait, dans les écoles et établissements de ce pays, toujours plus nombreux, encore plus d’outils et de ressources numériques.

C’est certes intéressant mais cela n’a pas grand chose à voir avec notre propos ! On ne peut pas déployer le numérique, comme on ne peut pas déployer l’air du temps ou le frémissement du printemps. Les entreprises ne déploient pas le numérique, elles se transforment avec lui. Nul besoin de déployer quoi que ce soit, le numérique est là, à l’école, dans la culture des élèves et donc dans leur poche (2), autant que partout ailleurs. Dire qu’on veut déployer le numérique, c’est passer à côté du sujet, c’est n’avoir pas compris sa dimension spécifique et les enjeux qui lui sont propres.

Encore une fois, les artisans de ce discours confondent, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire (3), le numérique, paradigme social et culturel, qui modifie au fond la transmission et la construction des savoirs, avec les outils et les ressources du même nom qui n’en sont que des artefacts de moindre importance, même si personne ne doit oublier qu’ils ne sont jamais neutres.

« Qu’on se serve ou pas des outils ou technologies numériques n’a que de faibles conséquences sur la transformation numérique de l’enseignement comme sur celle de l’école en général. »

C’est même la raison principale pour laquelle la question de savoir « si c’est mieux ou pas avec le numérique » n’a pas de sens. Je me répète donc.

Transformer l’école avec le numérique

Vous l’avez compris, au-delà des effets caricaturaux de la communication politique, l’école peut changer avec le numérique si ses acteurs s’engagent et changent, si les professeurs prennent conscience des enjeux relatifs à la transmission, à l’appropriation des connaissances, à l’acquisition de nouvelles compétences, dont une nouvelle citoyenneté numérique, à la mise en œuvre de nouvelles modalités d’apprendre, de s’évaluer et d’être évalué, à l’importance d’une éducation aux médias et à l’information, à l’organisation sociale… bien au-delà de la maîtrise technique des outils et des ressources.

Et si on commençait, pour une fois, par impliquer — j’étais à deux doigts d’écrire « compromettre » — les cadres administratifs et pédagogiques, inspecteurs et chefs d’établissement ? Et si on s’attelait à cette tâche d’abord et sans tarder ? Il serait particulièrement improductif que l’encadrement soit à la remorque des innovations du terrain ! Non ?

Soyez patients, je vous en reparle bientôt.

Michel Guillou @michelguillou

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Crédit photo : via Flickr en licence CC

  1. Attendre l’essaimage des bonnes pratiques numériques, ne serait-ce pas procrastiner un peu ? http://www.culture-numerique.fr/?p=1780
  2. L’école numérique est bien dans la seule poche de ses élèves http://www.culture-numerique.fr/?p=4307
  3. Numérique : quand personne ne parle de la même chose… et c’est éreintant ! http://www.culture-numerique.fr/?p=4665

Article publié sur le site : http://www.culture-numerique.fr/?p=4771
Auteur : Michel Guillou

 

 

Dernière modification le vendredi, 18 mars 2016
Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.