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Résumé : 
L’un des enjeux de l’apprentissage de la lecture est l’efficience des procédures d’identification de mots. Au début de l’apprentissage, les mots sont identifiés en établissant des correspondances entre les graphèmes et les phonèmes, mais dès qu’il maîtrise le principe alphabétique, l’enfant francophone a recours aux unités syllabiques.

Un entraînement intensif focalisant l’attention sur la segmentation syllabique aide les plus faibles lecteurs à identifier les mots. Quel rôle peut être celui de logiciels de remédiation face à ces difficultés ?

Recommandations : 
Pour être efficaces, les entraînements visant à améliorer la capacité à identifier les mots écrits doivent :

  • porter spécifiquement sur les compétences phonologiques et la voie d’assemblage (entraînement ortho-phonologique) ;
  • proposer un enseignement explicite de l’habileté entraînée (approche dite skill emphasis) ;
  • être effectués en petits groupes ou en individuel ;
  • être répétitifs et intensifs (tous les jours pendant quelques semaines) ;
  • comporter un renforcement positif en cas de réponse correcte (indiquer la qualité de la réponse et féliciter l’enfant) ;
  • fournir un feed-back correctif en cas de réponse erronée.

L’identification de mots écrits : quelles unités de traitement ?

L’une des principales sources des difficultés en lecture est liée à l’identification de mots, composante spécifique de la lecture. S’il existe aujourd’hui un consensus sur le rôle du décodage phonologique au cours de l’apprentissage de la lecture, la question du format des unités impliquées dans le traitement phonologique des mots écrits reste posée. Le type d’unités utilisé dans le processus de segmentation semble lié aux caractéristiques phonologiques de la langue et la syllabe pourrait être une unité de traitement privilégiée pour le français, comme le montrent les études réalisées par les équipes d’Annie Magnan à l’Université Lyon 2 (Maïonchi-Pino et al., 2010 ; 2012), de Stéphanie Mathey à l’Université de Bordeaux 2 (Chetail & Mathey, 2009) et de Nadège Doignon à l’Université de Strasbourg (Doignon & Zagar, 2005).

Ces travaux suggèrent qu’en français, dès que l’enfant maîtrise le principe alphabétique, les correspondances écrit-oral s’établissent par l’intermédiaire des unités syllabiques grâce auxquelles le processus d’identification de mots écrits devient plus efficace car moins coûteux cognitivement (il est plus facile de découper le mot /mardi/ en deux syllabes qu’en cinq phonèmes).

La méta-analyse de Linnea Ehri (Ehri et al., 2001) qui visait à évaluer l’effet d’un entraînement des capacités d’analyse phonémique sur cet apprentissage dans 52 études met clairement en évidence que l’effet le plus notable est obtenu quand les enfants manipulent les lettres ou groupes de lettres correspondant aux phonèmes. Depuis les résultats de cette méta-analyse, les systèmes d’aide à l’apprentissage de la lecture se sont focalisés explicitement sur les liens entre unités orthographiques et phonologiques.

Il est aujourd’hui largement admis que l’efficacité d’un entraînement phonologique est accrue si celui-ci est associé à l’apprentissage des règles de correspondances grapho-phonologiques.

Un nombre important d’études majoritairement anglo-saxonnes s’est ainsi centré sur de tels entraînements. Les études interlangues ont mis en évidence un effet de la langue sur la nature du décodage grapho-phonologique. La « théorie de la granularité » (Ziegler et Goswami, 2005) explique les différences inter-langues au cours de l’apprentissage de la lecture en tenant compte de l’interaction de deux facteurs, la régularitédes correspondances graphèmes-phonèmes et la taille des unités psycholinguistiques (la granularité). Si les liens orthographe-phonologie sont fondamentaux dans toutes les langues, la taille des unités impliquées diffère selon la langue.

Des logiciels de remédiation des difficultés d’identification de mots écrits

Si en français les correspondances grapho-phonologiques se construisent par l’intermédiaire des unités syllabiques, alors un entraînement intensif focalisant l’attention des enfants sur la segmentation syllabique devrait aider les plus faibles lecteurs à identifier les mots.

Dans cette perspective, l’hypothèse de l’efficacité d’un entraînement intensif à la segmentation grapho-syllabique pour aider les faibles identifieurs a été testée auprès d’enfants français par Jean Ecalle et Annie Magnan au sein au laboratoire EMC à Lyon 2 (Ecalle et al., 2009 ; 2013) mais également dans d’autres langues transparentes comme l’ont montré Juan Jimenez de l’Université de La Laguna en espagnol (Jiménez et al., 2007) et Riikka Heikkilä de l’Université de Jyväskylä en finlandais (Heikkilä, et al, 2013). Il existe actuellement en France peu de logiciels issus d’hypothèses scientifiques et ayant été testés empiriquement.

Le logiciel Chassymo développé à Lyon 2 par Jean Ecalle et Annie Magnan propose une tâche d’entraînement relativement simple : l’enfant entend une syllabe, 500 ms après, celle-ci apparaît sur l’écran, puis 500 ms après, un mot est entendu. Il doit alors cliquer sur le chiffre correspondant à la position de la syllabe dans le mot vu et entendu. Un feed-back correctif est proposé en cas de réponse erronée. Un suivi longitudinal a été mené auprès de faibles identifieurs de CP en comparant un groupe entraîné au traitement grapho-syllabique à un groupe entraîné au traitement grapho-phonémique.

L’entraînement pour les deux groupes avait lieu pendant le temps scolaire 30 min par jour pendant cinq semaines (soit 10 h). Les courbes d’évolution des performances sur plus d’un an montrent qu’en fin de CE1, les enfants ayant bénéficié d’un entraînement grapho-syllabique en CP ont des performances supérieures en identification de mots (lecture silencieuse et à voix haute) et en compréhension écrite. En Finlande, l’équipe de Heikki Lyytinen a mis au point le logiciel GraphoGame qui vise un entraînement à la mise en correspondance entre graphème et phonème en présentant simultanément des unités en modalité auditive et visuelle dans le but de renforcer et d’automatiser le décodage chez les enfants en difficultés (Richardson et Lyytinen, 2014, pour une synthèse). Aujourd’hui, GraphoGame est un environnement informatique complet comportant de nombreux exercices, dont une version devrait être adaptée prochainement en France par Johannes Ziegler et son équipe (LPC, Aix-Marseille Université).

Poursuivant le même objectif de réduire les difficultés en lecture, Phil Abrami et son équipe (Université Concordia, Montréal) ont développé le logiciel ABRACADABRA qui a été testé auprès de jeunes enfants anglophones (Savage, Abrami, Hipps & Deault, 2009). Ce logiciel propose de nombreux exercices, tous issus des recommandations du National Reading Panel (2000) dont un entraînement à la connaissance des lettres, à la fluidité en lecture. Une version française de ce logiciel est disponible en ligne. Il s’agit d’une adaptation en langue française où la syllabe orale joue un rôle important dans les exercices proposés.

Conclusion

Ces outils de remédiation se situent explicitement dans une démarche de prévention comme réponse de première intention à l’école pour des enfants en difficulté d’apprentissage de la lecture. Par ailleurs, l’implémentation dans les classes de tels logiciels nécessite une formation et un accompagnement des enseignants comme l’a bien montré Karin Archer de l’Université Wilfrid-Laurier en Ontario au Canada (Archer et al., 2014).

* Annie Magnan - professeur de psychologie cognitive, laboratoire EMC, Université Lyon 2

Article publié sur le site : http://www.cndp.fr/agence-usages-tice/que-dit-la-recherche/des-logiciels-pour-remedier-aux-difficultes-d-identification-de-mots-ecrits-chez-les-enfants-102.htm

 

Dernière modification le vendredi, 13 janvier 2017
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Les usages du numérique éducatif : L'Agence nationale des usages du numérique éducatif est un site web de référence qui vise la compréhension des enjeux liés à l’évolution des pratiques professionnelles des enseignants dans un contexte numérique. Cette publication présente une veille sur les outils, ressources, services pédagogiques numériques pour l’Éducation, des résultats de la recherche internationale, des expériences d’utilisateurs dans la conduite des actions d’enseignement et d’apprentissage et une observation en continue des processus « usages » mis en œuvre dans le cycle de vie des projets technico-pédagogiques.

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