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C’était il y a moins d’un an, fin 2015 à la veille du nouvel an, j’osais faire l’annonce de cinq décisions, pourtant fort raisonnables et que tout le monde attend, dont je savais que le ministère ne piperait mot en 2016.

Eh bien, s’il reste encore quelques petites semaines pour me contredire, je crains bien que notre ministre préférée ne réussira pas le petit challenge que je m’étais permis de lui lancer.

L’obscurantisme a encore de beaux jours devant lui

Faisons le point. J’avais proposé :

  1. L’article L511-5 du Code de l’éducation sera supprimé
  2. Une plateforme nationale de blogues sera mise à disposition des élèves
  3. Une plateforme nationale de dépôt de documents sera proposée aux professeurs pour des échanges pair à pair
  4. Un référentiel d’interopérabilité sera défini et respecté, la loi encouragera à se servir de ressources libres et protégera les biens communs
  5. Une large concertation sera lancée avec les professeurs et leurs syndicats pour refonder leurs missions

Rien de tout cela n’a vu le début d’un commencement de prolégomènes. J’avais cru comprendre, par exemple, que la plateforme Myriaé promue par Canopé, qui vient d’ouvrir et est particulièrement vide pour l’instant, pouvait devenir cette plateforme d’échange de cours, de séquences, de progressions, de documents de toutes sortes produits par les professeurs des écoles, des collèges et des lycées qui auraient eu envie de partager leurs travaux, leurs idées… Pour tous ceux-là, aucun espoir d’y trouver d’autre avantage que le plaisir du partage, de la mise à disposition désintéressée de son travail versé au pot commun… Avec l’espoir aussi du probable enrichissement qu’apporte le flux numérique.

On aurait pu imaginer qu’un opérateur public, avec une mission de service public, non asservi aux seuls intérêts de l’édition privée, puisse se saisir de cette indispensable et noble mission. En vain, semble-t-il, même s’il est peut-être encore trop tôt pour le dire. Mais de toute évidence, on s’oriente en haut lieu vers la mise à disposition verticale de ressources validées, qualifiées par des experts triés sur le volet. Histoire de bien marcher à l’envers de l’histoire !

Pour le reste, c’est le néant vous dis-je. Même si certains, çà ou là, plus ou moins épaulés par une administration discrètement complaisante, prennent des risques avec le BYOD, on est encore très très loin de convaincre nos élus, que la mention même du mot « numérique » perturbe et affole au plus haut point, que cet article du Code de l’éducation est stupide et inique — j’avais d’autres mots plus incisifs en tête mais c’est mon jour de bonté.

Le néant. Les élèves peuvent se débrouiller tout seuls sur des plateformes commerciales bourrées de publicité pour exercer leur liberté à s’exprimer, l’État s’en contrefiche. Comme il se contrefiche des principes d’indépendance, de laïcité et de loyauté en faisant semblant de croire que l’interopérabilité, le logiciel libre et les communs sont des principes à défendre et à promouvoir. Comme enfin, il, l’État, s’avère si peu respectueux de ses personnels qu’il va les laisser se débrouiller avec la surrection (l’insurrection ?) numérique sans se pencher sur l’évolution de leurs services et de leurs missions. Pire, à lire les propositions de certains candidats à la prochaine présidentielle, on se dit que l’obscurantisme a encore de beaux jours devant lui !

Et pourtant cet automne semble bien ensoleillé

La ministre renouvelait, dans un collège du Val-de-Marne, le 13 octobre dernier, son discours sur le Plan numérique, à l’occasion d’une dotation de matériels. Je vous recommande chaudement d’écouter les trois premières minutes de son discours. Impossible de savoir si ces premières paroles sont de sa plume ou de celle d’un de ses conseillers mais, dans ce dernier cas, je recommande qu’on promeuve le quidam au plus vite. Je vous retranscris tout cela ci-dessous :


Plan numérique pour l'Éducation : discours de... par EducationFrance

« En fait, il y a une révolution qui est en cours, cette révolution, c’est celle du numérique. Prendre la mesure de cette révolution, ça suppose de revenir parfois, dans l’histoire qui est la nôtre, à des bouleversements considérables qui se sont déjà produits par le passé. Je pense en particulier à l’invention de l’imprimerie, à la Renaissance.Une invention qui fut à l’époque pour bien des enseignants, pour bien des savants, pour bien des humanistes, une source d’interrogation. Devant la multiplication des ouvrages, quel devait être le rôle des professeurs ? Comment tenir compte de ce changement sans remettre en cause les fondements de leur enseignement ? Comment intégrer cette invention qu’était l’imprimerie  dans leurs pratiques ? Ces interrogations ont parcouru bien des écrits. On connaît ceux, célèbres, d’Érasme, on connaît moins ceux d’un Jean-Louis Vivès, qui déplorait, en 1520, je cite, que la quantité de livres soit désormais si immense que nombre d’étudiants sont pris de terreur et de haine de l’étude quand ils sont confrontés dans chaque discipline à tous ces volumes dont la lecture exige un travail infini. Ce type de réflexion nous paraît sans doute familière, les interrogations de ces humanistes passés font écho à celles de bien des professeurs aujourd’hui devant la situation qui est la nôtre face au numérique. Chacun sent bien que l’école ne peut pas rester à l’écart du numérique mais chacun sait bien aussi que le numérique à l’école, ça ne se résume évidemment pas à brancher un ordinateur dans une salle de classe. L’école, c’est un lieu de connaissances, et si le numérique doit y trouver toute sa place, il doit surtout y trouver un sens… »

Pour ma part, je n’avais jamais entendu un tel discours, aussi éclairé, dans la bouche d’un ministre depuis… Vincent Peillon, première période. Tout est là, tout est dit, des peurs et des fantasmes de l’école aux enjeux auxquels elle et ses enseignants sont désormais confrontés, les défis de la transmission des connaissances et de la construction des savoirs dans un écosystème ou la surinformation règne et où la désinformation menace. Comment est-il possible de s’exprimer ainsi et que puisse se mettre en œuvre un peu partout en France une politique si décalée, si peu ambitieuse ?

Il est absolument nécessaire d’imprimer les quelques lignes ci-dessus et d’en faire lecture et commentaires au Conseil supérieur des programmes, qui a bâclé pour l’essentiel le devoir qu’on lui avait confié, aux recteurs, aux autres cadres administratifs et pédagogiques, aux élus qui répètent un peu partout (sic) que « l’outil numérique est au service de la pédagogie », aux enseignants qui continuent à enseigner comme leurs maîtres l’avaient fait plusieurs décennies auparavant…

Comment tenir un tel discours et retarder davantage les élémentaires réformettes proposées en première partie de ce billet ?

Après l’automne, vient un hiver austère et rigoureux

Car les choses ne sont pas si simples que ça. Il y a ce discours magnifique, ces envolées lucides, d’une part et la réalité de l’action publique d’autre part. En réponse à Xavier Berne, sur Nextinpact, qui l’interroge le 13 octobre dernier sur le Plan numérique, la ministre bafouille, ânonne, récite sa leçon durement apprise. Ses réponses, loin des propos lumineux précédents, sentent bon l’allégeance aux lobbys, l’utilitarisme numérique de circonstance et la langue de bois.

Je vous laisse déguster. Je vous épargne les citations car on tombe de très haut.

Du coup, je renonce à formuler cinq nouveaux défis car, décidément, les cinq déjà nommés me semblent prioritaires. Rendez-vous en décembre 2017.

Michel Guillou @michelguillou

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Photo : certains droits réservés par //www.flickr.com/photos/99173313@N07/">drestwn

« Le numérique éducatif entre ombre et lumière » in Culture numérique, 16 décembre 2016, https://www.culture-numerique.fr/?p=5453

Dernière modification le lundi, 09 janvier 2017
Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.