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  Article publié sur Internet Actu - Image : Ethan Zuckerman, directeur du Centre des médias civiques du MIT, photographié par Joi Ito.

   Nous vous faisions part, la semaine dernière, des bons conseils d’Ethan Zuckerman pour utiliser intelligemment le financement participatif pour mener à bien des projets citoyens… Le chercheur, directeur du Centre des médias civiques du MIT, a récemment complété son propos à l’occasion d’une conférence donnée à l’université Flinders à Adélaïde en Australie qu’il a retranscrite sur son blog (vidéo). Pour lui, l’expérience de financement participatif de Jase Wilson qu’il évoquait (le développeur Jase Wilson a lancé une collecte de dons sur l’internet pour financer une ligne de tramway à Kansas City, un projet que la ville venait d’abandonner faute de financement) est un exemple de la façon dont les “natifs” d’internet utilisent l’internet pour exercer leur citoyenneté, et s’engager via de nouvelles formes d’outils dans la vie civique.

 

Ethan Zuckerman voit à la fois le potentiel et le risque de ces expériences. “Je crains que nous nous dirigions aveuglément vers une façon différente de concevoir les relations civiques entre les individus et les gouvernements. Mais je pense aussi que si nous pouvions trouver une façon de tirer partie de ces formes d’engagement basées sur l’internet, nous pourrions revitaliser la participation politique.”

 

Il y a une critique récurrente autour des discussions sur les liens entre l’internet et l’engagement civique qui se demande pourquoi nous devrions imputer des pouvoirs spéciaux à un moyen de communication. “Je suis d’accord que nous simplifions trop la situation quand nous déclarons que Facebook a renversé Moubarak ou que l’autoritarisme chinois ne peut survivre à la montée des services de microblogging comme Weibo. Mais il serait également une erreur de ne pas prendre au sérieux le rôle des nouveaux médias de communication dans la compréhension de la vie civique. Dans les Etats démocratiques, les citoyens ont besoin d’informations sur les défis auxquels fait face un gouvernement et ce qu’il propose de faire à ce sujet, pour être des citoyens actifs. Et les citoyens doivent être en mesure de se connecter entre eux pour discuter, débattre et proposer des solutions. Ce qu’un moyen de communication permet a une influence sur l’élaboration de la vie civique.” 

Aux Etats-Unis, le gouvernement a investi très tôt dans une technologie conçue pour relier les citoyens afin qu’ils puissent se gouverner. Ce n’était pas l’internet, mais, à l’époque, le système postal – “la technologie connective de l’époque” – , établi dans la Constitution américaine et mis en oeuvre de façon à encourager les citoyens à utiliser le courrier comme un espace civique, explique Ethan Zuckerman. Le système postal a subventionné la distribution des journaux tant et si bien qu’il coût moins cher d’envoyer un journal qu’une lettre. Grâce à ces coûts bas, beaucoup d’Américains se sont abonnés à plusieurs journaux, leur permettant d’avoir plusieurs points de vue politiques et géographiques sur les informations et les opinions (comme l’explique Paul Starr dans son livre La création des médias).

 

Comme la structure de l’industrie des médias a changé, nous observons des changements parallèles dans la politique. La montée de la publicité comme source majeure des revenus des médias, à la place de l’abonnement, a encouragé les journaux à passer d’opinions partisanes et opiniâtres à des organes “objectifs”, chargés de rapporter les faits de façon à attirer les lecteurs de tous bords politiques. Les articles ont augmenté en taille et ont commencé à couvrir plus d’évènements nationaux et internationaux. “Ce passage d’une presse de partie aux facettes multiples, comprenant beaucoup de couleur locale et d’opinions, à une presse plus concentrée à l’échelle nationale coïncide avec la forte montée du bipartisme et la diminution de l’influence locale sur les plates-formes politiques.

 

A mesure que les médias audiovisuels (en particulier la télévision) sont devenus les formes de médias dominantes, la politique s’est synchronisée à l’échelle nationale”, tant et si bien qu’il n’est plus possible de parler d’une façon dans une région et différemment dans une autre. Ainsi, ce changement a contribué à éliminer certaines particularités et bizarreries de la politique américaine. Même au sein d’un système à deux partis, nous avons eu des partis politiques qui avaient des variations régionales, explique Ethan Zuckerman : “le Dixiecrat (désignant les élus démocrates du Sud des Etats-Unis, NDE), était fiable démocratiquement, mais loin d’être progressiste sur la question de la justice raciale ; tandis que les politiciens du Nord Est, aujourd’hui disparus, étaient sociaux modérés, mais fiscalement plutôt conservateurs républicains”.

 

“Les médias de diffusion ont contribué à agir en tant que fonction de synchronisation, permettant aux dirigeants des partis de faire valoir leurs candidats en accord avec les valeurs du parti, quelles que soient leurs sensibilités locales. (…) Le résultat final a donné deux partis très polarisés, chacun avec une profonde base géographique et une plate-forme largement inébranlable, mais avec peu d’incitations à se parler entre eux.”

 

“Un autre effet de l’augmentation de la diffusion des médias a été l’augmentation des coûts budgétaires de la politique”, estime le chercheur. “La télévision, très coûteuse, a transformé les campagnes politiques en concours de collecte de fonds. Pendant des années les rapports sur les campagnes politiques comparaient combien chaque candidat levait. Désormais, le jeu a pris une nouvelle dimension avec la règle des Citoyens Unis, qui donne aux entreprises les mêmes droits que les individus et qui a créé la nouvelle catégorie des SuperPACs, conçus pour travailler pour le compte d’un candidat, mais pas en coordination avec ce candidat. Jusqu’à présent, la campagne électorale de 2012 est en passe de devenir la campagne la plus agressive de l’histoire récente, moins centrée sur les enjeux que sur les défauts personnels de chaque candidat (et, même si je soutiens le président Obama, je crains que sa campagne soit pire que la campagne de Romney à ce jour).”

 

La démocratie participative basée sur l’internet a-t-elle un avenir ?

“Le juriste Lawrence Lessig suggère que nous sommes entrés dans une ère de capture de la politique américaine par les entreprises, une forme de corruption si profonde qu’il n’y a aucune autre alternative que de s’attaquer à la racine du mal : le financement public des campagnes électorales et la fin de la personnalité des entreprises. Il a peut-être raison”, concède Ethan Zuckerman. “Mais il y a une autre école de pensée qui regarde l’évolution de la politique en parallèle avec le virage des médias dominants. Alors que nous nous dirigeons vers la participation – les médias basés sur l’internet -, peut-être nous dirigeons-nous vers une nouvelle forme de participation : la démocratie basée sur l’internet.”

 

“Cette idée a refait surface au cours de la campagne d’Howard Dean en 2004, rappelle le chercheur. Dean, candidat démocrate à la présidentielle de 2004, alors qu’il était pourtant loin de la nomination, a capturé l’imagination d’un groupe de militants férus de technologie, qui ont vu dans sa candidature une occasion de construire une plate-forme politique pour ses propositions politiques. Cette énergie participative a été très bien exploitée en 2008 par Barack Obama qui a demandé à ses partisans de concentrer leurs efforts non pas sur l’élaboration de propositions politiques, mais sur la promotion de sa candidature. Obama a construit une liste massif de courriels, qui lui a permis de lever d’énormes sommes d’argent par le biais de petites contributions.

 

Mais une fois élu, il était moins évident que sa présidence serait disposée à la participation en ligne. Une expérience pour fixer les priorités de l’administration pour les 100 premiers jours de la présidence a invité les partisans à proposer des questions hautement prioritaires. Lorsque les électeurs ont proposé la légalisation de la marijuana en tête des propositions, le président Obama a clairement indiqué qu’il ne suivrait pas cette proposition.”

 

Effectivement, comme le souligne très bien Ethan Zuckerman, l’expérience semble avoir signé un coup d’arrêt dans la mise en place de dispositifs politiques participatifs d’envergure.

 

“Il est certainement possible que d’autres formes de délibération en ligne auront demain une influence sur la vie politique américaine, mais il est peut probable que la rédaction collaborative des lois (comme l’effort d’écrire des alternatives à la SOPA/PIPA) soient un jour adoptée par ceux qui exercent le pouvoir. Ces systèmes ont tendance à être victimes de la capture par ceux qui sont le plus éloquent ou le plus persistant, qui sont capables de prendre le dessus sur les autres que ce soit par compétence ou par acharnement.”

 

Si la délibération collective n’a pas profondément transformé la politique, peut-être que l’accès aux données de gouvernement le pourra, estime le chercheur, cherchant un espoir de reprise des politiques participatives d’envergure dans la réutilisation des données publiques. Des associations comme la Sunlight Foundation et l’administration Obama se sont engagées dans des politiques d’ouverture des données publiques (voir plutôt de développement d’applications, critique Sean Gallagher pour ArsTechnica). Il y a eu quelques victoires impressionnantes dans cet espace, comme l’exposition du fait que les membres de la famille d’un politicien travaillant pour financer les campagnes politiques pouvaient bénéficier financièrement des dons aux partis politiques, explique le chercheur. Mais il reconnaît également que “bien que ces données et outils soient très utiles pour les accros de la politique et les journalistes, ils ne semblent pas avoir touché le grand public”.

 

La participation doit-elle influencer la politique ?

 

MySociety, une entreprise britannique prônant l’ouverture du gouvernement et dirigée par Tom Steinberg, aborde le problème de la participation du public aux données du gouvernement à partir d’un point de vue différent. Alors que Steinberg et ses collègues sont profondément intéressés et engagés dans le mouvement de libération des données publiques, ils supposent que ce n’est pas le cas des utilisateurs. Pour remédier à cela, ils proposent des outils comme FixMyStreet, qui permet aux individus de prendre une photo de choses qui devraient être réparées dans leurs quartiers et les télécharger avec leurs coordonnées sur le site.

 

Cela permet à FixMyStreet de fournir aux administrations locales une carte des plaintes, mais le but véritable de ce système est plus subtil : il est conçu pour enseigner aux utilisateurs comment devenir des citoyens puissants et efficaces. Lorsque votre plainte concernant un nid de poules ne conduit pas à une réparation rapide, FixMyStreet vous rappelle que la question est toujours en suspend et suggère ce que vous pourriez faire pour obtenir une réponse, permettant de faire progresser sa doléance dans la hiérarchie des administrations locales.

 

FixMyTransport va plus loin et suggère que vous avez peu de chances de résoudre les nombreux problèmes de transit à moins que vous et d’autres ne forment des groupes de quartier pour faire pression pour un changement systémique… et donc vous invite à vous mettre en relation avec d’autres personnes dans votre quartier intéressées par la même question que vous. Ce qui semblait être un simple outil convivial pour vous permettre de signaler un problème devient un cours d’initiation à l’éducation civique, en mettant l’accent sur les personnes qu’il faut harceler, pressurer et embarrasser pour que le changement soit effectif.” 

Dernière modification le vendredi, 08 décembre 2017
Guillaud Hubert

Hubert Guillaud, rédacteur en chef d’InternetActu.net, le média de laFondation internet nouvelle génération.