Imprimer cette page

Avant d’aller plus loin sur le concept opéra­toire de l’intention, il semble légitime de s’inter­roger sur la notion même d’innovation. On parle d’innovation, terme générique pour désigner une mouvance un peu floue, synonyme de progrès. On parle aussi d’innovations concernant les solutions et objets concrets : une app, une IA, un robot, une avancée biotech… Dans les deux cas, l’usage actuel, quasiment spécia­lisé dans les domaines de l’industrie, des affaires et de la tech, passe sous silence les autres facettes du terme et de sa signification : tout ce qui concerne la créativité, l’inventivité. Extrait de la version numérique du livre des tendances 2022 de l’Observatoire Netexplo « Unscripting Tomorrow » par Sylvain Louradour, Directeur associé de Netexplo.

Nous ne sommes pas obligés de choisir et donc de subir le sens le plus récent et le plus restrictif.

Examinons donc le concept à la lumière de son

Toutes les ana­lyses étymologiques de cet ouvrage proviennent de l’ex­cellent Dictionnaire étymologique de la langue française d’Alain Rey, for­midable machine à voyager dans le temps, l’espace et les civilisations. Il contient des richesses inexploitées.

Innover vient du latin classique innovare « revenir à » et en bas latin « renouveler », formé de in- et de novare « inventer », « changer ». La première apparition d’innover est attestée dans un contexte juridique avec le sens « d’introduire quelque chose de nouveau dans une chose établie ».

On note d’une part qu’il ne s’agit alors pas du tout du domaine technologique.

Et d’autre part le mot renvoie à un apport, un supplément, donc un changement d’échelle et pas de nature.

Illustra­tion immédiate de l’innovation comme ajout « à une chose existante » avec Block Party, ce service anti-harcèlement pour Twitter. Créé par l’ingé­nieure Tracy Chou, qui combat les abus en ligne et promeut la diversité dans le monde de la tech, cette solution fournit filtres, outils de détection et aides pour faire de ce réseau social un endroit sûr, particulièrement pour les minorités.

Passons au crible le mot innovation.

D’abord employé au Moyen Âge comme terme juridique, en 1297, synonyme de novation, le mot se dit à partir de 1559 de l’action d’innover. Il prend ensuite le sens courant de « chose nouvelle ». L’histoire commence par une racine indoeuropéenne,°nu, « nouveau », qui donnera par exemple new en anglais. Et pour la petite histoire neos en grec, newas en hittite, nava en sanskrit, novu en vieux slave : la nouveauté, une réalité multiculturelle qui ne se réduit donc pas au nouveau smartphone 600 Go à 5 caméras.

Nous avons tendance, dans le contexte écono­mie-tech qui gouverne l’époque, à considérer l’in­novation comme une production d’objets super­fétatoires, source de boulimie consommatrice et d’atteintes à l’environnement.

Pourtant, il s’agit avant tout d’un état d’esprit, pas d’un synonyme de production matérielle.

Par exemple, la frugalité, la maintenance, l’upcycling sont autant de façons d’innover, c’est-à-dire d’aborder un sujet avec un œil neuf, un angle inédit, une approche fraîche, comme l’indique l’origine de l’adjectif nouveau :

« Dès le XIIe siècle, il qualifie ce qui est d’apparition récente, une « chose fraîche ». Puis, il prend les valeurs de « hardi, original, inédit » et quelque­fois de « singulier, inattendu, surprenant ».

Que ramener à la surface de cette plongée sémantique ?

Les notions d’audace, de surprise, d’inattendu : elles expriment un désir de ne pas se contenter de l’existant, de ne pas se satisfaire de l’état actuel du monde, de dépasser ce qui nous empêche d’évo­luer, nous ennuie, nous entrave, nous menace et nous détruit.

On pourrait étudier comme nous l’avons fait avec innovation le concept de progrès, lui aussi soumis selon les époques à une suspicion régulière car confondu avec d’autres notions plus précises comme, par exemple, le recours à l’IA pour prendre des décisions à notre place dans des domaines sensibles comme le médical ou le mili­taire.

Ces mots innovation ou progrès, qui char­rient une infinie variété de découvertes, d’utilisa­tions contradictoires ne contiennent pas en eux les maux dont on les accuse et, partant, peuvent décré­dibiliser celles et ceux qui les utilisent à mauvais escient.

L’innovation, ce terme certes galvaudé, ne peut pour autant pas être réduit aussi facilement à une approche consumériste, matérialiste et donc suspecte.

En parlant d’innovations, on parle d’idées, de créations, d’œuvres, de manifestations concrètes de l’intention.

Intention qui bien sûr peut prendre différentes directions, dont celle du low-tech par exemple. Ou du développement durable, comme avec aux Etats-Unis, CHARM, ce robot qui s’occupe de l’entretien des récifs coralliens.

Son concepteur, Stephen Rodan nourrit une passion pour les coraux au point de lancer la Beyond Coral Foundation pour protéger, conserver et restaurer les massifs sauvages par plusieurs biais dont la culture, l’art, la tech et l’éducation. Et c’est en découvrant, par le biais de sa structure, toutes les initiatives autour du monde qu’il conçoit la Coral Husbandry Automated Raceway Machine. Parmi les fonctions de l’automate, qui peut être dirigé par une simple app, le nettoyage, l’obser­vation de la croissance et de la santé du corail. Le but est de gagner du temps et de ne pas se laisser distancer dans cette course de vitesse concernant la disparition du corail.

On estime en effet qu’il faut 4 000 heures de travail pour prendre soin de 10 000 fragments de coraux, soit l’équivalent de 3 personnes travaillant à plein temps pendant 1 an, alors que pour sauver les récifs il faudrait une plan­tation quotidienne de 100 000 unités. Et l’inten­tion de l’inventeur dépasse la stricte fonction du robot pour s’intéresser à son déploiement.

C’est pourquoi le système est pensé pour être facilement construit, son design utilisant des pièces facilement disponibles et des techniques existantes.

Stephen Rodan exprime cette volonté d’accès facile et donc d’appropriation à grande échelle lorsqu’il déclare : « The technology is an attachment to the existing industry practice of growing coral on land in aqua­culture raceways, is designed for use at small and large scales, and remains affordable for island-na­tions and developing countries across the globe. »

Etats-Unis, captation Netexplo N100 2022

Dernière modification le dimanche, 20 novembre 2022
Desvergne Marcel

Vice-président de l’An@é, responsable associatif accompagnant le développement numérique. Directeur du CREPAC d'Aquitaine,  Délégué général du Réseau international des universités d'été de la communication de 1980 à 2004, Délégué général du CI’NUM -Entretiens des civilisations numériques de 2005 à 2007, Président d’Aquitaine Europe Communication jusqu’en 2012. Président ALIMSO jusqu’en 2017, Secrétaire général de l’Institut du Goût de la Nouvelle-Aquitaine.