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Grain de sel (4) - Il n’y a rien à faire. L’annonce de Vincent Peillon d’imposer de la morale à l’école pour 2015 appelle inévitablement, comme mécaniquement, les notions de « retour », de « cours », de « discipline scolaire », de « notation ».
On ajoute une discipline aux disciplines sans en enlever et sans refonder les finalités. On affirme qu’il ne s’agira pas de cours mais on ne parle que de cours et de programmes. On affirme qu’il n’y aura pas de prof de morale et que tous les profs seront concernés. Et déjà, on entend qu’il n’est pas possible d’enseigner la morale si l’on n’a pas été formé. On tirera peut-être à la courte paille celui qui fera cette discipline en plus de la sienne. On répète qu’il n’y aura pas de note de morale mais une évaluation, ce qui revient au même pour beaucoup de gens. On retrouve dans la plupart des commentaires le mot « enseigner » : enseigner la morale et les valeurs, on oublie comme toujours l’éducation au profit de l’enseignement. Et tout le monde est d’accord. Il faut de la morale à l’école !
 
Tout va bien.
 
Reste que, une fois de plus, la réflexion du sommet de la pyramide semble vraiment hors sol.
 
Une couche de morale sur les sédiments des savoirs disciplinaires accumulés résoudra-t-elle les problèmes de fond qui se posent à la société et qui inquiètent les citoyens ? Développement de la violence, agressivité, individualisme, oubli ou mépris pour les valeurs historiques, dégradation du vivre ensemble, abstention, chute de l’adhésion dans les partis et les syndicats, chute de la participation aux réunions…
 
Oui, il faut de la morale. Oui, il faut de la morale par l’exemple. Qui donne l’exemple ? Les profs ! Alors, il faudrait que dans un volet du projet d’établissement, ils se mettent d’accord sur quelques règles à respecter dans les rapports avec les élèves : politesse, respect, excuses pour les retards et les absences, accords sur les devoirs, les sanctions, les appréciations, engagements, place dans la vie de l’établissement en dehors des cours. Que vaut le projet d’établissement si des règles du vivre ensemble ne sont pas édictées et respectées dans les deux sens ?
 
Oui, il faut un apprentissage des valeurs. L’égalité, par exemple. Mais que vaut un cours sur l’égalité quand l’école exclut, aggrave les inégalités, stigmatise, évalue toujours négativement, relègue les élèves qui ne maîtrisent pas ses codes ?
Oui, il faut du débat dans les classes. Mais que vaut un débat en cours de morale quand ailleurs la pédagogie frontale domine, quand le prof ayant posé une question, il ne prend en considération que les réponses qu’il attend, que les échanges élève/élèves n’existent pas ? Comment apprendre la démocratie quant on a été toute sa vie d’élève un sujet, un récepteur passif et résigné ?
 
Oui, il faut de la morale à l’école à condition que ce ne soit pas une petite couche de peinture sur un édifice où rien n’a changé, surtout pas les fondations.
 
Si tel était le cas in fine, ce sont les élèves qui vont rigoler, même pendant les cours de morale ! Ils auront compris que l’heure de morale n’est finalement pas très morale.
 
Pierre Frackowiak
Dernière modification le jeudi, 13 novembre 2014
Frackowiak Pierre

Inspecteur honoraire de l’Education nationale. Vice-président de la Ligue de l’Enseignement 62. Co-auteur avec Philippe Meirieu de "L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société ?". Editions de l’Aube. 2008. Réédition en format de poche, 2009. Auteur de "Pour une école du futur. Du neuf et du courage." Préface de Philippe Meirieu. La Chronique Sociale. 2009. Auteur de "La place de l’élève à l’école". La Chronique Sociale. Lyon. Auteur de tribunes, analyses, sur les sites educavox, meirieu.com. Prochainement, une BD avec les dessins de J.Risso :"L"école, en rire, en pleurer, en rêver". Préface de A. Giordan. Postface de Ph. Meirieu. Chronique Sociale. 2012.