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C’est une bien étrange et familière manière de commencer un article. Il ne s’agit en rien d’un acte disruptif, d’un manifeste du dandysme numérique mais l’affirmation d’une identité bien particulière des élèves de la Wild Code School de la Loupe.

Pour ma part, j’avais trouvé un titre un peu pompeux, de ceux que l’on trouve pour cacher une forme de stress de la découverte d’un univers que l’on ne connaît pas forcément.

Ah oui, le titre manque : “Le code : un voyage vers l’émancipation ou construction d’un homme automate”.

Codeur ou Développeur : une erreur de lexique

Il y avait une erreur dans ce titre et aux premiers pas de mon intervention. Une erreur de mot et même de lexique : code.

Je n’avais pas affaire à des codeurs mais à des développeurs. J’entamai un dialogue avec des femmes et des hommes qui  “réalisent l’ensemble des fonctionnalités techniques d’un site ou d'une application web. Technicien ou ingénieur, il ou elle conçoit des sites sur mesure ou adapte des solutions techniques existantes en fonction du projet et de la demande du client”. La définition du site CIDJ ajoute à la dimension technique liée au code une relation sensible, peut-être une médiation pour passer du rêve à l’esquisse, du projet à la réalité.

Aller au-delà de ses représentations

Quand on prépare une présentation, on se fait toujours une idée ou plutôt une interprétation de ce qu’est l’autre. Un peu comme on entre dans un nouvel établissement pour animer sa première heure de classe, il faut se méfier de ses représentations.

Je pensais entrer dans une école de la seconde chance mais la philosophie était tout autre :

La culture de l’erreur plutôt que celle de l’échec.

Je n’avais pas en face de moi des geeks mais des artistes, des parcours riches d’expériences professionnelles, des pères et des mères de familles ou pas, des amis et surtout des citoyens. J’avais surtout des rêves, des projets, de l’empathie, de l’humour et surtout du recul et de la hauteur. Je leur proposais mon voyage intellectuel dans le numérique mais c’est dans un voyage partagé que j’ai embarqué... la réalité m’a rattrapé une nouvelle fois : il n’y a pas d’évidence, l’apprentissage est un dialogue plus qu’une voix à sens unique.

Coder : une architecture du choix

#pasdespisseursdecode parce qu’ils ne sont pas des robots humains destinés à aligner des lignes de code. Il ne s’agit pas simplement de produire des instructions pour développer des programmes. Les algorithmes ont des effets concrets sur nos actions et sur les formes de sociétés que nous construisons.

“Les moteurs de recherche personnalisent et optimisent notre expérience sur le web”.

Notre rapport au hasard a changé ou peut-être que nous apprenons qu’il n’y a pas vraiment de recherche au hasard.

Une encyclopédie classique est une expression de l’intention de l’auteur. Je me souviens du Wikipedia de ma jeunesse : “Tout l’Univers”. J’entends encore mon professeur regretter nos “copier-coller” et surtout notre manque de curiosité. Le problème n'est pas l'outil en lui même mais l’usage que l'on fait. Il n’était pas encore question de hasard, quand je me rendais à la bibliothèque universitaire quand je me contentais des étagères de la section histoire. Il y a pourtant une donnée fondamentale : si mon choix était guidé, il n’était pas optimisé. Quand je me promène sur ma plateforme d’achat en ligne préférée, si je suis en manque d’inspiration dépensière, il y aura toujours “vous avez aimé ça alors vous aimerez cela”. La recommandation n’est plus seulement une canne mais une personne qui nous tire par la main.

La technologie ou le “façonné façonneur”

Le cinéma influençait déjà notre comportement bien avant l'arrivée du numérique.

A ludovia, le dandy Jean Paul Moiraud nous avait interpellés sur les techniques du corps de Marcel Mauss. À la lecture de l’article, je réalisai à quel point les innovations technologiques peuvent influencer nos comportements. Quand l’auteur est immobilisé sur son lit d'hôpital à New-York, il écoute le rythme des pas des infirmières. Observateur attentif du monde, il s'interroge sur la démarche de ses contemporains et en particulier les parisiennes. Il voit combien les innovations technologiques participent à la mondialisation des cultures. J’enfonce des portes ouvertes, sûrement, mais ça va mieux en le faisant. Les femmes de New-York et Paris s'inspirent du cinéma, comme nous sommes influencés par le parlimage, notre nouvelle ubiquité ou la montre connectée. Je cours toujours pour le plaisir mais j’analyse mes données pour mieux performer. Le numérique diffuse, bouscule et produit le changement et finalement comme nous dit Bertrand Gilles “Lorsque se produit un changement de système technique, l’époque sur laquelle il prend sa source s’achève” et nos habitudes aussi.

La question du hasard pose la question de l’émancipation. Que se passe-t-il si Être optimisé, ma bulle informationnelle guide mes choix. C’est oublier que les machines n’ont pas d’intention. C’est peut-être simplement une question de figure de style, la personnification nous rassure car elle dévie la responsabilité.

Sarah Connor ?

J’adore le film Terminator (je suis sûr qu’au moment où vous lisez ces lignes, vous vous dites “Sarah Connor?”), non seulement parce que je suis fan de la bande son du 2 mais qu’il dit quelque chose des lignes de code.

La logique syllogique de skynet est implacable : “Il faut défendre l'humanité, l'Homme est un danger pour l'humanité, donc il faut éliminer l'Homme”. Sa mission est de protéger mais le développeur est passé à côté de la loi des robots. L'algorithme est l’expression d’un scénario humain et nous impose l’idée de la responsabilité sociale, personnelle et professionnelle.

Un Pharmakon

On le voit bien le code est un “pharmakon” qui, en fonction de l’intention humaine, peut-être poison ou remède.

Tout au long de cet écrit, j’ai posé un regard critique, la question de la responsabilité personnelle et implicitement celle des dangers de l’optimisation. C’est relativement surprenant pour un adepte du numérique éducatif. C’est vrai, mais il ne faut jamais oublier les formidables progrès que nous a apportés la technologie.

Au lycée, puis à l’université, j’ai beaucoup entendu parler de la diagonale du vide, dans le département rural où je réside, parfois on pourrait parler de diagonale du vide médical. Les plateformes télé médicales sont d’une grande aide pour établir un diagnostic. Ce n’est pas une réponse satisfaisante à l’absence de médecin, infirmière libérale. C’est une réponse pragmatique en attendant le doc.

Joël De Rosnay, au Carnaval du Numérique, nous expliquait que pour les grandes sociétés juridiques, les bots analysent les jurisprudences en moins de 3 heures. Quand on veut différencier la réponse médicale à distance, la puissance de calcul est un incroyable progrès. Bien sûr, mal utilisée cette puissance peut desservir l’Homme mais c’est une question de choix de société.

L’ère de l’humilité ?

Le savoir est multiplié par 2 tous les 7 à 10 ans, il faut faire le deuil de l’omniscience.

Pour mal interpréter Blaise Pascal, la surface de ce que je sais est proportionnelle au périmètre qui me sépare de ce que je ne connais pas. Autrement dit, plus la surface est importante, plus l’univers de ce que je ne sais pas se met à jour.

Nous avons déjà externalisé notre mémoire trois fois au cours de l’Histoire.

Cet abandon de charge cognitive, nous a permis de consacrer notre cerveau à autre chose. Certains me diraient qu’à ne plus réfléchir, qu’à ne plus avoir un esprit critique, je commets un abandon de notre indépendance d’esprit. Il est vrai qu’il faut prendre garde à l’avarice intellectuelle mais aussi à ne pas manquer de bienveillance avec nous-même.

Une vision du monde d’aujourd’hui et de demain

Les jeunes développeurs que j’ai rencontrés résument bien ce que l’on attend d’un citoyen de demain.

Pendant les trois heures où nous avons échangé, ils ont été ami critique. Ils ont une forme de recul du citoyen engagé. Loin d’être des automates, j’ai senti qu’avant de poser des lignes de code :

  • ils travaillent en équipe,

  • ils échangent,

  • ils font du sport ensemble,

  • ils sont acteurs de leur apprentissage,

  • ils résolvent des problèmes,

  • ils ne sont pas toujours d’accord,

  • ils font preuves d’esprit critique.

Je voudrais les remercier pour ce voyage dans le monde et ce moment d’apprentissage. Je voudrais surtout leur dire merci de ne pas être toujours d’accord. Le monde a besoin d’altérité. Pour paraphraser mon ami Michel Guillou, il nous faut penser un Numérique Humaniste, Social, Culturel et Responsable.

Nicolas Leluherne

Sources :

http://www.cidj.com/article-metier/developpeur-web

Dernière modification le mercredi, 24 mai 2017
Le Luherne Nicolas

Nicolas Le Luherne est directeur des Ateliers Canopé de Beauce, blogueur, chroniqueur pour le Thot Cursus, Ludomag et Educavox. Il est administrateur de l’Association Nationale des Acteurs de l'École. Professeur au lycée professionnel Philibert de l’Orme à Lucé jusqu’en août 2016, il a intégré différents outils numériques tels que les tablettes, les jeux sérieux, la réalité augmentée, la cartographie numérique en diversifiant les approches pédagogiques. Il s'intéresse l’impact de la culture numérique sur nos sociétés, notre citoyenneté et nos démocraties notamment à l’esprit critique et au complotisme.