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Comme technologie de l’écrit, le numérique change les conditions de production, d’accès et de diffusion des textes. Il change aussi nos pratiques de lecture/écriture, en particulier d’annotation, ces pratiques étant intimement liées au processus d’apprentissage lui-même. Pour reprendre les termes de François Bon (2011), l’ordinateur (auquel il faudrait ajouter au moins la tablette et le téléphone) est devenu le "lieu global de notre lire/écrire".
Nous sommes sans doute arrivés au point où tout livre, quel que soit son support physique, estnumérique dans la mesure où son écriture et sa lecture peuvent être à tout moment complétées par le recours aux informations et aux réseaux accessibles sur supports informatiques.
 
Le "texte en environnement numérique" (préféré ici à l’appellation restrictive de "livre numérique") donne ainsi les outils d’un retour (perpétuel) au texte et de mise en relation des mots et concepts (ce que permettent par exemple les outils de carte mentale) qui contribuent à sa compréhension, à son appropriation et à son partage.
En annotant, le lecteur se donne des outils de lecture et de compréhension d’un texte, tout enproduisant un nouveau texte, celui-ci lui fournissant en retour un outil d’entrée personnelle (et personnalisée) dans le texte initial et un nouvel outil pour sa (re)lecture.
 
Avec le numérique c’est donc toute la pratique de cette lecture/relecture qui est réinterrogée : en relisant un livre annotée par soi on relit sa propre lecture commentée.
Cette pratique (d’entrer dans le texte par ses notes - voir ci-dessous) se révèle particulièrement simple à mettre en œuvre sur tablette tactile, sur laquelle l’entrée par les notes est proposée à côté de la table des matières traditionnelle.
 
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Par ailleurs, l’annotation concerne de plus en plus l’ensemble des ressources en circulation, lesmétadonnées générées par l’utilisateur pouvant l’être aussi bien sur un texte que sur une image, un fichier audio ou une vidéo (par exemple avec l’outil de l’IRI Lignes de temps ou avec l’extension VideoNot.es de Google drive), dans le cadre d’un usage purement individuel ou sur les médias et plateformes de réseaux sociaux qui peuvent se concevoir comme des « communautés d’annotations ».
 
1. Que fait-on lorsqu’on annote ?
Un acte matériel et intellectuel instrumenté
Noter/annoter est un acte à la fois matériel et intellectuel. C’est un acte par définition instrumenté(par le crayon, le stabylo ou sur le poste informatique, via le clavier, l’interface tactile et autre tablette graphique) mobilisant un support de lecture/écriture et des outils de traçage (couplés avec une traçabilité des données inhérente aux postes et services informatiques). Comme trace matérielle et intellectuelle du dialogue entre le texte et le lecteur, l’acte d’annoter relève d’un mouvement de "lecture-écriture" archétypal du cheminement individuel au sein des environnements numériques de travail et des environnements personnels d’apprentissage. Il fixe - durablement ou pas - les traces du comportement de l’esprit face au texte (doute, compréhension ou incompréhension, interrogation, effort d’assimilation, rejet ou adhésion, etc.).
 
Outiller et informer un texte, s’informer par le texte
Annoter un texte c’est à la fois :
l’outiller de signes complémentaires pour aider à sa compréhension, en allant jusqu’à y apposer une ergonomie personnelle pour faciliter sa lecture ;
- y repérer et y relever des informations ;
- mettre en valeur les idées ou informations saillantes et les hiérarchiser ;
- fonder en source (y relever une source et/ou sourcer une information par une ressource externe) ;
- interpréter, commenter ;
- relever des éléments d’argumentation, etc.
La pratique d’annotation consiste donc à recréer perpétuellement le texte, en le fragmentant par sa lecture et sa relecture (qu’elle soit individuelle ou partagée).
 
Un guidage de la lecture/relecture
Ce qui rend l’annotation particulièrement précieuse pour le lecteur est qu’elle permet de se laisser des traces à soi-même pour se guider dans la lecture et l’étude du texte : se laisser des traces au cœur ou autour du texte pour y suivre l’évolution de sa propre lecture.
Comme acte de lecture et de relecture, l’annotation dans un environnement numérique met en évidence la nécessaire relecture de tout texte destiné à la culture et à l’apprentissage.
 
Un acte de lecture différenciée
Annoter est aussi, voire surtout, la matérialisation du fait que - d’un lecteur à l’autre - on ne lit jamais le même texte. Nos annotations traduisent non seulement nos modes de lecture, mais aussi les multiples façons dont nous percevons le sens et la substance d’un texte (voir par exemple à ce sujet le Hamlet de Pierre Bayard, 2002).
 
Un acte d’apprentissage
Annoter relève d’une démarche de mémorisation ou accompagne le processus de mémorisation des informations contenues dans un texte, quand il ne s’agit pas du texte lui-même in extensolorsque l’objectif est de pouvoir le "réciter".
Annoter devient alors pleinement un geste performatif, une inscription matérielle visant une inscription mémorielle.
Mais instrumenter l’annotation dans un cadre pédagogique revient aussi à marquer l’hésitation, à prendre en compte la possibilité de l’erreur, à permettre le retour sur le geste, la manipulation du texte et l’exercice.
 
Un acte de communication dans le cadre d’un travail collaboratif
Outre la communication avec soi-même au sein d’un texte, l’annotation permet une communication à propos d’un texte au sein d’un groupe : c’est le cas par exemple au sein d’un forum, d’un blog, voire sur tout support collaboratif ou média social. Cette pratique d’annotation sociale est un thème déjà étudié par certains chercheurs (voir par exemple les travaux scientifiques référencés sur le site de Myriam Lewkowicz). Un article de 2006 aborde ainsi "l’annotation comme moyen, à la fois de soutenir la négociation, de produire des fragments textuels, et aussi d’indexer finement des documents et fragments existants". L’annotation y est définie comme étant "avant tout un élément de communication, [permettant] l’échange entre divers auteurs d’interprétation, d’opinion, de critiques,...".
Cette optique est aussi celle adoptée par des applications récentes comme "Now comment" qui propose de "faire de ses documents des conversations".
 
2. Quelles sont les caractéristiques (existantes et attendues) de l’annotation numérique ?
Panorama des gestes et actes de l’annotation numérique
Lorsqu’ils interviennent en superposition d’un support préexistant, les actes d’annotation (écrire-tracer-dessiner) constituent le "marquage" instrumenté d’un texte et éventuellement de ses illustrations :
Souligner - Surligner - Entourer - Barrer - Cocher - Ecrire autour/à côté/en marge - Schématiser une idée, un propos
 
On peut ainsi passer en revue les outils proposés par une liseuse comme iBooks sur iOS et une application mobile complémentaire pour l’annotation des PDF comme MarginNote.
 
iBooks (au 23/03/14) 
  • Sélection d’un bloc texte puis ouverture des fonctions suivantes : copier/définition/surlignage/note/rechercher/partager.
  • La fonction surlignage ouvre une palette de couleurs, une fonction note en commentaire de type "post-it" et une fonction sociale (vers iMessage, Mail, Twitter, Facebook).
Lien vers l’application :
 
MarginNote (au 23/03/14)
  • MarginNote est une application freemium permettant d’annoter un fichier PDF.
  • Les principales fonctions sont les suivantes : note écrite, stabylo, commentaire.
  • La fonction d’annotation en commentaire est enrichie d’un outil de carte heuristique.
  • L’application permet en outre de capturer une image de la note (et de la placer dans son album photo) et de compléter par une note vocale (en accédant au micro de la tablette).
Lien vers l’application : https://itunes.apple.com/us/app/marginnote-take-notes-on-pdf/id723205553?mt=8
 
En élargissant à un autre type de ressource, l’exemple de Vidéonot.es illustre quant à lui un usage d’annotation de vidéo sur support distinct, avec une possibilité de synchronisation.
 
Videonot.es
  • Videonot.es est une application en ligne d’annotation de vidéo, qui peut être utilisée comme extension de la suite Google drive.
  • Son interface d’édition est composée de deux parties : à gauche l’affichage de la vidéo encapsulée, à droite une fenêtre de saisie pour annoter et commenter la vidéo. L’annotation peut être synchronisée ou pas avec la vidéo.
  • Par défaut les notes sont intégrées à l’environnement Google doc et peuvent être exportées sous Evernote.
Lien vers l’application : http://www.videonot.es/
Synthèse des caractéristiques de l’annotation numérique
L’annotation est une fonction logiquement attendue dans tout environnement numérique textuel et devrait tendre vers les caractéristiques suivantes :
  • modifiable et (mais) traçable : elle est évolutive en fonction des lectures/relectures tout en gardant mémoire de cette évolution (à l’image de ce que permet Framapad) ;
  • récupérable et pérenne : elle doit pouvoir être récupérée et conservée, en restant corrélée au texte ou en étant isolée de celui-ci, aussi longtemps que le souhaite l’utilisateur ;
  • personnalisable/"personnalisante" : l’annotation numérique est par nature un outil personnel (choix des couleurs, du tracé, etc. comme l’illustrent les exemples ci-dessus) et qui personnalise le texte lui-même en y inscrivant la mémoire de ses lectures ;
  • sociale : elle doit pouvoir être communiquée, partagée, réutilisée et nourrir un dialogue à propos d’un texte.
Annotation et littératie
Sous ses formes multiples, l’annotation est donc l’expression et la "matérialisation" d’une lecture personnelle et active : le texte annoté devient le texte tel que je le lis, tel que je le comprends, tel que je peux éventuellement le transmettre ; et en retour, tel qu’il peut me servir de base et de support pour ma propre expression. A ce titre, elle peut s’intègrer pleinement aux compétences fondamentales que recouvrent les termes "littératie" et "translittératie" ("habileté à lire, écrire et interagir par le biais d’une variété de plateformes, d’outils et de moyens de communication, de l’iconographie à l’oralité en passant par l’écriture manuscrite, l’édition, la télé, la radio et le cinéma, jusqu’aux réseaux sociaux", cf. O. Le Deuff [2012], voir aussi E.Delamotte, V. Liquete et D. Frau-Meigs [2014]).
Comme perfectionnement de l’outillage du texte, le numérique contribue donc à une meilleure instrumentation de la pensée en actes, qui peut elle-même faciliter la production de nouveaux textes et de nouveaux savoirs.
Sources et ressources
Généralités
Un exemple de définition de l’annotation :
Écritures numériques - Dossier Educavox
Cycle Canal-U, Jack Goody et l’empire de la littératie (2012)
François Bon, Entretien avec le Café pédagogique (2011)
Eric Delamotte, Vincent Liquete et Divina Frau-Meigs, La translittératie ou la convergence des cultures de l’information : supports, contextes et modalités (2014)
Frédéric Kaplan, Le cercle vertueux de l’annotation (2012)
Dominique Lacroix, Nouveau chantier : l’écriture informatique et réticulaire (2007-2012)http://reseaux.blog.lemonde.fr/2012/12/08/nouveau-chantier-ecriture-informatique-reticulaire/
Notes de lecture sur l’ouvrage de Clarisse Herrenschmidt, Les Trois écritures. Langue, nombre, code (2007)
Olivier Le Deuff , La translittératie en débats (2012)
Bernard Stiegler, Pourquoi et comment philosopher dans l’internation ? (2013)
Annotations montrées au cours de son exposé et en particulier à 1:46:00
A noter dans la même vidéo, un passage essentiel à 1:52:00, au moment où il déclare : "à l’Ecole on doit apprendre à annoter et pas seulement à lire, écrire, répéter".
Marcello Vitali-Rosati, L’annotation : le savoir dans la marge (2014)http://blog.sens-public.org/marcellovitalirosati/lannotation-le-savoir-dans-la-marge/
 
Outils et pratiques d’annotation et de lecture sociale 
Evernote
Socialbook
Un exemple de réseau social de lecture
Logiciel Lignes de temps - IRI
Panorama de logiciels sur le blog Bouquineo
Extension Google Drive pour annoter une vidéo http://www.videonot.es/
Version abrégée d’un article publié dans le carnet de recherche http://education.hypotheses.org/96
 
Crédit image :
Une main tenant un stylo (statue d’Isaïe sur la Piazza Spagna à Rome)
Dernière modification le lundi, 09 novembre 2015
Allouche Elie

Chef de projet recherche appliquée et incubateur de projets numériques

Bureau du soutien à l’innovation numérique et à la recherche appliquée (DNE TN2)

Chargé du carnet Hypothèses "Education, numérique et recherche" https://edunumrech.hypotheses.org/ #GTnum 

Direction du numérique pour l’éducation - Ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse