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Tribune - Les disruptions numériques dans la profession d'avocat - Par Maitre Stéphane AGUIRAUD, Avocat au Barreau d'Aix en Provence - Co-fondateur de Domaine Legal - Les unes après les autres, les professions réglementées « s'ubérisent ».

175081L'impact sur la profession d'avocat se fait via les “legal startups”, plateformes facilitant la création d'actes standardisés ou la mise en relation des avocats avec leurs clients. Mais l'innovation technologique, via les blockchains, s'apprête à bouleverser encore plus les métiers juridiques. Quels en seront les impacts ?

La profession d'avocat connaît de profondes mutations, liées à plusieurs facteurs : 

Le droit est une matière vivante et complexe, en pleine croissance. Au quotidien, le citoyen a besoin de connaître ses droits pour pouvoir les exercer. Il doit pouvoir faire appel à un Avocat facilement, en dehors des procès et de façon abordable. Mais comment trouver le bon modèle économique ? 

Le champ d'action et l'image des avocats est un véritable enjeu de réflexion : pour beaucoup d'avocats, seul le procès est une activité rentable. L'avocat a donc l'image d'un « mal nécessaire » lié à une situation stressante, dont les tarifs sont élevés et indépendants de sa performance. Il se doit d'améliorer cette image, mais ses actions hors procédures et de la vie quotidienne (rédaction de documents, conseil, médiation, etc.) doivent être pour lui économiquement viables. Mais comment faire ?

C'est une profession mystérieuse : savoir déterminer le domaine juridique dans lequel l'avocat est compétent n'est envisageable que pour les initiés. Trouver son avocat, et le bon, lorsqu'on habite une zone rurale (50% des avocats français sont en Ile de France) n'est pas chose aisée. A cette complexité d'accès s'ajoute souvent une incompréhension sur les tarifs, qu'il faut résoudre. Mais comment faire ?

C'est ainsi que ce métier, longtemps figé, change peu à peu, notamment sous l'influence des mutations technologiques qui bousculent les certitudes. Les changements les plus visibles vont de l'offre sur des plateformes - qui offrent accessibilité, rapidité, prix fixes, fiabilité, multi-spécialité - à la numérisation du travail via des outils de gestion des procédures, en passant par la dématérialisation des consultations. 

Comme pour tous les métiers, la préparation des dossiers sera encore plus rapide demain, grâce à l'intelligence artificielle, même si cette tendance n'en est encore qu'à ses balbutiements. Elle sera en revanche, une fois en place, beaucoup plus « disruptive » que dans le domaine de l'expertise comptable ou celui du notariat. 

Blockchain : opportunité ou menace ? 

La blockchain, suite d'algorithmes qui permet de crypter et de sécuriser des échanges sans intermédiaire, est désignée comme la prochaine grande révolution technologique. A terme, elle pourrait remplacer la plupart des « tiers de confiance » centralisés (métiers de banques, notaires, cadastres, etc) par des systèmes informatiques distribués.

Il n'y aura donc théoriquement plus de possibilité ni de nécessité d'intervention ou d'interprétation des contrats pour en réguler les effets a posteriori. Les smart contracts qui composent la blockchain sont en effet des programmes informatiques accessibles uniquement aux parties autorisées, dont l'exécution est contrôlée et vérifiable automatiquement, donc censée être incontestable. 

Ces programmes permettent : 

- d'exécuter automatiquement un contrat lorsque les conditions prévues sont réunies, la réunion de ces conditions étant vérifiable informatiquement, selon un protocole convenu à l'avance. 

- d'automatiser un processus contractuel : rédaction, suivi, ou encore mise en œuvre du contrat. 

Cette automatisation est censée entraîner une diminution des litiges en raison d'une absence d'intervention humaine et donc d'un abaissement du risque d'erreur dans l'interprétation des conditions d'exécution du contrat. Ainsi, en incluant dans les contrats, par anticipation, des solutions qui se déclencheraient automatiquement, les smart contracts auraient pour effet de réduire le contentieux et d'automatiser les actions découlant de l'exécution – ou de l'inexécution - du contrat. 

L'avocat, toujours utile ! 

Cette exécution automatique, sans nécessité d'intervention humaine, des clauses contractuelles peut-elle être sujette à discussion, interprétation ou contestation ? 

A mon sens oui, l'avocat a un vrai rôle à jouer : 

- Dans la rédaction et l'articulation entre elles des conditions contractuelles,
- Dans la conception des sanctions que le contrat contient en cas d'inexécution,
- Dans l'articulation de ces sanctions et leur dosage en fonction des cas d'inexécution et de leur degré de gravité,
- Dans la précision des définitions à inclure dans les programmes informatiques,
- Dans le contentieux qui ne manquera pas de se développer quant à l'interprétation des termes mêmes des contrats ou sur l'application que le programme a pu en faire. 

La connaissance formelle de la règle de droit et son inclusion dans un logiciel qui l'applique sans âme ni sensibilité ne donnent ni le savoir, ni le savoir-faire ou l'expérience de l'avocat dans tous ces domaines. 

En conclusion, c'est de l'échange entre l'avocat et son client que naissent les solutions juridiques les plus adéquates. L'avocat peut percevoir la dimension humaine de la problématique qu'on lui expose et faire preuve d'imagination, de pragmatisme et donc d'humanité.  Les mutations technologiques ne sauraient supprimer la nécessité d'autant plus vive de conserver un contact humain. D'autant plus que les juges eux-mêmes sont des humains… 

Enfin, d'un point de vue éthique, il est indispensable que l'humain joue toujours un rôle important dans toute activité ou interviennent les relations entre humains ou entités issues de la création humaine, car l'affect et le sens moral permettent, selon les circonstances, essentiellement liées à la situation des contractants, de corriger les calculs automatiques et froids des mécaniques numériques. 

Le droit n'est pas une science exacte, c'est une science humaine. La loi permet en effet parfois ce que la morale réprouve, et inversement. L'humain doit toujours pouvoir intervenir pour reprendre le contrôle. Pour toutes ces raisons, la technologie blockchain ne sonne pas la fin des avocats et des professions juridiques, bien au contraire. En revanche, à court terme, elle leur impose d'évoluer et d'envisager de nouveaux environnements professionnels et de nouvelles méthodes.

Dernière modification le mardi, 17 octobre 2017
An@é

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