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A priori, l’usage des TICÉ suscite beaucoup d’intérêt parmi les étudiants adultes, d’autant plus que la clientèle actuelle comprend plusieurs jeunes adultes pour qui les jeux vidéo, Facebook et le clavardage fait partie des activités quotidiennes. En classe L2, ils allument leur tablette graphique ou leur téléphone mobile à la recherche de significations de mots dans une application de dictionnaire ou encore une forme conjuguée d’un verbe dans un conjugateur. 
La quasi-totalité des étudiants s’inscrivent rapidement au groupe Facebook, créé pour le cours, qui tiendra lieu de logiciel au service de la communauté apprenante. Le taux de satisfaction est aussi élevé lors de la réalisation de projets individuels ou de classe. Alors, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, n’est-ce pas ? Pourtant, des doutes subsistent dans mon esprit. C’est ce dont il sera question dans le présent article.Des doutes quant à la valeur des TICÉ
Je note d’abord que le succès de l’aventure TICÉ découle généralement d’une charge de travail anormalement élevée de la part de l’enseignant, ce qui soulève une première question. La satisfaction des étudiants provient-elle d’une certaine reconnaissance à l’endroit du dévouement de l’enseignant, que celui-ci emploie les TICÉ ou non ; ou bel et bien de la « nouvelle » approche mise sur pied ? Est-ce la passion de l’enseignant, bien plus que ses méthodes d’enseignement, qui serait contagieuse ?
De plus, l’enseignant passionné par l’usage des technologies adoptera, sans toujours en avoir conscience, une pratique variée passant des exercices répétitifs, conventionnels bien qu’interactifs, à la tenue de projets d’inspiration socioconstructiviste. Bref, son approche tiendra compte d’une panoplie assez vaste de styles d’apprentissage, comme il l’aurait fait sans l’emploi des technologies. Dans ce cas-ci, l’approche éclectique adoptée aurait-elle plus d’importance que les moyens privilégiés ?
Malgré la bonne participation des étudiants immigrants aux nouvelles méthodes, il en reste pour qui l’approche est moins appréciée. Il s’agit généralement d’étudiants ayant vécu leur scolarité dans un contexte peu enclin à des pratiques pédagogiques ouvertes, et d’étudiants ayant une mauvaise connaissance des outils informatiques. S’il est vrai que l’alphabétisation numérique est indispensable en vue d’optimiser ses chances d’intégration professionnelle, qu’en est-il de l’imposition des TICÉ quand la finalité de la formation repose surtout sur l’apprentissage de la L2 ?
Et sur ce dernier point, il est clair que les environnements technopédagogiques ne diminuent en rien la nécessité des efforts cognitifs pour maitriser les structures propres à une langue, des efforts souvent frustrants, particulièrement pour une clientèle dont la langue maternelle est éloignée de la langue-cible.
L’enseignant qui s’impose une charge de travail colossale peut parfois voir ses efforts accueillis plutôt froidement et en éprouver de la fatigue mentale. En quoi consistent justement ces efforts ?
 
Un changement de rôle et l’exécution de nouvelles tâches
Mon expérience personnelle et l’observation des pratiques éducatives des collègues passionnés par les TICÉ me permettent de constater de grandes différences entre les pratiques pédagogiques profs à orientation TICÉ et les autres.
Les premiers consacreront beaucoup de temps dans la confection de matériel électronique et prendront plusieurs mesures en vue d’améliorer leurs propres compétences techniques. Heureusement ou malheureusement, ils joueront un rôle actif à toutes les étapes de réalisation techniques des projets. Certains iront jusqu’à prendre sur eux la finalisation des productions des étudiants, comme le montage, la mise en ligne et la diffusion des productions multimédia de leurs étudiants.
À ces tâches techniques additionnelles à la pratique courante s’ajoutent des tâches de gestion. Par exemple, des enseignants s’adjoindront les services de quelques techniciens de la classe, en leur assurant un accompagnement relativement intense et en prenant des mesures pour qu’ils puissent avoir accès à toutes les ressources nécessaires dans la réalisation du produit final.
S’il est vrai qu’un enseignant « traditionnel » peut se mériter un excellent niveau de satisfaction de la part de la clientèle étudiante – et c’est tant mieux ! – il me semble alors pertinent de me demander quelle serait la valeur ajoutée des TICÉ pour les étudiants dans une pratique enseignante.
 
La valeur ajoutée de la pratique enseignante avec les TICÉ
De nouveau, je répondrai à cette question en me servant d’abord de l’expérience vécue. Tel que mentionné dans un article antérieur, plusieurs étudiants ont exprimé leur satisfaction du fait que, par le biais de leur cours de L2, ils avaient eu l’opportunité de voir des modèles humains – leurs professeurs – de dépassement de soi, de recherche d’amélioration continue et animés par le dynamisme de la réalisation de projets. À leur sens, cela conférait au cours de L2 une forme d’enseignement fondamental de réussite personnelle et professionnelle.
J’aimerais aussi porter à l’attention du lecteur que des étudiants réfractaires en début de session ont vécu de belles expériences de croissance personnelle et comptent parmi les plus enthousiastes à la fin de leur cours. D’autres ont ressenti comme la perte d’un « privilège » les cours à orientation TICÉ en poursuivant des études en L2 avec des enseignants à orientation plus conventionnelle.
En plus de ces considérations motivationnelles et inspirantes, il me semble opportun de partager les préoccupations de l’UNESCO ayant trait à la question de l’apprentissage tout au long de la vie, et de l’alphabétisation numérique indispensable à la réussite professionnelle, particulièrement à notre époque de mondialisation et de relations interculturelles. Bref, nous avons raison de mettre en œuvre des pratiques éducatives diversifiées, faisant appel au monde numérique. Il convient de l’imposer à des étudiants quelque peu récalcitrants, particulièrement si l’apprentissage de la L2 a comme but l’intégration au monde du travail.
 
Conclusion
Dans cet article, j’ai voulu questionner l’usage des TICÉ en L2 auprès d’adultes immigrants. Il est clair à mon avis que l’apprentissage d’une langue ne dépend pas des outils électroniques, mais bien des efforts personnels des étudiants. De plus, la pratique des TICÉ nécessite beaucoup de temps de la part des enseignants et l’exécution de tâches techniques et de gestion additionnelles. Toutefois, mon expérience me porte à croire que le jeu en vaut la chandelle dans la mesure où l’enseignement offert ne se limite pas à celle des notions de langue, mais en une forme d’expérience de croissance personnelle et la fréquentation d’un modèle dynamique de réussite professionnelle. Dans ce contexte, il convient d’offrir aux enseignants passionnés par les TICÉ des mesures facilitant la mise en œuvre de leurs ambitions pédagogiques, comme moyen de prévention à l’essoufflement : des assistants, des formations d’appoint, du temps…
Luc Renaud, M.A. Sciences de l’éducation (Option technologie éducationnelle)
 
Quelques mots sur l’auteur
 
Luc Renaud est spécialisé en technologie éducationnelle et enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Détenteur d’une maitrise en éducation, il a aussi été chargé de cours à l’Université de Montréal dans le domaine de l’intégration pédagogique des TIC, et a participé à des projets de recherche portant sur la formule hybride et le socioconstructivisme. Il possède également une solide expertise en développement et expérimentation de formations en ligne et s’intéresse vivement à la collaboration internationale.
Mal à l’aise dans le milieu scolaire, il croit à une remise en question continuelle de l’école ; il tient d’ailleurs un blogue, L’éduc-acteur : le blogue de la Boîte à idées E.T.L.R., sur des thèmes variés, qui mettent de l’avant l’importance de l’autoformation. Il est aussi entrepreneur, ayant démarré récemment une entreprise de consultant en technologie éducationnelle, La Boîte à idées E.T.L.R. Ideas Box  : http://laboiteaideesetlr.com/ dans la région de Montréal.
Dernière modification le mercredi, 19 novembre 2014
Renaud Luc

Luc Renaud est spécialisé en technologie éducationnelle et enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Détenteur d’une maitrise en éducation, il a aussi été chargé de cours à l’Université de Montréal dans le domaine de l’intégration pédagogique des TIC, et a participé à des projets de recherche portant sur la formule hybride et le socioconstructivisme. Il possède également une solide expertise en développement et expérimentation de formations en ligne et s’intéresse vivement à la collaboration internationale. 
Mal à l’aise dans le milieu scolaire, il croit à une remise en question continuelle de l’école ; il tient d’ailleurs un blogue, L’éduc-acteur, le Blogue de Luc Renaud, sur des thèmes variés, qui mettent de l’avant l’importance de l’autoformation.
Il est aussi entrepreneur, ayant démarré récemment une entreprise de consultant en technologie éducationnelle, La boîte à idées E.T.L.R. Ideas Boxdans la région de Montréal.


Montréal, Québec (Canada)