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Auteur : Luc Renaud Collaboration : Rachel Malo - Une aventure qui a du chien (1) est un produit-maison, une histoire sans fin présentée sous la forme de clips de trois à quatre minutes visant des objectifs à la fois distincts et complémentaires pour les étudiants en français langue seconde (FL2) et pour les auteurs de l’émission. Alors que pour les uns il s’agit d’accroitre le temps consacré à l’apprentissage et de se construire une batterie d’outils dans une démarche axée sur l’autoformation ; pour Rachel et moi, la série permet de nourrir notre créativité, de nous faire cadeau, et de vivre des modalités de travail d’inspiration socioconstructiviste.
Et, ensemble, nous mettons en œuvre un dispositif dynamique, d’instants « magiques » de création collective. C’est ce que notre expérience relatée dans le présent article tentera d’illustrer.
 
 
1) De la création d’un micromonde éducatif à un sentiment de participation à une création collective
 
 
A priori, des objectifs du radioroman se définiraient comme suit : développer chez l’étudiant en FL2 des stratégies d’écoute et l’exposer de manière ludique à des situations langagières à la fois loufoques et philosophiques : une manière d’intégrer le jeu sérieux dans son apprentissage. Couplé à d’autres tâches, l’exercice permet de construire une bulle immersive en FL2 grâce à laquelle l’étudiant multiplie le temps consacré à son apprentissage, souvent sans se rendre compte qu’il exécute des tâches de révision ou de renforcement des acquis dans une période de devoirs non-imposée. Le référentiel culturel de ce micromonde reflète aussi des manifestations typiques de la société d’accueil. En cela, nous respectons des principes pédagogiques reconnus lors de la conception de notre série.
 
 
Chaque épisode est réalisé de façon hebdomadaire, sans scénario préétabli, avec des moyens simples et à la portée de tout enseignant : un enregistreur vocal numérique et un logiciel de montage vidéo de type Movie Maker. Qui plus est, le récit est créé sur un coin de table à la bibliothèque municipale, de la cafétéria d’un chalet d’un centre de la nature ou d’un restaurant. S’ensuit la réalisation d’un découpage technique et la recherche d’images afin de procéder au montage que nous diffusons sur YouTube afin d’en faciliter l’accès aux étudiants dans le groupe Facebook de la classe. Bien que l’émission soit diffusée en circuit protégé, il nous arrive occasionnellement d’en faire une exploitation pédagogique directe en classe.
 
 
Pas très sérieux, direz-vous. Jusque-là, notre œuvre reflète une démarche de conception plutôt classique de type vertical. C’est que cette série s’inscrit dans une démarche pédagogique beaucoup plus complexe et la confection de plusieurs autres outils d’apprentissage. D’une certaine manière, il s’agit pour nous de mettre en valeur notre sens de la créativité et du jeu, le produit final jouant pour le moment un rôle de second plan.
 
 
Toutefois, notre mode de travail est guidé par une bonne sensibilité à l’endroit de principes issus de la recherche-action, qui nous sert de fil conducteur. Par exemple, de simples bénéficiaires de services, les étudiants deviennent partiellement des cocréateurs de l’émission dans une dynamique s’apparentant à la création collective. Et ce, justement parce que chaque épisode est soumis rapidement à l’épreuve de la clientèle, qui aura un impact sur la réalisation des épisodes suivants. À la suite de discussions avec les étudiants, par exemple, nous avons ajouté aux épisodes et transcriptions des exercices de compréhension interactifs à l’aide d’éditeurs électroniques commeHotpotatoes.
 
 
Mais la contribution des étudiants au développement de la série ne s’arrête pas là. S’il est vrai que Rachel et moi élaborons un canevas imprégné de nos propres fantaisies ; comme professeurs sur le terrain, nous prenons note de situations vécues en compagnie des étudiants et de commentaires, de questions et d’anecdotes entendus en classe. L’émission est même née à la suite d’une sortie de groupe à la cabane à sucres (2). De cette manière, le radioroman permet de tirer profit d’un contexte communicationnel fertile, composé de potins revus à notre manière, de l’expression de l’humour et du partage des fous rires de tous, etc. ; il s’agit, dirions-nous, de valoriser et d’« immortaliser » des instants magiques du vécu scolaire, autrement éphémères ; ce qui, croyons-nous, constitue une belle stratégie d’intégration socioculturelle.
 
 
2) Alimenter le sens de la créativité et apprendre à faire équipe dans le développement de projets
 
 
De retour à l’enseignement à plein temps en 2012, j’ai eu l’impression que les compétences nécessaires à la gestion et au développement de projets pouvaient différer de celles de l’enseignement et de l’animation de groupe. En ce sens, je comptais m’inscrire à des ateliers d’écriture humoristique de l’École nationale de l’humour, question d’offrir un spectacle singulier aux étudiants, ce qui n’est demeuré qu’une idée. Je me suis plutôt associé à une praticienne d’expérience, dans une perspective d’échange d’expertise et de développement de projets.
 
 
En nous attaquant à la création de nos épisodes de radioroman, Rachel et moi tentons d’alimenter chacun pour soi et entre nous une sorte de culture de la créativité, reflétant la fibre ludique et humoristique initialement recherchée, en y intégrant une batterie de stratégies communicationnelles sur le plan de l’exploitation pédagogique de nos produits. Nous souhaitons, par la même occasion, offrir aux étudiants un modèle de travail socioconstructiviste original et inspirant, contribuant ainsi à l’émergence d’un bouillonnement créatif de tous les acteurs du cours. Mission accomplie : Plusieurs étudiants ont reconnu cette valeur ajoutée à leur formation. Ceux qui nous ont parlé voient clairement que notre enseignement du FL2 s’inscrit dans une démarche de travail plus englobante, axée sur le développement de projets, ce qui les inspire et les encourage à se surpasser dans leur propre processus d’intégration socioprofessionnelle.
 
 
Notre démarche créative constitue aussi pour nous un défi en matière de d’enseignement par les pairs. Nos traits personnels y sont confrontés, de même que notre vision parfois divergente de l’évolution de l’intrigue. Nous devons aussi nous doter d’un plan de travail et de partage des tâches, en arriver à une certaine uniformité dans nos styles d’écriture, etc., ce qui soulève d’intéressantes questions sur la gestion des rapports humains dans les projets socioconstructivistes et nous force à nous interroger sur les défis communicationnels de nos étudiants de culture et de langue différentes, aussi impliqués dans la réalisation de projets collectifs.
 
 
Ce défi sur le plan de la conception pédagogique est d’autant plus grand que notre équipe oeuvre la plupart du temps dans un contexte interniveau, Rachel et moi donnant souvent des cours différents. Il nous faut alors trouver des points d’entente spécifiques sur la complexité des contenus à développer et consacrer beaucoup plus notre énergie à l’harmonisation de processus éducatifs et de procédures de développement d’outils d’enseignement et d’apprentissage. Bref, nous travaillons conjointement et de manière novatrice à la réalisation de deux cours différents au lieu d’un seul. Nous traiterons cette question dès plus intéressantes dans un autre article.
 
 
Il est clair, par ailleurs, que chacun de nos projets est perçu comme une semence. Dans le cas du radioroman, nous nous questionnons sans cesse sur les suites à donner et sur l’établissement éventuel de partenariats. Nos contenus devraient-ils intégrer des entrevues menées auprès d’intervenants d’organismes spécialisés dans le dressage de chiens pour aveugles ou de spécialistes en zoothérapie, avec le chien de notre histoire en toile de fond ? Devrions-nous créer nos oeuvres en public ? Et ce faisant, dans quelle mesure conviendrait-il d’impliquer davantage des étudiants en FL2 dans l’élaboration des contenus des épisodes comme tel ? Bref, nous sommes ouverts à la possibilité de faire migrer ce simple projet scolaire dans un complexe technopédagogique de grande envergure.
 
 
Conclusion
 
 
Après une vingtaine de lectures hebdomadaires d’extraits de roman et de pièces de théâtre, mis en ligne pour exposer l’étudiant en FL2 à la langue cible de manière ludique, nous nous sommes lancés dans la création d’une œuvre originale, Une aventure qui a du chien, en suivant un processus de conception à la portée de tout enseignant. Notre histoire illustre notre imaginaire, certes, mais accorde une grande place au vécu de la classe et aux relations entre étudiants et entre ceux-ci et l’enseignant afin de contribuer de manière systémique à l’émergence d’une culture de la créativité.
 
 
Dans notre histoire sans fin, nos étudiants deviennent à la fois auditeurs et créateurs, ayant un mot sur les contenus et l’exploitation pédagogique de ceux-ci ; alors que nous, les instigateurs du projet, sommes amenés à mieux nous connaitre et à mieux enraciner nos productions dans un référentiel culturel signifiant. D’une certaine manière, de telles aventures visent le maintien et le développement de rapports humains inclusifs et essentiels, entre autres, à la mise en place d’un réseautage dynamique et efficace.
 
 
 
Notes
 
 
 
(1) Voir la démarche plus que le produit
 
 
Une aventure qui a du chien est, pour l’instant, un simple projet de classe sans but lucratif. En ce sens, le titre de la série et les contenus développés jusqu’à maintenant sont sujets à d’importantes modifications ultérieures. C’est pourquoi nous ne joignons aucun exemple d’épisode au présent article. Par contre, nous comptons bien présenter notre démarche de travail et l’impact de celle-ci dans d’éventuelles conférences afin de contribuer à outiller des enseignants intéressés à ce type d’activités éducatives.
 
 
(2) Genèse de Une aventure qui a du chien
 
 
Lors d’une sortie à la cabane à sucres, de nombreux étudiants et professeurs voulaient être photographiés aux côtés du bouvier bernois des propriétaires. Rachel et moi n’avons pas fait exception. Malheureusement, l’étudiant responsable de prendre la photo a appuyé sur un mauvais bouton, ce qui nous a privés de la photo convoitée. Obstinés, nous sommes retournés à la cabane à sucres deux semaines plus tard, pour y apprendre que le chien avait été conduit à l’hôpital vétérinaire pour y subir une intervention chirurgicale qui devait, en fin de compte, lui être fatale. À temps perdu, nous sommes donc partis à la recherche d’un autre bouvier bernois, que nous avons trouvé six mois plus tard dans une école de dressage pour chiens. Cette anecdote véridique met la table à une intrigue fantaisiste, quelque peu mystique, à la création de personnages d’enquêteurs, à la réalisation de plusieurs épisodes de radioroman et de sous-dérivés pédagogiques. Avis aux intéressés. Nous sommes actuellement à la recherche d’un chien husky groenlandais, ou chien du Groenland, pour une autre photo. Ce chien de traîneau est difficile à dénicher à Montréal.
 
 
Quelques mots sur les auteurs :
 
 
Luc Renaud est spécialisé en technologie éducationnelle et enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Détenteur d’une maitrise en éducation, il a aussi été chargé de cours à l’Université de Montréal dans le domaine de l’intégration pédagogique des TIC, et a participé à des projets de recherche portant sur la formule hybride et le socioconstructivisme. Il possède également une solide expertise en développement et expérimentation de formations en ligne et s’intéresse vivement à la collaboration internationale.
 
 
Rachel Malo enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Elle a fait des études en linguistique et a une bonne connaissance de l’évaluation des apprentissages. Elle a développé et travaillé à des cours expérimentaux en français avancé et en insertion au marché du travail. Elle s’intéresse aux TIC et travaille à différents projets de ces technologies en salle de classe. Elle avoue un intérêt marqué pour la collaboration internationale.
 
 
Depuis quelques mois, Luc et Rachel ont démarré une firme de consultants en technologie éducationnelle, La boîte à idées E.T. Ideas Box et conjuguent leurs forces dans une perspective de développement de projets à portée locale, régionale et internationale.
Renaud Luc

Luc Renaud est spécialisé en technologie éducationnelle et enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Détenteur d’une maitrise en éducation, il a aussi été chargé de cours à l’Université de Montréal dans le domaine de l’intégration pédagogique des TIC, et a participé à des projets de recherche portant sur la formule hybride et le socioconstructivisme. Il possède également une solide expertise en développement et expérimentation de formations en ligne et s’intéresse vivement à la collaboration internationale. 
Mal à l’aise dans le milieu scolaire, il croit à une remise en question continuelle de l’école ; il tient d’ailleurs un blogue, L’éduc-acteur, le Blogue de Luc Renaud, sur des thèmes variés, qui mettent de l’avant l’importance de l’autoformation.
Il est aussi entrepreneur, ayant démarré récemment une entreprise de consultant en technologie éducationnelle, La boîte à idées E.T.L.R. Ideas Boxdans la région de Montréal.


Montréal, Québec (Canada)