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Je l’ai souvent écrit ici, j’aime pratiquer la réflexion buissonnière, celle qui consiste à emprunter les petits chemins de traverse de la pensée. Je m’affranchis ainsi de l’obligation d’arpenter les grands boulevards où je me sens  contraint et bridé. Je crois avoir appelé, dans d’autres écrits,  cette liberté intellectuelle  le bricolage, ou bien la ruse lorsque  j’étais encore naïvement persuadé que j’avais une once de liberté dans l’expression de la réflexion.

 Être bridé, a aussi une signification corporelle, à savoir ne pas pouvoir réaliser les gestes que l’on souhaite, être corseté, avoir les ailes coupées.

En sillonnant les sentiers buissonniers de l’A.cadémisme (a privatif) je me suis retrouvé à contempler une photo de Matisse en train de peindre. Je la connaissais mais elle ne m’avait jamais ainsi parlé. Le charme des petits chemins fait que l’on est empêché par rien, on peut laisser son esprit aller là où il a envie.

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Que me dit cette image de Matisse en train de peindre ? Elle est pour moi une très belle métaphore sur le geste dont j’ai déjà parlé dans ces colonnes. J’imagine (mais je ne suis pas un spécialiste de l’art) que le maître avant de maîtriser sa création avec cette perche à déconstruit une certaine façon du penser/faire. Le mode le plus habituel est de concevoir avec une batterie de pinceaux. La dimension modeste des objets contraint le corps à se placer à proximité de la toile, à obliger la main à un geste précis limité à la longueur du bras. La pauvreté de mes mots peine à décrire cette gestuelle savante mais elle donne je l’espère un résumé éclairant.

Faire le choix de peindre avec une perche est un acte révolutionnaire, de mon point de vue car il faut s’affranchir des routines acquises qui aident à libérer toutes les capacités de l’esprit créatif. On peut imaginer (j’aime imaginer, j’accepte donc de me tromper) que le grand maître en adoptant ce nouveau dialogue instrumental a osé un nouveau rapport de création en malmenant son corps et ses acquis.

N’est ce pas une belle métaphore pour nous autres pédagogues ? Et si nous acceptions de découvrir, d’adopter de nouvelles gestuelles éducatives, un nouveau rapport au corps apprenant, au corps pensant ?

À la façon du maître cela passe par une déconstruction (peut être douloureuse ?) et par une construction nouvelle mais féconde (?).

En tout cas l’introduction du numérique dans nos usages pédagogiques, ne peut être conjuguée avec l’ancienne grammaire du corps. Quels sont ces nouveaux gestes, quelle est la nouvelle grammaire qui se dessine dans notre rapport au numérique ? Nous avons ici un champ d’observation immense qui s’offre à nous … Peut être faut-il alors, à ce stade revenir sur les grands axes de l’académisme (sans privatif cette fois) si l’on veut avancer.

Proche de la toile
Éloigné de la toile


Matisse et le geste de peindrepar supervielle

Dernière modification le samedi, 12 mars 2016
Moiraud Jean-Paul

Cherche à comprendre quels sont les enjeux des perturbations du temps et de l'espace dans les dispositifs de formation en ligne. J'observe comment nous allons passer du discours théorique sur les bienfaits des modes collaboratifs à l'usage réel. Entre collaboration sublimée et usages individualistes de pouvoir, quelle place pour le numérique ?
 
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