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François-Bernard Huygue propose sur son site une analyse sur les réseaux sociaux " facteurs d’expression, mode de relation et méthode d’organisation" qui engendre différentes formes d’influences. Ces éléments à destination des managers nous permettent de comprendre le monde informationnel dans lequel nous vivons. 

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François-Bernard Huyghe est auteur, entre autres, de Quatrième guerre mondiale, L’ennemi à l’ère numérique, La soft-idéologie. Docteur d’État, il enseigne et dirige depuis de nombreuse années des recherches en médiologie, en intelligence économique et en stratégie de l’information, notamment sur le campus virtuel de l’Université de Limoges, avec l’Institut de Recherche en Intelligence Informationnelle et l’IRIS (Institut des Relations InternationalesStratégiques). C’est aussi un praticien du décryptage des médias au quotidien, très présent sur Internet.

 

Toute organisation ou entreprise, à travers sa réputationvit sous la surveillance des médias, qu’ils soient « classiques », écrits ou audiovisuels comme sous celle d’Internet : forums, blogs, journalisme « citoyen », Web 2.0, notamment les réseaux sociaux qui semblent illustrer le slogan "ne haïssez plus les médias, devenez les médias".
 

Dans nos sociétés d’influence, la réputation, comprise à la fois comme la notoriété et les jugements qu’elle entraîne, est, au-delà d’une image que l’on tente d’accréditer ou d’une représentation que se font les autres, tout à la fois :

- une valeur qu’il faut considérer comme un actif immatériel et qu’il faut donc protéger voire accroître

- une cible pour ceux qui veulent s’en prendre à l’entreprise soit pour ce qu’elle est ou a fait, soit pour ce qu’elle représente symboliquement ou pour le pouvoir qui lui est prêté

- un facteur d’anticipation donc un déterminant stratégique. En effet la tonalité de l’opinion qui prédomine sur l’entreprise dans telle ou telle communauté, le degré de confiance dont elle bénéficie ou les craintes ou agressivités qu’elles suscite sont des facteurs de prédicition de risque (et de résilience face au risque) et/ou des opportunités sur lesquelles peut se baser une action future.

Cette donnée n’est pas nouvelle et les dangers que représentent la rumeur, la désinformation, les actions de déstabilisation ou de guerre économique ne sont pas connues d’hier. Même si des facteurs comme la dématérialisation de l’économie, ou la montée en puissance des ONG et autres organisations d’influence, ou encore des facteurs idéologiques ou culturels augmentent la prééminence de ce phénomène.

Enfin et surtout, les technologies de l’information ou de la communication bouleversent la donne et par leur capacité purement technique et par les usages sociaux qui s’inventent à leur propos.

Les réseaux sociaux en particulier jouent

- comme facteur d’expression : ils permettent à un consommateur mécontent, à un adversaire, à un dénonciateur ou "whistleblower" mais aussi à un partisan de faire connaître son avis et de contribuer à la propagation de certains thèmes

- comme mode de relation  : il se forme des communautés d’un nouveau type, à la fois séparées par l’intermédiaire de l’écran et capable d’inventer de nouvelles formes d’interaction, conversation, négociation, etc.

- comme méthode d’organisation : elle aboutit à l’action suivant des modalités nouvelles (sans hiérarchie ou structures apparentes, sans système d’autorité...) et qui confère de nouvelles formes d’influence.
 

D’où des problèmes inédits pour les managers.

Les vieilles recettes de relations publiques, séduction ou pédagogie – bien parler, vanter son produit ou sa culture d’entreprise, bien exposer son message avec Powerpoint, connaître le correspondant local de France 3 ou avoir une charmante attachée de presse - tout cela ne suffit plus quand il s’agit de s’exprimer sur des questions sociétales, d’éthique, de développement durable, de commerce éthique, de risque technologique ou autre.

La vitesse de propagation de l’information, la pluralité des organisations d’influence qui évaluent et critiquent l’action de l’entreprise, la multiplication des lieux d’expression, des techniques et des sources d’information, la réactivité des « parties prenantes », dont les organisations de consommateurs ou les ONG dotées de nouvelles capacités de coordination et d’interpellation le développement public d’une culture du débat et de la précaution, qui peut méfiance et soupçon, le haut niveau d’exigence en matière de transparence, réactivité, traçabilité… imposent d’autres nécessités.

Bref, il faut pouvoir parler de toutes les dimensions non économiques de son activité. Le manager vit sous une véritable contrainte d’opinion.

Les méthodes d’intelligence économique demandent à être complétées.

La vitesse de propagation de l’information,

  • la pluralité des organisations d’influence qui évaluent et critiquent l’action de l’entreprise,
  • la multiplication des lieux d’expression, des techniques et des sources d’information,
  • la réactivité des "parties prenantes", dont les organisations de consommateurs ou les ONG dotées de nouvelles capacités de coordination et d’interpellation,
  • le développement public d’une culture de débat et de la précaution, qui peut méfiance et soupçon,
  • le haut niveau d’exigence en matière de transparence, réactivité, traçabilité...imposent d’autres nécessités.

 

Il y a au moins deux raisons de se préparer au débat :

* l’acteur économique ne peut plus se réfugier derrière l’argument d’autorité ou de compétence technique. Il ne peut pas non plus considérer que, tant qu’il contribue à la richesse nationale qu’il respecte les lois, il n’est pas concerné par le reste.

*Le temps est loin où tout ce qui touchait au Bien Commun était l’affaire de l’État seul. Tout au contraire le décideur est amené à argumenter sur des questions sociétales, d’éthique, de développement durable, de commerce éthique, de risque technologique ou autre. Il vit sous une véritable contrainte d’opinion et face à la multiplication des risques de crises.

Or la communication de crise, sous le projecteur des médias, révèle fréquemment une crise de la communication, qui aurait pu être anticipée : information insuffisante en amont, renseignements et éléments de preuve manquants, défaut de vigilance, de coordination, de prévision.

La gestion de crise suppose de la vigilance avant (détection précoce, en particulier pour les risques de réputation ou d’attaques par l’information), une préparation tout le temps (manuels, cellules et procédures de crise, simulation), une décision stratégique juste à temps (proclamer la crise ou l’ignorer, choisir l’importance à lui donner, la traiter directement par la défensive ou la contre-argumentation ou indirectement en prenant l’initiative sur un autre terrain), l’analyser et en tirer des leçons après… mais finalement, la crise se traduira aussi et surtout par l’impératif de s’exprimer pendant la crise et juste à temps.

Et ceci dans des conditions qui ne sont pas toujours agréables. Il faut apprendre à passer d’un discours euphorique à une attitude - de vigilance et réaction immédiate – face à la déstabilisation informationnelle. Ou contre une mise en cause permanente au nom des critères de sécurité, de durabilité, de transparence. Il faut assumer un paradoxe.
 

L’entreprise recherchait la médiatisation, voulait rentabiliser ses « actifs immatériels », comprenez son image, son logo, sa réputation, développer des relations consensuelles avec les « parties prenantes »… Désormais elle devra apprendre le sens des mots surveillance,notation, mise en cause. Elle aura de plus en plus de mal à s’exonérer en faisant appel à la fatalité ou des causes extérieures dans un système orienté vers la recherche de la responsable.
 

Ceci s’explique notamment par ce que nous avons appelé le passage à des démocraties d’influence post politiques. Les citoyens interviennent dans les affaires publiques et les consommateurs dans celles de l’entreprise, mais de moins en moins suivant la forme traditionnelle. Le militantisme à la carte, « où je veux, quand je veux » ou le consumérisme est d’abord critique et réactif. Il se manifeste par la surveillance, l’expression d’exigences – éthiques, juridiques, sécuritaires- de bien remplir le contrat, une méfiance généralisée, une hypersensibilité aux risques, dissimulations, abus ou simples contradictions, l’adhésion à des causes correspondant au libre choix de chacun.
 

À cette contrainte s’en ajoute une autre, technique et médiologique. Les rumeurs, les mobilisations, les critiques, les débats, les contre-discours et les contre-informations circulent vite et partout. Les différents moyens de communication imposent des exigences différentes.Le décideur doit devenir un débatteur tous terrains et tous médias.
 

Cela suppose des techniques intellectuelles. Elles servent à convaincre éventuellement face à des contradicteurs et dans les conditions d’un débat passionné. Certaines trouvent leur origine dans des disciplines antiques comme la rhétorique (art de persuader) et l’éristique(art de l’emporter dans une polémique). La dialectique éristique est « l’art d’avoir toujours raison », ou plus sérieusement, l’art de la controverse. Elle repose à la fois sur la capacité de renforcer la vraisemblance d’une proposition aux yeux des disputeurs et des auditeurs et sur celle de déjouer les stratégies du contradicteur.

La rhétorique ne sert pas à faire de belles phrases : c’est, plus largement, l’art de persuader par des discours efficaces, des images, des symboles porteurs ; elle fait appel à l’enchaînement des raisonnements, à l’émotion de l’interlocuteur et aux références aux valeurs communes d’une société.Encore faut-il adapter ces disciplines millénaires aux conditions modernes : il ne s’agit plus de discourir sur l’Agora, mais d’exceller à l’oral en face-à-face dans une réunion, à l’image devant les médias audiovisuels, à l’écrit face à la presse et aussi à s’adapter aux conditions de vitesse et de souplesse du Web.
 

Pas de rhétorique efficace sans une bonne balistique : l’art de délivrer le message au bon destinataire par le bon vecteur. Par exemple il est inutile de rédiger un blog brillantissime s’il est mal référencé, mal cité et peu lu.

Désormais faire de la communication de crise c’est se livrer à une épreuve de quadriathlon. Il faut être sûr de soi dans quatre domaines.

- L’oral : les crises cela se traduit d’abord et partout par des réunions, des engueulades, des affolements, des paroles rassurantes et des controverses, des instructions qui apaisent ou pas les troupes, les acteurs ou l’opinion. Il faut ici à la fois l’autorité du chef et l’art de négocier du diplomate.

- L‘écrit, ou plutôt l’imprimé. Dans le monde de l’article, du tract ou du communiqué, il faut certes, être convaincant, mais aussi tenir compte des risques de l’interprétation, doser le flou (qui évite de trop engager) et la précision pour ne pas être taxé de langue de bois.
 

- L’image, surtout télévisée, où nul n’est maître du montage qui sera retenu. Ici chacun doit se méfier de son corps qui risque souvent de jouer contre la parole explicite. Les rapports d’agressivité ou de séduction avec l’interlocuteur, la façon d’apparaître sincère, compétent ou en phase avec les préoccupations des téléspectateurs, l’art de la « petite phrase », la seule que tout le monde retiendra…, tout peut jouer un rôle crucial
 

- Internet, enfin. Cela suppose une certaine logistique : on ne décide pas d’ouvrir un blog influent ou de lancer un site de crise sans préparation. Sur la Toile le problème est d’abord celui de la circulation et du nombre des messages. Donc surtout de leur accessibilité et de leur indexation et repérage. Quand les vidéos révélatrices, photos indices et documents gênants existent quelque part, il faut être assuré que leur diffusion sera instantanée et ravageuse. Sur les forums, blogs et autres lieux du journalisme citoyen, se forment des configurations nouvelles.
 

La « e-influence » sur le Web, art d’attirer l’attention sur une page, puis d’être repris, recopié se développe et pas au bénéfice des structures organisées, entreprises, partis. Il leur faudra désormais apprendre à anticiper, repérer, traiter, concurrencer ces courants plus ou moins spontanés d’une opinion aléatoire… Par ailleurs, la rédaction pour Internet obéit à des règles particulières : vitesse, simplicité, adaptation au destinataires et bonne évaluation de l’opinion, authenticité dans le ton, pertinence sur le fond.Toute une culture critique de l’argumentation et de l’interprétation à réapprendre pour des décideurs souvent habitués à considérer tout problème comme un problème technique.

Il faut apprendre à délivrer le bon message par le bon média, adapté au bon milieu et à travers les bonnes médiations. Il faut aussi apprendre à trouver des alliés, à raisonner soi-même en terme de réseaux et d’idées contagieuses... Il faut apprendre à gérer le facteur temps. Bref, il faut un peut devenir stratège...

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Dernière modification le vendredi, 08 décembre 2017
An@é

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