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« La vraie vertu de ce bac c'est de raconter une sacré belle histoire aux jeunes et de donner un bel espoir aux parents car on a besoin de penser ce monde qui nous entoure. » nous explique Ludovic BLECHER, Directeur du Fonds pour l'Innovation Numérique de la Presse.
 
Parent et journaliste, donc observateur très attentif de l'impact du numérique sur la société et donc sur l'école Ludovic BLECHER n'est pas, comme il dit, « un académique », encore moins un spécialiste des arcanes de l'Education nationale.
Comme lui, ils sont nombreux à voir l'urgence d'une nécessaire et profonde mutation de l'école . Son séjour aux Etats Unis - il a passé en 2012-2013 une année en résidence à l'université de Harvard en tant que « Nieman Fellow 13″ à la Nieman Foundation for Journalism – lui a donné un regard moins hexagonal sur l'école en France et s'il reconnait les efforts de notre pays pour faire évoluer l' école élémentaire et le collège, c'est sur le lycée que son regard s'est porté dans sa contribution aux travaux du groupe éducation du Conseil National du Numérique. Car l'idée d'un nouveau bac, le plus général des baccalauréats généraux, le bac Humanité Numériques , c'est bien lui qui l'a initiée.

Je suis allé à sa rencontre pour réaliser cet entretien à publier sur Educavox.
 
Quelles analyses ont conduit à cette proposition ?
« Je me suis inscrit dans ce qui est pour moi le rôle du Conseil National du Numérique : un rôle de poil à gratter et un rôle d'inspiration ».
« On est tous des spécialistes du numérique mais venant d'univers différents, » mais on partage tous l'idée que « le numérique bouleverse toute la société ».
On voit, pour l'école comme pour le reste, « une logique plus horizontale, plus collaborative ».
Cette disruption généralisée, « il ne faut pas en avoir peur » ajoute-t-il, « moi j'ai envie de croire que c'est une opportunité » certes « qui pose des questions éthiques, technologiques. »
A l'école « tout le monde devrait pouvoir bénéficier d'un enseignement à la fois de l'informatique, du code, mais aussi de la culture numérique. »
 
Nouveau Bac mais aussi nouvelles méthodes pédagogiques
Les jeunes utilisent aujourd'hui de nombreux produits numériques, « ils vont sur des sites, ils interrogent le Web comme on interroge un dictionnaire, ils regardent des vidéos partout, sur leur télé, sur leur mobile, sur leur tablette, sur leur ordinateur.. et l'endroit où ils passent le plus de temps – l'école - ne suit pas ces usages et ne les aide pas à les décrypter, à les comprendre. »
Pour « obliger, créons un point d'arrivée »

Comme avec la création du bac ES pour, dans les années soixante, « rapprocher l'école de l'économie », pourquoi de pas faire pareil avec le numérique en « rapprochant les jeunes, leurs usages, de leur environnement qu'est l'école » ?
Ce nouveau bac « s'inscrirait dans son époque.. au croisement des sciences, lettres, et sciences humaines et sociales, en décloisonnant ces champs du savoir.»
« Les logiques du travail ensemble doivent évoluer » comme les méthodes d'évaluation, comme la « question des contenus en évolution perpétuelle. »
Car le collaboratif est essentiel aujourd'hui dans les organisations .
 
Et maintenant ?
« On a mis en l'air une idée qui fait totalement sens..On en a dessiné la philosophie, c'est maintenant à l'Education Nationale, si elle le souhaite, de s'en saisir et de voir comment le mettre en Musique ».
« On donne plusieurs pistes très opérationnelles.. » comme une première expérimentation rapide en terminale, qui délivrerait un «double bac» associant la voie HN avec l'une des trois formations classiques, et la création d'«un diplôme national reconnu par tous».
 
Quelles intentions ?
Pour aller au-delà de la simple lecture de cette proposition il faut analyser les intentions du CNNum que l'on retrouve en filigrane dans notre entretien avec Ludovic BLECHER.
« L'intention est que ce nouveau bac serve à la fois de symbole, de catalyseur et de banc d'essai », précise le rapport Jules Ferry 3.0 qui ajoute : « il s'agit ... d'inventer le bac de l'individu créatif de la civilisation numérique ».

Un bac qui se positionne « au croisement des sciences, lettres, et sciences humaines et sociales, en décloisonnant ces champs du savoir » et « inclut les disciplines classiques sans en délaisser aucune. »
 
L'expérience montre en effet que toucher au baccalauréat est difficile et long car ses détracteurs sont aussi virulents que tous ceux qui y sont attachés, d'ailleurs plus par tradition que par utilité et surtout parce qu'ils ne sont pas d'accords entre eux.
Alors on préfère l'aménager ici et là pour l'adapter
Les bacs professionnels comme les bacs technologiques sont certainement ceux qui se sont le mieux adaptés aux réalités de l'emploi et ont rapidement intégré des méthodes pédagogiques, des outils d'évaluation plus conformes aux réalités du monde du travail aujourd'hui. La démarche de projet y est prise en compte.

Mais le bac, pour le grand public et les médias, c'est avant tout les bacs généraux et la hiérarchisation de ces bacs donne une place prééminente au bac S , représentant le summum de l'élitisme républicain . Pour les élèves de cette série, pas de crainte, les algorithmes comme des éléments de littératie numérique y sont présents en particulier dans la spécialité Informatique et Science du Numérique en terminale S.
Les Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles, destination privilégiée pour et par les bacheliers S ont déjà des programmes modifiés où l'informatique, le numérique ont leur place .
Mais l'ouverture de cette spécialité ISN dans les autres séries de bac, comme cela avait été prévu, bien qu'expérimentée dans quelques classes n'est toujours pas d'actualité.
On peut donc comprendre pourquoi le CNNum ait placé la création de ce nouveau bac parmi les priorité du rapport Jules Ferry 3.0.
 
Au-delà de l'idée en soi, c'est donc bien la volonté de faire bouger un système qui a guidé le CNNUm.
Au lycée et précisément dans les séries générales, le baccalauréat constitue un des freins au développement du numérique et particulièrement des nouvelles méthodes pédagogiques et d'évaluation.
 

Il s'agit donc avant tout de proposer un nouveau baccalauréat où « enseigner autrement, avec des pédagogies orientées autour de projets surtout collaboratifs, des classes inversées, des supports numériques ( MOOCs), par essais-erreurs( naturels en informatique) , et ce en croisant le plus possibles les disciplines . La littératie numérique , loin de se rajouter à des champs disciplinaires, ou d'être « un supplément d'âme » aux enseignements classiques, traverse ainsi l'ensemble des pédagogies. »
 
Dans cette optique le rapport du CNNum, Jules Ferry 3.0 est bienvenu; et l'idée du Bac Humanités Numériques n'est-elle pas stimulante ?
 
Claude TRAN
Crédit photo : les 5 W
Dernière modification le vendredi, 05 février 2016
Tran Claude

Agenais de naissance Claude TRAN a été professeur de Sciences Physiques en Lycée, chargé de cours en Ecole d’Ingénieur, Inspecteur pédagogique au Maroc, chef d’établissement en Algérie comme proviseur du lycée français d’Oran ; en Aquitaine il dirigera les lycées Maine de Biran de Bergerac, Charles Despiau de Mont de Marsan et Victor Louis de Talence. Il a été tour à tour auteur de manuels scolaires, cofondateur de l’Université Sénonaise pour Tous, président de Greta, membre du conseil d’administration de l’AROEVEN, responsable syndical au SNPDEN, formateur IUFM et MAFPEN, expert lycée numérique au Conseil Régional d’Aquitaine, puis administrateurà l'An@é, actuellement administrateur Inversons la classe, journaliste à ToutEduc, chroniqueur à Ludomag.