fil-educavox-color1

Article publié par Laurent Michel sur  le Webinet des curiosités
Suite de la première partie : après l’effet Mozart et le mythe du brain-training, je vous propose cette semaine trois autres de ces « neuromythes » qui envahissent nos dîners en ville. Tous ces mythes sont assez révélateurs d’une époque qui mise tout sur l’épanouissement individuel…
Mythe n°3 : on n’utilise que 10% de son cerveau
brain-readinea71-cef08
La requête « 10% of brain » renvoie 177 millions de résultats sur Google. Et c’est vrai qu’il faut avoir passé les vingt dernières années sur Mars pour ne jamais avoir entendu cette phrase. L’origine de cette histoire est assez floue, on l’attribue tantôt à Freud, tantôt à Einstein et il est probable qu’aucun des deux ne se soit jamais prononcé sur le sujet. A moins qu’elle n’ait été inspirée par ces rats dont la mémoire était préservée alors qu’on avait détruit 90% de leur cerveau ?
 
Bien que les IRM montrent depuis longtemps que tous les neurones sont actifs à un moment ou à un autre, ce mythe a la vie dure. Sans doute parce que, comme le mythe du cerveau-muscle, il renvoie l’idée flatteuse que nous avons tous un gigantesque potentiel cérébral inexploité. Peut-être que les images des publications scientifiques -montrant de toutes petites zones du cerveau en couleur et le reste en gris- confortent aussi cette idée. On a tendance à prendre ces images pour des photos alors qu’il s’agit d’une visualisation purement statistique de l’activité cérébrale.
Notre cerveau quand on lit : pas beaucoup d’activité on dirait !©Proceedings of The National Academy of Sciences
Mais là encore il y a un petit peu de vrai derrière la légende, si l’on en croit le neurologue Richard Cytowic. Selon lui, on a certes besoin de tous nos neurones, mais leur consommation énergétique serait trop importante s’ils fonctionnaient tous en même temps. Du coup, nos différentes cellules neuronales alternent phases de repos et d’activation de sorte que seules 5 à 15% d’entre elles soient actives à un instant donné :
 
Mythe n°4 : Tout se joue avant trois ans
41fpgeiAzmL bfbb-bec05
Dans la même veine que l’effet Mozart, il existe la croyance que certains apprentissages doivent se faire idéalement avant trois ans. Ce serait le cas de l’apprentissage de la musique, d’une seconde langue native etc. Là encore, remarque Elena Pasquinelli, il y a bien un fond de vérité dans la notion de période critique : durant les 12 à 16 premières heures de leur vie les bébés oies suivent le premier objet en mouvement qu’ils voient. Généralement c’est leur mère, mais s’il s’agit d’un ballon l’oison le suivra dans tous ses déplacements avec amour ! De même si l’on prive un raton de l’usage de ses yeux pendant ses premières semaines de vie, il restera aveugle le reste de son existence.

S’est ainsi créée l’idée que les parents doivent absolument stimuler leurs enfants dès leur plus jeune âge pour éviter de louper ces fameuses « périodes critiques ». Une aubaine pour les marchands de jeux d’éveil qui oublient de rappeler que les périodes critiques concernent toujours les compétences fondamentales d’une espèce. Pour homo sapiens, ce sont les capacités de parler, marcher, voir etc, et certainement pas de faire des maths ou de jouer du piano. D’ailleurs la lecture et l’écriture s’acquièrent bien après trois ans ! Et l’on est tout à fait capable d’apprendre à l’âge adulte, quelque soit le domaine. Contrairement à une autre légende voulant que les neurones ne se régénèrent jamais, une célèbre étude sur le cerveau des apprentis taxis londoniens a montré que leur hippocampe augmente de volume à mesure qu’ils mémorisent les 25 000 rues de Londres. Et la capacité du cerveau des adultes à récupérer après une lésion cérébrale est impressionnante.
Cette remarquable plasticité cérébrale a d’ailleurs donné lieu à un techno-mythe complémentaire du précédent : la pratique intensive et dès le plus jeune âge des outils du numérique aurait transformé le cerveau des générations Google, les dotant d’une immense faculté de faire du « multi-tasking » contrairement à leurs aînés. Malheureusement l’expérience montre que les as du clavier ne sont pas plus doués que les autres pour maintenir leur attention sur deux choses simultanément…
Mythe N°5 : Cerveau droit – Cerveau gauche
f7fbcd f70d81c2d-5cce5Etes-vous plutôt « cerveau droit », c’est-à-dire créatif, synthétique, doué d’une vision globale et plutôt émotionnel ? Ou bien « cerveau gauche « : analytique, rationnel et verbal ? Depuis qu’on a découvert la spécialisation de certaines zones du cerveau et les effets étonnants de la déconnexion des deux hémisphères (je vous en ai parlé ici), il s’est échafaudé une véritable mythologie autour de ce phénomène. Pour « rééquilibrer » l’activité de vos deux cerveaux, vous pouvez au choix pratiquer la respiration alternativel’alignement alpha (!), les exercices de bien-être quantique etc. Oubliant que nos deux cerveaux travaillent toujours de concert et que rien n’indique le moindre déséquilibre de l’un sur l’autre chez un individu sain, quel que soit son caractère. Mais nous sommes tellement avides de liens de causalité qu’on ne peut s’empêcher de faire le lien entre l’image d’un cerveau coupé en deux et deux grands types classiques de personnalité…

Le point commun de tous ces mythes

Malgré tous les démentis, toutes les mises au point répétées par les scientifiques, ces neuro-mythes restent solidement ancrés dans les esprits. La recette de leur résistance est finalement assez simple : ils combinent tous sensationnalisme, fond de vérité et un puissant pouvoir explicatif. Les images colorées des zones actives du cerveau semblent des démonstrations inattaquables : on « voit » le cerveau en action. Et comme l’a dit Herbert Simon, « You can’t beat something with nothing » : une fois qu’on a trouvé une réponse simple à nos questions, il est extrêmement difficile d’y renoncer, surtout si l’on n’a pas d’explication alternative très claire en échange. C’est le principe même de la superstition.

Reste à comprendre pourquoi les neurosciences donnent lieu à autant de mythes. Au delà de l’engouement pour une discipline jeune et en pleine révolution, ces neuro-mythes traduisent les angoisses de notre époque. Après avoir fantasmé sur la technologie (le chat dans le micro-ondes, le coca qui dissout un morceau de viande ou les téléphones mobiles qui font cuire du pop-corn), nous avons besoin de nous rassurer sur nos capacités intellectuelles. Les neuro-mythes, explique Elena Pasquinelli, nous décrivent comme des génies méconnus auxquels il suffirait d’un peu d’entrainement pour qu’ils révèlent toute leur puissance au grand jour. Et ça c’est finalement très désangoissant…
Laurent Michel (xochipilli)
Références
La conférence de Elena Pasquinelli qui a inspiré ce billet
Sur le C@fé des sciences :
Podcast Science a consacré tout un dossier sur les mythes scientifiquesAlamain.info a illustré le mythe des 10%
Billets connexes
L’épisode précédent sur l’effet Mozart et le « brain training »Les bébés, ces génies de la statistique sur la formidable capacité des bébés à repérer les règles statistiques
Pour une culture de la frustration sur le mythe du multi-tasking chez les générations
Conscience en flagrant délire sur les conséquences étranges du « brain split »
Dernière modification le mercredi, 22 octobre 2014
An@é

L’association An@é, fondée en 1996, à l’initiative de la création d’Educavox en 2010, en assure de manière bénévole la veille et la ligne éditoriale, publie articles et reportages, crée des événements, valorise les innovations, alimente des débats avec les différents acteurs de l’éducation sur l’évolution des pratiques éducatives, sociales et culturelles à l’ère du numérique. Educavox est un média contributif. Nous contacter.