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J’imagine les affres du directeur de communication d’un ministre fraîchement nommé et bercé par la campagne d’un président de la République qui fait de l’éducation l’une de ses priorités. Comment baptiser l’action à venir ? 
"Réforme" a été usé par les prédécesseurs qui ont utilisé le mot sinon le concept ;" révolution"…il ne faut pas exagérer …alors autant se référer à Ferry, Jules bien sûr, le fondateur de l’école laïque…et ce sera "refondation".

Ce mot, que je ne trouve pas beau, est inapproprié pour trois raisons essentielles.
 
Tout d’abord, il contient l’idée d’une démolition préalable avant reconstruction sur des bases nouvelles : le bâtiment éducation nationale n’est pas à ce point délabré qu’il nécessite un tel traitement. Il manifeste même quelques signes de bonne santé. Lors de la session 2012 du baccalauréat, 77,7% d’une classe d’âge a obtenu le diplôme et la part d’une génération au niveau du baccalauréat a été portée à plus de 85%. C’est-à-dire que l’objectif, ô combien ambitieux fixé à l’éducation nationale par JP Chevènement il y a un peu moins de trente ans est atteint. C’est pour le moins la preuve d’une indéniable capacité d’adaptation dès lors que le cap donné par les politiques est lisible.
 
Par ailleurs, une refondation est actuellement impossible. Les fondations de l’édifice sont les locaux et les hommes. Les locaux ont été considérablement adaptés, agrandis, améliorés par un effort sans précédent des collectivités locales qui semblent prêtes à maintenir leur niveau d’investissement éducatif. Que demander de plus en période de restrictions budgétaires ?
 
Quant aux hommes ( et femmes bien évidemment ), il n’est pas envisageable de les recruter en quantité suffisante. Pour des raisons diverses et largement imputables à la politique menée ces dernières années, le renouvellement de la génération qui part à la retraite pose et va poser un problème grave et pour lequel aucune solution n’est en vue. La chance d’un renouveau de la pédagogie par un renouveau des personnes et de la formation est en train de s’éloigner faute de candidats …et de formateurs.
 
Les signes forts envoyés par le ministère sont importants mais les effets ne peuvent être perceptibles qu’à moyen et long terme. On rejoint le temps de construction des cathédrales et pas celui des immeubles modernes.
 
Enfin le processus est bien mal engagé. L’une des premières mesures prises, la modification des rythmes scolaires, ne semble pas faire l’unanimité : c’est le moins que l’on puisse dire. Sans mettre en cause son bienfondé ou son ampleur, il est navrant de constater les conséquences immédiates de son annonce.
 
Les municipalités ne sont pas prêtes à accompagner ce changement de la même façon et cela va créer des inégalités géographiques sans précédent et vraisemblablement durables…école à deux vitesses ?
 
Les enseignants se sentent trahis et se réfugient dans une attitude que l’on peut qualifier de corporatiste mais qui traduit surtout le mal être d’une profession dont les attentes sont énormes.
 
Plus inquiétant encore : cette crispation nouvelle des professeurs est mal perçue par l’opinion publique et la presse se fait , à juste titre, l’écho d’un clivage grandissant entre les usagers et les professionnels de l’école. Les périodes de crise sont, on le sait, le terreau de ce type d’antagonismes ; il n’y a pas lieu d’en rajouter.
 
Alors, faute de refondation, il est encore possible d’espérer un vrai changement. Les mutations de la société actuelle, dont la révolution numérique est une composante essentielle, doivent être pensées et analysées en terme d’éducation …et toutes les voix méritent d’être entendues.
 
Il est de la responsabilité des politiques de traduire ces analyses en objectifs pour notre école et de lui redonner une véritable ambition à la fois éducative et sociale.
 
Il est de la responsabilité des politiques d’expliquer cette ambition et de fédérer autour d’elle toutes les composantes capables de lui donner corps.
 
Il est de la responsabilité des politiques de repenser le mode de pilotage de l’école et de laisser une place réelle à l’intelligence individuelle et collective des acteurs.
 
Et si quelqu’un veut appeler cela refondation…
Dernière modification le vendredi, 10 octobre 2014
Puyou Jacques

Professeur agrégé de mathématiques - Secrétaire national de l’An@é