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Je reviens de la session Ludovia 2015 et comme l'année dernière j’ai choisi d’assister aux tables rondes qui traitaient du rôle des collectivités locales. Ce n’est évidemment pas le thème le plus enthousiasmant en terme d’affichage (je l’avais déjà souligné). Il aurait été plus distrayant de regarder les dernières innovations, les derniers usages instrumentés, par la dernière solution à la mode. Mais … Je préfère depuis longtemps la vision méta de mon métier à la vision micro. L’éducation est éminemment une question politique (la polis) où il s’agit de penser un mode d’organisation et ses possibles évolutions. Je prends de plus en plus de distance sur le pilotage  du numérique éducatif par le prisme de l’envie du geek.

Il était donc question de l’introduction du numérique dans les établissements (école, collège, lycée, université). Un sujet d’une très grande complexité, tant au niveau conceptuel, qu’organisationnel.

C’est ce dernier point que je souhaite développer dans ce billet.

Dans cette réflexion nous avons deux pôles principaux, d’un côté les collectivités, en charge de financer les infrastructures numériques, de l’autre, les enseignants qui doivent instrumenter leurs enseignements.

Présentées comme cela les choses sont simples mais la réalité me semble être plus complexe car entre les deux pôles, le courant conducteur passe par une chaîne d’une rare complexité.

Si je simplifie à l’extrême le modèle, nous avons d’un côté un enseignant dans sa classe face à ses élèves. Fort des solutions qui lui sont proposées, des directives qui l’invitent à intégrer le numérique dans ses pratiques, il va tenter de les modifier mais c’est souvent seul (ou réduit à l’équipe locale).

Je reste persuadé que l’enseignement participe encore largement d’un exercice solitaire, un métier où l’on a pas ou peu la culture du partage et de la mutualisation. Ce n’est pas parce que l’on répète à l’envi qu’il faut collaborer et coopérer  que c’est une vérité. Je viens de lire un article de Philippe. Meirieu -Entretien  accordé  par  Philippe  Meirieu  au  journal  Le  Monde dans  le  cadre  du  dossier  paru  dans  le  numéro  du  vendredi  28  janvier 2015 : 

«L’innovation,  c’est  classe» – «La cohérence  pédagogique  ne  peut  être  décrétée,  elle  doit  s’élaborer  sur  la  durée»

qui me conforte dans cette idée. Je me permets d’en citer un passage :

« il  faut  bien  garder  en  tête  que  les  enseignants  parlent  très  peu  de  leurs  pratiques  pédagogiques  entre  eux;  la  plupart  des concertations  sont  essentiellement  «institutionnelles»  et  portent  sur  des  problèmes  d’organisation.  Le  face-­à-face  pédagogique  reste  du  domaine  privé  dans  l’imaginaire  collectif  enseignant  :  on  ne  dévoile  ni  ses  problèmes  ni  ses  solutions  aux collègues.  L’enseignement  est  un  des  métiers  où  la  mutualisation  est  la  plus  faible… Et  cela  constitue  une  entrave  considérable  à  la  véritable  innovation. » Le Monde 2015

De l’autre côté nous avons les collectivités locales et l’État en charge de déployer le numérique. L’institution à la culture de la concertation, elle est ancrée, car les enjeux sont de taille, ils se chiffrent en millions d’euros d’argent public.

À l’écoute des différentes tables rondes j’ai découvert un empilement de structures et de services qui se concertent pour œuvrer au développement du projet numérique.

J’ai essayé de lister les organismes et services impliqués

Communes, conseils départemental, Région, communautés de communes, COPIL de projets, SDET, DNE, ADF, ARF, CNFPT, ANDVE, inspections disciplinaires, comités d’appels à projets, DANE, CARDIE, Canope, projet d’établissement, projet académique … j’en oublie sûrement. Je dois bien avouer qu’il me faudrait un temps assez long pour cartographier cette multitude. Ce qui m’inquiète c’est que la logique de mon métier voudrait que je connaisse parfaitement cette organisation.

Je ne doute pas de l’efficacité du système mais les enseignants sont en bout de chaîne et un peu isolés. Je me demande quel est celui qui maîtrise parfaitement la complexité de cette chaîne de décision ? Les expérimentations qui sont engagées nécessitent de passer du stade micro (établissement) au stade macro (multi-établissements). Il a été dit dans les débats que l’expérimentation est souvent un « One shot » or l’objectif est de « généraliser » ou de tenter de …

Comment faire alors pour concilier une organisation très structurée qui sait se concerter, qui impulse une politique numérique avec les usages des enseignants beaucoup plus atomisés ?

L’intérêt des expérimentations est bien de tester, d’observer et d’en tirer le bilan à fin de diffusions aux cohortes suivantes.

Je vois ici émerger une compétence, celle de la prise de recul réflexif. Il me paraît difficile de s’engager dans le développement d’usages numériques dits innovants et de rester uniquement dans le faire, sur une base locale. L’analyse sur retour d’expérience est centrale. Je vais être provocateur mais j’ai du mal à comprendre que les collectivités locales n’exigent pas des retours d’expériences circonstanciés. J’imagine que le tabou de la partition entre  compétence pédagogique et compétence d’équipement est plus forte que le bon sens.

Plusieurs pistes sont à explorer :

  • Former les jeunes enseignants dans les espé à la méthode de recherche pour les préparer à analyser les évolutions de leur métier ;
  • Prévoir un temps de formation pour les enseignants impliqués dans les expérimentations ;
  • Demander aux enseignants engagés dans les expérimentations de fournir des bilans « d’expé« 
  • Associer plus fortement les enseignants aux logiques projets ;

Je ne propose pas ici d’ajouter du travail au travail mais d’inscrire la logique d’analyse comme un élément majeur des expérimentations, formalisé dans un contrat cadre avec obligation de résultat. Tout travail méritant rémunération, on pourrait imaginer (sans gréver fortement les budgets) de rémunérer ce travail d’analyse nécessaire pour passer du local au global.

L’enjeu est de créer une connexion entre l’impulsion de politiques locales et les usages des enseignants. Donner des éléments de méthode de recherche pourrait être, me semble t-il, un élément de réponse fort.

Je propose ici des pistes, je sais que l’on va probablement me répondre que les lieux de concertations existent mais je persiste à penser que le cloisonnement est prégnant et bloquant dans la grande chaîne de décisions. Le laboratoire Techné de Poitiers semble être un début de réponse à mon questionnement puisque la recherche est impliquée dans le déploiement des expériences. Je pense ici aussi aux Savanturiers de François Taddéi, si l’on peut associer les enfants à la recherche, il doit être possible d’en faire autant avec les enseignants – Voir l’interview de François Taddei sur Nipedu

Post scriptum : Je me pose une question d’ordre politique. Pendant combien de temps les collectivités locales vont-elles continuer à financer des projets sans pouvoir obtenir des retours sur les usages ?

Mon blog est ouvert pour engager le débat, je suis même prêt à venir en débattre sur site.

Dernière modification le dimanche, 06 septembre 2015
Moiraud Jean-Paul

Cherche à comprendre quels sont les enjeux des perturbations du temps et de l'espace dans les dispositifs de formation en ligne. J'observe comment nous allons passer du discours théorique sur les bienfaits des modes collaboratifs à l'usage réel. Entre collaboration sublimée et usages individualistes de pouvoir, quelle place pour le numérique ?
 
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