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Les personnels de direction, administrateurs et pédagogues.
Le Bulletin Officiel de l'éducation nationale était toujours, au début des années 80, alors que je débutais dans les fonctions de chef d'établissement, la "bible" des personnels de ce grand ministère : les prescriptions, les normes y figuraient clairement ne permettant souvent que peu d'initiative.
Pour de nombreux cadres, dès qu'une difficulté survenait, il fallait avoir appris l'art de manier le "parapluie" donnant à la hiérarchie les outils pour la gestion de la crise. La généralisation du contrôle à priori ne nécessitait pas une véritable professionnalisation des cadres de l'éducation nationale. Il s'agissait d'être de "bons petits soldats" dans une hiérarchie inspirée du modèle militaire. Certes il fallait être des « pédagogues » et l'on recrutait exclusivement parmi les enseignants sur liste d'aptitude.

Ce sont en particulier les lois de décentralisation et la création de l'établissement public local d'enseignement en 1983, qui, en donnant aux collèges et aux lycées une autonomie financière, administrative, pédagogique, a profondément modifié les fonctions de personnels de direction dont le statut n'est apparu qu'en 1988.
Cela ne s'est pas fait facilement autant d'ailleurs dans les pratiques de certains personnels confondant autonomie de l'EPLE et autonomie du chef d'établissement, que de la part de cadres supérieurs habitués et confortés par un mode d'administration bureaucratique.

Un recteur affirmait encore en 1994 haut et fort devant les personnels de direction et les Inspecteurs d'académie réunis : " je suis votre général et vous êtes mes officiers..." ..Ce qui semblait ne pas déplaire à certains !

Pourquoi un manager d'EPLE ?

L'autonomie des établissements , enjeu aujourd'hui de la rénovation du système éducatif, en ce « qu'elle permet à une organisation locale de définir ses objectifs opérationnels propres et les voies permettant d'y parvenir , dans le respect d'objectifs prioritaires fixés à un niveau supérieur et de règles relevant de la pratique démocratique », rendait nécessaire la formation des personnels de direction chargés de piloter ces établissements et d'assurer - particularité de l'éducation nationale - la double responsabilité de représentant de l'Etat et de la communauté éducative.

Le parallèle avec l'entreprise, les travaux anglo-saxons, et, il faut le dire, l'idéologie néo- libérale ambiante a conduit à une formation centrée sur le chef d'établissement seul.
Le chef d'établissement "manager" devenait ainsi le maillon important du pilotage local du système éducatif. Rouage essentiel d'un dispositif qui conservait malgré tout une organisation verticale et prescriptive, il devait être formé au management afin d'améliorer l'efficience de son action, assurer dans une forme de compétition entre établissements les meilleurs résultats au vue d'indicateurs de performances. Rien de surprenant à ce qu'il puisse à terme dans ces conditions recruter "ses" personnels, les évaluer ( seul ? ) ....
Cette vision, et l'évolution est d'abord venue du monde de l'entreprise, n'a pas résisté à la révolution des communications numériques qui bouleverse notre rapport à l'espace et au temps, et facilite l'émergence d'un monde de partage et de collaboration, plus horizontal, plus empathique.
La notion de gouvernance se substituant progressivement à celle d'administration ou de direction, le management des organisations publiques ou privées a de la même façon évolué.
Qu'est-ce donc aujourd'hui qu'un personnel de direction manager ? Quel sens donner au concept de management ?
 
Management : du vieux français à l'anglais francisé
Wikipedia - devenue l'encyclopédie libre participative indispensable que chacun de nous utilise - nous rappelle tout d'abord que « Selon l'Oxford English Dictionary le verbe anglais « to manage » et le substantif « management » découlent d'un terme français du XVe siècle, « mesnager », signifiant en équitation « tenir en main les rênes d'un cheval », provenant lui-même de l'italien « maneggiare » (et du latin « manus » : la main). Il a subsisté en français en équitation au travers du mot « manège ». Par extension, « mesnager » a désigné à partir du XVIe siècle en français le fait de tenir les rênes d'une organisation (exploitation agricole, fabrique, administration, etc.) et non seulement d'un cheval .
Au milieu du 19e siècle, le mot « ménagement" figure dans le Littré avec comme définition « Art de conduire, de diriger, de manier » et comme exemple « le ménagement des affaires ».
Selon le Larousse Étymologique les termes « manage » ou « mesnage » et le verbe « mesnager » dérivent dès le XII° siècle de l'ancien français « maisnie » (famille) lui-même issu du verbe latin « manere » (signifiant « demeurer ») . Par suite le terme a désigné en français « l'art de gérer les affaires du ménage », c'est-à-dire « conduire son bien, sa fortune et ses domestiques de façon judicieuse ».
Le terme « ménagement » est ensuite passé en anglais où il a donné « to manage » et « management »
Le mot « management » a été réutilisé en France à partir des années 1960, alors que dans l'intervalle ses origines françaises avaient été presque oubliées.
 
Management public, management privé

Avant de voir ce que l'on entend aujourd'hui par management public observons ce qu'en disent les formateurs dans la sphère de l'entreprise.
Christophe PERILHOU, manager d'un pôle de consultants dans l'unité RHM (Ressources Humaines & Management) du groupe Cegos, organisme de formation professionnelle bien connu, écrit dans le blog du management
« Le manager de demain puisera son pouvoir, non pas de ses attributs de position et de statut, mais de sa capacité à créer de la valeur directement utile pour ses équipes (et indirectement ses clients) en les aidant à surmonter les obstacles. Cette posture mobilise des compétences d'écoute, de soutien, de prise de recul, de vision globale et systémique des situations.
Le manager de demain est un manager « post-héroïque » qui ne joue pas au général ou au lieutenant-colonel à la tête de ses troupes. Il est sur le terrain, au service de ses équipes, animé d'une passion : « réussir à faire réussir ».
« Donner pour recevoir », plutôt que « commander puis contrôler » devient le premier levier de légitimité.
Cela repose sur des qualités de leadership personnel, qui outre des talents de persuasion, s'appuie sur une condition première : « être fondamentalement reconnu comme une personne digne de confiance ». Clarté, éthique personnelle, capacité à parler vrai, compétences métier sont autant d'ingrédients nécessaires à la création de cette confiance si difficile à construire et si facile à détruire
 
Davantage « bricoleur » que planificateur, le manager post-moderne a une approche de « juste-innovation ». Une innovation non systématique mais créatrice de valeur et réellement bénéfique pour les parties prenantes. Il sait construire des solutions en tâtonnant, en expérimentant, en acceptant les erreurs et en les intégrant comme opportunité d'apprentissage permanent.
Pour nombre de managers « Ressources » et « Capacités » sont deux notions équivalentes. Or, les ressources s'achètent, peuvent se copier, voir se voler. Les capacités constituent une valeur moins marchande, difficile à acheter ou à copier, mais, comme on l'a vu, elles vont devenir, à l'ère de l'économie « frugale », un levier de compétitivité déterminant. Dans cette optique, créer de la valeur par la mise en interaction de différentes compétences va devenir une compétence clef du management. Moins hiérarque, plus coordinateur et aiguilleur, le manager post-moderne est un constructeur d'intelligence collective.
 
Le monde de demain reste un monde de compétition. Mais les leviers de compétitivité changent. La création de valeur par l'intelligence collective dans des organisations plus transversales et résiliaires mobilisent des aptitudes à la coopération et à la collaboration.
Il s'agira aussi de désapprendre, sortir des croyances qui ont guidées l'action managériale dans une économie industrielle, pour apprendre à composer avec une nouvelle donne nécessitant de nouvelles grilles de lecture.
 
Le personnel de direction manager de demain.
Dans cette deuxième partie de notre entretien avec Jean Marie PANAZOL, Inspecteur Général, Directeur de l'ESENESR la question du management public dans l'Education Nationale est posée.
Certes « les organisations ne sont pas les mêmes, les compétences attendues ne sont pas les mêmes, l'écosystème des organisations est différent » mais les principes généraux de management se rejoignent aujourd'hui.
« Il y a du management au sens mobilisation des équipes, identification des compétences, aptitudes à prendre une décision et à la légitimer. »
Pour Jean Marie PANAZOL, dans l'Education Nationale, « manager c'est être capable de fédérer autour d'un projet éducatif et de la réussite des élèves » et ajoute-t-il « le cadre n'est plus l'ultime rouage d'une chaîne hiérarchique chargé d'appliquer des circulaires, des normes ...et d'être le bon petit soldat qui ne prend pas d'initiatives et qui fait ce qu'on lui demande de faire .....il a une marge d'autonomie, un périmètre d'interprétation. Cette autonomie ne signifie absolument pas rupture du lien hiérarchique. »
La contrepartie de cette responsabilité confiée au cadre.. "c'est le fait qu'on puisse lui demander des comptes ! "
 
Ultime question posée au Directeur de l' ESENESR.

Mais alors, malgré la grande hétérogénéité du public reçu à l'ESENESR, quel type de personnel d'encadrement y est "construit" et pour jouer quel rôle ?
« Le travail sur les compétences, cœur de métier de ces cadres n'a de sens que si on le replace dans une vision systémique.. Donc qu'on se pose la question de l'interaction entre les différents acteurs, et de la valeur ajoutée crée par la convergence de leurs actions les plus coordonnées et les plus efficaces possibles... »
 
 
Alors, qu'est-ce qu'un cadre manager ?
« Dans un système scolaire qui évolue à une vitesse phénoménale de l'intérieur comme de l'extérieur, l'autonomie et la responsabilité d'un cadre affirme en conclusion Jean Marie Panazol, et il en fait son objectif essentiel de formation, peut se résumer ainsi : il s'agit "de rendre un cadre capable d'imaginer une solution face à un problème qu'il n'a jamais rencontré et dont la solution ne figure ni dans le code de l'éducation ni dans la tête de son supérieur hiérarchique ".
 
On le voit aujourd'hui, l'éventail des possibles est immense. Après les événements dramatiques des derniers jours, Najat Vallaud BELKACEM, dans le cadre de la grande mobilisation de l'Ecole pour les valeurs de la République concluait son intervention devant tous les Recteurs, inspecteurs généraux, secrétaires généraux et les DASEN réunis au Lycée Louis le Grand par ces mots:
"ne faisons pas injonction aux seuls enseignants d'être des héros si nous ne sommes pas capables collectivement de prendre nos responsabilités. Les enseignants je le sais sont mobilisés et je vous demande de répondre à leurs demandes, d'accompagner leur démarche, et enfin de nous faire remonter les expériences réussies comme les difficultés pour mieux progresser ensemble."
 
Claude TRAN
 
Dernière modification le dimanche, 18 janvier 2015
Tran Claude

Agenais de naissance Claude TRAN a été professeur de Sciences Physiques en Lycée, chargé de cours en Ecole d’Ingénieur, Inspecteur pédagogique au Maroc, chef d’établissement en Algérie comme proviseur du lycée français d’Oran ; en Aquitaine il dirigera les lycées Maine de Biran de Bergerac, Charles Despiau de Mont de Marsan et Victor Louis de Talence. Il a été tour à tour auteur de manuels scolaires, cofondateur de l’Université Sénonaise pour Tous, président de Greta, membre du conseil d’administration de l’AROEVEN, responsable syndical au SNPDEN, formateur IUFM et MAFPEN, expert lycée numérique au Conseil Régional d’Aquitaine, puis administrateurà l'An@é, actuellement administrateur Inversons la classe, journaliste à ToutEduc, chroniqueur à Ludomag.