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Il en est de tout dispositif ainsi : certains enseignants se les approprient et c'est bien. Il est aussi nécessaire d'alimenter les débats afin d'apporter par des regards critiques et néammoins positifs, les ingrédients nécessaires à une rétrospection et un enrichissement des actions pédagogiques nécessaires à tout éducateur. C'est pourquoi nous publions ce billet, avec l'autorisation de l'auteur, Cécile Morzadec.

Je préfère préciser tout de suite que ce texte n’a pas pour but de critiquer mes collègues adeptes de la classe inversée, je ne me situe pas du côté de ceux qui critiquent la classe inversée comme ils critiquent « les pédagogistes », je dirais même qu’actuellement les collègues qui pratiquent la classe inversée sont parmi ceux qui font preuve de la plus grande créativité et capacité à évoluer et à se remettre en question sans cesse. Mes réticences portent sur les fondements de ce concept. Je n’ai jamais adhéré à l’idée de classe inversée mais j’ai eu du mal à comprendre clairement pourquoi quelque chose me gênait, ce petit texte est donc simplement un point sur l’état actuel de ma réflexion.

1) Un concept erroné basé sur une vision caricaturale de l’apprentissage et de la transmission :

Ce qui me dérange avant tout c’est l’apparente simplicité du concept qui oppose transmission d’une connaissance et application concrète (exercices, entrainement etc.), il suffirait d’inverser le temps de la transmission et le temps de l’application pour rendre nos élèves plus actifs en classe et résoudre un des problèmes majeurs de nos élèves : l’ennui qui mène au décrochage.

Apprendre, ce serait donc recevoir une connaissance que l’on pourrait ensuite vérifier en l’appliquant. Dès lors on peut facilement imaginer qu’une vidéo puisse se substituer à un professeur puisqu’il s’agit seulement de rendre la connaissance accessible pour qu’elle puisse être assimilée par quelqu’un. Il me semble que si les choses étaient si simples nous n’aurions pas eu besoin d’attendre Internet pour que, par le simple contact avec les livres, des générations entières d’élèves aient pu acquérir le savoir de l’humanité.

On va me dire bien sûr que la classe inversée ne se résume pas à des capsules vidéo, il n’empêche qu’une des idées de base de la classe inversée est de dégager du temps en classe pour rendre les élèves plus actifs en externalisant les leçons à la maison sous forme de courtes vidéos. Les choses ont ensuite évolué vers un modèle moins caricatural et on a commencé à parler de capsules qui seraient de « simples mises en bouche », pour moi cette évolution est seulement la preuve que le concept à la base de la classe inversée, le fait d’externaliser la transmission d’une connaissance en amont d’un travail en classe, s’est avéré rapidement inopérant. Les collègues avisés ont tout de suite su rectifier le tir mais pourquoi alors se cramponner au concept de classe inversée s’il ne paraît pas foncièrement pertinent et trouve si facilement ses limites ? C’est la question que je me pose !

2) L’amnésie (*) pédagogique :

Le deuxième point qui me chiffonne c’est que dans les présentations habituelles de la classe inversée on considère le simple fait de ne plus faire du magistral en classe comme révolutionnaire. C’est avoir la mémoire un peu courte ! Si l’on fait remonter l’origine des pédagogies actives à Rousseau, celles-ci ont presque 3 siècles. A la fin du 19ème siècle John Dewey préconisait déjà le fameux « learning by doing » !

Les mouvements d’éducation nouvelle n’ont eu de cesse tout au long du 20ème siècle de proposer mille et une façons de rendre les élèves plus actifs ! Freinet, cet effronté, a même poussé plus loin le concept en proposant de rendre les élèves auteurs et non plus seulement acteurs de leurs apprentissages !

Concevoir l’enseignement comme une simple opposition entre cours magistral et phases d’entrainement me semble donc basé sur une méconnaissance de toute l’histoire de l’éducation. C’est passer sous silence toutes les riches propositions des mouvements d’éducation nouvelle ! Si l’on cherche du côté du GFEN on verra que toutes leurs démarches pédagogiques permettent aux élèves d’apprendre activement en classe en collaborant sans pour autant déléguer la tâche d’apprentissage de la leçon à la maison au moyen d’une vidéo que beaucoup ne regarderont pas.

De plus ces mouvements pédagogiques se sont depuis longtemps demandé comment transmettre un savoir aux élèves, celui-ci ne se transmet pas magiquement comme on remplirait un récipient, les choses sont autrement plus complexes.

Dans une perspective socio-constructiviste le savoir doit être construit avec et par les élèves sans quoi la transmission ne se fait tout simplement pas, l’élève n’apprend rien, ne retient rien. Cette conception ne s’oppose pas à l’idée de transmission d’un savoir puisque l’on distribue aux élèves de nombreux documents « savants » tirés d’ouvrages de notre culture collective. Ils ne construisent pas un savoir à partir du néant, seules les personnes mal renseignées opposent cet argument aux collègues qui s’emploient à développer des méthodes « socio-constructivistes ».

Si une telle conception de l’acte d’apprendre s’avère exacte il s’en suivrait qu’en laissant seul un élève face à une capsule il ne peut rien apprendre ! N’est-ce pas un peu gênant ? N’est-ce pas du temps de perdu pour le professeur qui s’est épuisé à créer toutes ses capsules ? L’élève a besoin d’être accompagné au moment où il découvre une notion véritablement importante, il m’apparaît donc dangereux de déléguer ces moments essentiels au temps extra-scolaire.

En somme la pratique de la classe inversée me semble constituer une régression par rapport à ces conceptions de l’apprentissage et de la transmission brièvement développées ci-dessus. Il n’y a pas si longtemps par exemple on préconisait les démarches inductives, les professeurs de sciences partaient des travaux pratiques pour construire la leçon avec leurs élèves en se basant sur des observations empiriques. Pourquoi inverser la tendance en réduisant à néant toutes ces pratiques éprouvées ?

3) Classe inversée, classe augmentée :

En fin de compte il me semble que l’erreur fondamentale vient de la focalisation sur le terme " inverser ".

L’idée d’inverser les temps d’apprentissage comme si ceux-ci étaient hermétiquement distincts me semble être une ineptie qui ne peut en aucun cas faire avancer la réflexion pédagogique. Ce terme « inverser » nous enferme dans une conception fausse qui ne peut que nous faire régresser alors que les pédagogies actives ont depuis bien longtemps proposé des démarches autrement plus complexes et réfléchies (car basées sur les recherches des grands psychologues de l’éducation, sur les théories de l’apprentissage etc.).


Si j’ai dit dès le départ que je ne souhaitais en aucun cas discréditer le travail fait par mes collègues « inverseurs » c’est parce qu’il me semble que ceux-ci sont très vite passés de la « classe inversée » à la « classe augmentée », ils ont vite perçu l’incohérence de donner une leçon complexe à apprendre aux élèves par le biais d’une vidéo et en amont du travail en classe.

Dès lors il me semble que leurs pratiques sont basées sur une utilisation pertinente du numérique destiné à augmenter le temps de classe par la possibilité d’accéder à différentes ressources en dehors de la classe, que celles-ci soient données avant, pendant, ou après, et qu’elles correspondent à un contenu de type leçon ou de type quizz, exercices d’entraînement en ligne. On n’est donc plus dans l’opposition leçon/application ou avant/pendant la classe.

Je n’adhère donc pas au concept de « classe inversée » mais si on lui substitue celui de « classe augmentée », je n’y vois plus l’impasse intellectuelle que j’ai essayé de démontrer.

4) Pour une pédagogie humaniste et émancipatrice :

Pour finir, je dirais que cette nouvelle mode de la classe inversée n’envisage les apprentissages que comme un ensemble de techniques, il manque pour moi dans cette façon de voir les choses une pensée plus globale de ce que doit être l’éducation. Les grands pédagogues avaient tous une vision philosophique du but visé par l’éducation qui au-delà de la simple transmission, bien sûr nécessaire, a aussi une visée émancipatrice : enseigner c’est aussi faire grandir les élèves qui nous sont confiés… Je ne dis pas bien entendu que les collègues « inverseurs » ne souhaitent pas cela mais simplement que la mode de la « classe inversée » ne peut pas s’appeler « pédagogie » car elle ne s’inscrit pas dans une réflexion plus globale sur les buts de l’éducation.

J’espère n’avoir froissé personne et avoir pu répondre aux questions des collègues qui au détour de certaines conversations ne semblaient pas comprendre les motifs de ma position critique. J'ai bien conscience que mon argumentation pèche par sa naïveté, les experts en sciences de l'éducation y relèveront certainement de nombreux raccourcis...

(*) Merci à Mathieu-Karl Fonvieille pour cette idée d’amnésie collective qui m’a permis de mettre le doigt sur un sentiment profond que j’avais du mal à identifier.

(**) Un mystère plane autour de la fameuse citation d'Aristophane que d'autres prêtent à Montaigne, quoi qu'il en soit la métaphore est intéressante.

La Biennale de l'Education Nouvelle aura lieu du 2 au 5 novembre 2017 à Poitiers, un évènement de grande ampleur pour découvrir ou redécouvrir ce qui fait notre héritage pédagogique !

 Cécile Morzadec

http://morzadec.es.free.fr/index.php?pages/Pourquoi-je-ne-crois-pas-%C3%A0-la-classe-invers%C3%A9e

Dernière modification le samedi, 04 mars 2017
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