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Pour ma part, l’affichage et l’annonce m’avaient échappé. J’avais pourtant vaguement remarqué la chose dans un billet de mai dernier (1). Mais c’est à la lecture d’un tweet récent qui semblait vouloir valoriser l’opération et le questionnement que j’ai redécouvert cette curieuse page en ligne qui s’insère dans la présentation générale du plan numérique pour l’éducation.

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Sans rire ? Une fois l’étonnement passé, je me suis demandé pourquoi, chez les communicants du ministère, on posait publiquement ce genre de question. Tentative de décryptage.

« Le numérique, en fait, on n’est pas certain que ça marche »

Sic.

Il va de soi que la phrase ci-dessus n’a strictement pas le moindre sens — je vous explique tout ça dans un moment, si vous voulez bien patienter — mais c’est, je vous l’assure, ce qui se susurre sous le manteau, dans les cabinets, les alcôves de la DGESCO, les couloirs lambrissés des rectorats, les réunions pédagogiques, les salles de profs… du haut en bas de la grande maison. Oh, chacun le sait ou le subodore, dire ce genre de choses n’est pas très convenable mais, bon, on ne prend pas de grands risques à asséner ces âneries ! Il ne se présente pas grand monde pour vous contredire.

Car, en effet, cela n’a strictement aucun sens. Un bon cours reste un bon cours, avec le tableau noir ou avec le tableau numérique. Une leçon bâclée le sera tout aussi bien avec des tablettes que sans. Car, encore une fois, je ne cesse de le répéter, le ministère confond et, avec lui, tous ceux qui veulent bien l’entendre, le numérique avec sa pacotille. Il est nécessaire de s’en convaincre : le numérique est un fait culturel majeur né au passage d’un millénaire à l’autre et c’est un changement de modèle, un paradigme tel qu’il bouleverse au fond la transmission des connaissances, l’appropriation des savoirs et les postures des maîtres comme celles des élèves. En cela, le numérique ne peut pas être confondu avec l’outillage du même nom qui n’en est qu’un artefact éphémère.

Prétendre que « le numérique » marche ou ne marche pas est aussi idiot que de poser la question de savoir si la pluie mouille ou non.

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Cela reste pourtant la question majeure posée par tous les nombreux procrastinateurs qui hantent les couloirs du ministère, à commencer par le recteur Monteil — son portrait figure d’ailleurs en bonne place sur la page web en question — qui, tout en évoquant et en décrivant très bien la nature même du paradigme numérique qui s’impose à la société et donc à l’école, se charge de demander aux projets E-Fran de valider scientifiquement l’efficacité des technologies numériques (2), fournissant alors un argumentaire sans faille à l’usage des contempteurs du numérique.

Car là n’est pas la question ! Savoir si les technologies — en reste-t-il aujourd’hui qui ne soient pas numériques ? — sont efficaces ou pas n’a aucun intérêt. Je le répète, elles ne changent rien au fond. Nul besoin de dépenser 39 millions d’euros pour obtenir une réponse à ce sujet. Car même si certains des 22 projets présentés et financés dans ce cadre présentent un intérêt évident, car ils montreront, je l’espère, comment les apprentissages changent avec les technologies numériques, ce qui n’est pas une question sans intérêt mais n’est pas la bonne question, peu d’entre eux s’intéressent à l’humain, à la relation intime et complexe entre le maître et l’élève et à la manière dont le numérique modifie très sensiblement cette dernière.

Dommage.

2015 05 06 214950Comme si on avait vraiment le choix !

« L’école change avec le numérique » dit l’excellent slogan du chantier de l’école numérique. Y lisez-vous une interrogation, un doute, une incertitude ? Non, la phrase est affirmative et ne souffre pas la contradiction.

 

L’école change avec le numérique, comme la société toute entière change avec le numérique, comme la culture, l’administration, l’économie, l’industrie, les services, les médias changent ou ont changé déjà avec le numérique. Pour le meilleur, la tâche n’est pas facile pour y arriver, et aussi pour le pire. Les enjeux sont considérables, chacun peut tous les jours en prendre conscience, à l’exception peut-être de nos élites déconnectées que l’aventure effraie. Données massives, données personnelles, intimité, liberté d’expression, transparence de la vie politique, modes de représentation sociale et politique, bien communs, diffusion de la culture… tous ces sujets parmi d’autres sont au cœur de la réflexion et des préoccupations des citoyens de l’ère numérique.

Mais la société dans son ensemble n’est pas seule à changer. Les jeunes, les élèves de nos écoles, collèges et lycées, ont été les premiers à changer avec le numérique. Hyperconnectés mais sans doute mal connectés, hyperinformés et sans doute mal informés, ils ont adopté en ligne des attitudes nouvelles, des postures sociales différentes, ont développé en ligne des compétences originales. Ces postures et compétences n’ont pas grand chose à voir avec celles de leurs parents à leur âge, au siècle dernier. Elles méritent évidemment et simplement la bienveillance de l’école plutôt que la vindicte, la sollicitude plutôt que l’indignation, l’éducation plutôt que la censure.

Et il faudrait avoir le choix ?

Le choix pour qui ? Le choix pour l’école ? L’école change avec le numérique vous dit-on, elle n’a pas le choix. Le choix pour ses maîtres ? Sans doute certains tarderont-ils à franchir le cap de la mise en œuvre, en classe, de l’outillage numérique mais est-ce si important ? Tous sont confrontés à leurs élèves qui, tout comme eux mais ces derniers, semble-t-il, avec plus d’aisance et de plaisir, sont déjà immergés dans une société numérique. Tous sont empreints du numérique et de ses valeurs, même si certains s’en défendent. Il n’y a pas d’enseignement numérique qui s’opposerait à un enseignement « traditionnel » non numérique, cela n’existe pas, cela n’existe plus.

Donc les enseignants n’ont pas le choix. Et  si certains anachorètes sont revêches à l’idée de se laisser faire, ils peuvent toujours rejoindre les hauteurs du Mont Athos, quoique je ne sois pas persuadé que ce dernier soit complètement protégé de toute influence numérique.

Les cadres n’ont pas le choix non plus qui devront s’accommoder, de manière plutôt réjouissante selon moi, de modes de management et de pilotage différents et plus adéquats avec le monde qui les entoure.

Et on s’inquiète enfin très fort sur l’absence de vision stratégique de ceux qui, au ministère, voulant faire croire que l’école changeait avec le numérique et qu’il convenait de s’y intéresser, ont laissé accroire, de manière très paradoxale, qu’on avait le choix du numérique, que la question du choix se posait, qu’elle était pertinente. Histoire de savoir jusqu’où il est encore possible de reculer.

Michel Guillou @michelguillou

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  1. Numérique éducatif : tout plan est voué à l’échec https://www.culture-numerique.fr/?p=4927
  2. Quelques éléments pour une argumentation à l’usage des contempteurs du numérique https://www.culture-numerique.fr/?p=4037
Pour citer cet article : Michel Guillou, « Quand le ministère vous explique sans rire qu’il est possible de faire le choix du numérique… » in Culture numérique, 31 octobre 2016, https://www.culture-numerique.fr/?p=5513
  Michel Guillou
Dernière modification le jeudi, 05 janvier 2017
Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.