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“In my mind’s eye, Horatio” - Shakespeare, Hamlet, Act 1, Scene 2

Dans la phantasphère, notre esprit est engagé, car c’est notre imagination, notre raisonnement, notre côté cérébral qui pilotent nos actions. Pourtant, l’un des objectifs de tous les promoteurs des metaverses, l’immersion, cherche aussi un rapport avec le corps. Et donc avec les 5 sens (1).

Ce besoin curieux de reconstitution hyperréaliste du « vrai » monde, c’est la problématique classique de la mimesis, imitation de la réalité dans une oeuvre.

La représentation en trompe-l’oeil concerne les espaces en réalité virtuelle, mais aussi le procédé de la réalité augmentée.

Elle peut passer par un écran, comme avec l’application Wanderland, capable d’ancrer des objets immatériels de votre choix dans le monde physique autour de vous : vous pouvez par exemple créer une expo d’oeuvres d’art au-dessus de la Tamise, visible par votre communauté. Ou peupler un endroit symbolique de surprises pour un anniversaire. Ou créer un calendrier de l’avent géant dans le ciel.

Sa co-fondatrice, Soraya Jaber (2), parle de metaverse alors qu’il ne s’agit pas d’immersion dans un univers 3D.

Voilà qui donne des pistes pour sortir du metaverse monolithique conçu par les grands opérateurs.

Un metaverse plus personnel, créé par chaque individu qui pourrait mixer sa réalité créative à la réalité tangible et ainsi jouer avec les contraintes ou les promesses des deux, sans avoir à fuir un des deux mondes. C’est aussi une expérimentation (2) de l’expansion de soi, à condition d’être bien menée, qui peut nous conduire à expérimenter des sensations, pensées, conceptions nouvelles et moins sclérosées.

Insérer dans le monde un objet immatériel ne passe pas obligatoirement par un écran, si l’on considère l’approche holographique : encore une technologie vue et revue dans les films de science-fiction, de la princesse Leia de Star Wars en 1977 au requin de Retour vers le futur 2, en passant par le labo d’Iron Man. Stimulé par l’engouement rétrofuturiste pour les mondes en 3D, il offre une solution alternative aux metaverses sous casques, et pour cette raison pourrait bien connaître un certain retour en grâce.

Le professeur Steve Benton, pionnier de l’imagerie médicale et de l’hologramme, créateur de la version irisée qui orne les cartes de crédits et fondateur du MIT Media Lab Spatial Imaging Group, précise dans The Art and Science of Holography :  

« Holography (…) has come to mean the ultimate 3D imaging method of the future, and it stands as an optimistic hope for the progress of our science and technology relating to everyday life ».

Vous souvenez-vous de l’engouement autour de la prétendue démocratisation de l’imprimante 3D ?

Tout le monde allait pouvoir fabriquer des mugs à la maison, imprimer des jouets ou des poignées de porte. Bref, la vie rêvée en autarcie non consumériste. En réalité, peu de foyers se sont équipés : tout le monde n’a pas l’âme d’un maker. Pourtant « l’esprit maker » a beaucoup marqué les années 2010 par sa promesse de transformer n’importe qui en designer ou en créatif pour contrebalancer la société de consommation.

Transposé en entreprise (et donc édulcoré, car dans l’ère pré-pandémie, l’entreprise domestiquait toujours les concepts venus de l’extérieur), pour soi-disant redonner le pouvoir de créer aux employés, il n’a pas non plus dépassé le stade du bullet point dans un discours stratégique, de fablabs internes bons à occuper quelques geeks en mal de créativité ou d’ateliers animés par des coachs bienveillants, scintillants et interchangeables.

Pourquoi une telle déroute ? Car souvent on pense qu’avec un outil vient le talent et les idées.

L’outil peut en effet libérer l’intention en lui permettant de passer à l’action et de faire naître une chose concrète, qui n’existait pas auparavant, mais il ne peut se passer du fuel de l’intention. Dans l’exemple de l’imprimante 3D, beaucoup d’usages intéressants ont vu le jour, car l’intention du créateur avait dépassé l’outil en le considérant non pas comme une fin en soi mais comme ce qu’il est en réalité, un moyen.

L’esprit maker a comme un goût de frustration, comme si nous n’étions pas allés au bout de l’idée.

Pourtant, dans cet actuel moment de flottement, de mutation, entre ordres anciens et autonomie nouvelle et encore hésitante, il pourrait connaître un nouvel essor. Et peut-être en passant un cap. Car l’imprimante 3D laisse aujourd’hui place à sa cousine metaverse-ready, l’imprimante à hologrammes. Notons au passage l’ironie de l’emploi du mot imprimer pour désigner l’acte de créer une image immatérielle, alors que l’étymologie renvoie à une pression très physique.

En outre, l’image holographique ou autres images immatérielles, se trouvent souvent opposées au livre papier comme deux ennemis irréconciliables, alors qu’ils constituent deux supports à l’imaginaire super excitants pour les neurones. De l’imprimerie de Gutenberg à cette invention, il s’agit d’un outil, traversé par la même intention : mettre un objet « culturel » à la portée de tout le monde et non plus réservé à une élite. C’est pour le coup l’objectif clairement assumé du CEO de LitiHolo (3) 

Paul Christie, qui s’enflamme dans Petapixel en mars 2021 :

« Holography has evolved a great deal in the 60 years since its introduction and we view our desktop 3D Hologram Printer as an important next in bringing this technology to the masses. For the first time, the power to create true holograms will be accessible to anyone with one of our printers, which opens up a whole new world of hologram possibilities ».

Concrètement ? Vous nourrissez la machine d’images variées de l’objet, schémas en 3D, vidéos, photos, qui sont ensuite analysées au pixel près, avant d’être encodées au laser sur un support spécial. Le produit fini recrée toutes les perspectives, rendant l’objet bien présent. On peut le regarder sous toutes ses coutures.

Et donc ? Maintenant, qu’en faire ?

Le metaverse à mains nues

« All that is visible must grow beyond itself, and extend into the realm of the invisible. » Tron, 1982

Une fois que vous aurez fabriqué un hologramme de votre Loulou de Poméranie, qu’allez-vous bien pouvoir élever au rang d’image 3D ?

Le fait est que les fondateurs pensent eux-mêmes qu’audelà de l’usage récréatif, l’imprimante peut servir à des ingénieurs, des médecins ou des architectes. C’est-à-dire à des professions dont simplement par l’intitulé l’intention semble claire.

On imagine facilement les applications : modéliser un moteur de drone, un organe ou une maison. Il n’est pas si facile de créer du nouveau. Posez-vous la question : que feriez-vous avec une imprimante à hologrammes, par rapport aux différentes activités de votre vie ? Et à l’inverse, on peut supposer que cet outil précis a le pouvoir de vous donner une idée nouvelle d’activité. Laquelle ?

L’hologramme fait un peu sourire car il porte en lui-même sa propre illusion, comme de façon auto-ironique.

Il est déceptif d’emblée, car même si tourner autour d’une image plate qui imite la profondeur étonne et amuse toujours, l’hologramme reste visiblement un hologramme. Sa texture, soit un peu nuageuse, aux couleurs désaturées, façon jeu d’échecs de Star Wars, soit un peu fluo à la Tron dit tout sans ambiguïté. Savoir qu’il s’agit d’une illusion ajoute même au plaisir. 

Or dans l’époque obsédée par l’hyperréalisme pictural et sensoriel que nous traversons, la part de jeu que contient une illusion, comme celle mise en scène par un prestidigitateur dont on sait et on aime qu’il nous manipule, constitue un défi. Comment la réduire ? Comment rendre l’illusion si parfaite qu’on ne la voit plus du tout ?

Solidlight (4) élimine de l’hologramme tout ce qui le rend reconnaissable comme tel. Vous voyez une orange posée sur la table. Impossible de savoir à l’oeil nu si elle est un fruit prêt à être épluché ou une image impossible à saisir. Créé par Light Field Lab, cette invention est une plateforme de projection holographique (5) en haute résolution capable de matérialiser en l’air des objets qui peuvent bouger, mais aussi prendre en compte leur environnement pour les réfléchir par exemple.

En cohérence totale avec sa dénomination même, « lumière solide », la solution se positionne clairement contre les images en 2D et aussi, de façon plus implicite, contre les univers immersifs, puisqu’elle propose une expérience sans solution de continuité entre les objets immatériels et l’environnement matériel : « Imagine one day being able to replace physical objects with nothing but light – a world where digital objects escape the screen and integrate seamlessly with reality. » Une certaine poésie émane de cette déclaration lue sur leur site, qui parle d’objets de lumière évadés des écrans pour peupler la réalité.

Mais l’intention ne s’arrête pas là : « Light Field Lab is redefining what’s perceived as real to disrupt a world consumed by flat images, technology previously thought limited to science-fiction – but real today. We’re creating a world where content escapes the screen and merges with reality. »

De quoi faire réfléchir les adeptes d’un metaverse version paraverse, monde parallèle au monde matériel, dont il est coupé.

Plutôt qu’un paraverse, on pourrait imaginer un crossverse où images et choses tangibles se mêlent, créant un environnement de contenus libérés des écrans. Prendre le meilleur des deux mondes tout en relevant la tête (des téléphones, tablettes, portables).

La petite faiblesse et le charme de l’hologramme reste son état immatériel. On ne peut le palper, sauf dans Star Trek : The Next Generation qui met en scène un holodeck : projection réaliste en 3D d’un environnement avec lequel vous pouvez interagir et même toucher.

On le sait, dans un univers immersif, des prothèses, comme des gants par exemple, utilisent les avancées haptiques pour reconstituer le toucher : l’exosquelette simule une résistance et vous avez l’impression de saisir l’objet. Mais avec un hologramme, par exemple un ballon de basket, comment réussir l’illusion à main nue ? En s’inspirant d’une technique de magicien du XIXe siècle, appelée Pepper’s Ghost, qui effrayait les spectateurs avec des spectres qu’ils pouvaient voir et sentir passer dans un courant d’air : c’est précisément l’air qui a inspiré l’équipe de Aerohaptics. (7) 

Une technologie sophistiquée et ultra-ciblée d’air pulsé sur les doigts, les mains et les poignets pour vous donner l’illusion parfaite de toucher ce ballon holographique, le faire rouler dans votre paume et rebondir. Vous pouvez aussi appuyer plus ou moins fort sur ce holoball et sentir sa force plus ou moins intense quand il vous revient entre les mains.

Le système est piloté par un algorithme qui contrôle la direction et la puissance des jets d’air en fonction des mouvements de l’humain en face de l’hologramme, proposant les combinaisons appropriées pour rendre l’effet escompté. Les créateurs travaillent aussi sur une poignée de main ferme avec l’hologramme de votre collègue, ce qui ferait revenir un geste oublié depuis la pandémie. Prochaine étape ?

Ajouter des fonctionnalités : la température, pour ressentir le chaud et le froid d’un holobject. Le parfum : vous pourrez cueillir et sentir une rose (8) qui n’a jamais poussé dans aucun jardin. Quant aux usages, Ravinder Dahiya, l’un des chercheurs, les imagine dans The Conversation en septembre 2021. Ludique, bien sûr, en insistant sur l’accès naturel, sans équipement lourd, aux interactions avec les objets et personnes en 3D :

« As the system expands and develops, we expect that it may find uses in a wide range of sectors. Delivering more absorbing video game experiences without having ti wear cumbersome equipment is an obvious one. »

D’autres usages, d’ordre professionnel, viennent naturellement à l’esprit :

« It could also allow more convincing teleconferencing too. It could also help clinicians to collaborate on treatments for patients, and make patients more involved and informed in the process. Doctors could view, feel ans discuss the features of tumours cells, and show patients plans for a medical procedure. »

Il est frappant de noter que, là encore, le jeu constitue le point de départ d’autres usages.

Souvent réduit et dévalorisé, le jeu met pourtant en branle des fonctions cognitives fines, des comportements individuels et collectifs stimulants, demande des facultés d’apprentissage, de mémorisation, d’adaptation, d’improvisation, de passage à l’acte… Bref, autant de qualités et de compétences demandées dans le monde des entreprises.

Alors oui, le jeu y existe, que ce soit par la caricature cool du babyfoot en open-space ou dans des serious games, mais tout en dénigrant souvent des jeux (9) comme Minecraft, Among Us, Fortnite, Brawlstar…

Comparons simplement comment pourrait être mené le même projet sur une plateforme de visioconférence ou bien dans un jeu, un vrai.

D’un côté, des réunions statiques de personnes réduites à des portraits mal éclairés, figés dans une solution technique sans aucune autre fonction que le partage de slides. De l’autre, des avatars totalement customisables, qui peuvent par leur apparence et leurs accessoires dire leur fonction au sein du projet. Une map, décor dynamique et évolutif, qui implique des points de départ et d’arrivée, des péripéties, donc une dynamique, le tout augmenté de fonctionnalités stimulant créativité et spontanéité.

Dans quel environnement votre intention a-t-elle plus de chances de faire le plus d’étincelles ? Sans doute dans un univers surprenant, stimulant et qui permet de mettre vraiment en pratique cette fameuse antienne rarement appliquée : « penser out of the box ».

Pourtant, certaines premières versions d’utilisation des fonctionnalités vidéoludiques laissent songeur, pétries d’esprit corporate : en guise d’avatars, des costumes et des tailleurs.

L’environnement ? Des salles de réunion en 3D, qui vont jusqu’à intégrer le sinistre ficus alibi, ou des décors abstraits et aussi inspirants qu’un réfrigérateur vide.

 

Extrait de la version numérique du livre des tendances 2022 de l’Observatoire Netexplo « Unscripting Tomorrow » . Nos remerciements à Sylvain Louradour, Directeur associé de Netexplo et à Thierry Happe, président co-fondateur Netexplo.

NOTES

(1) - Au sujet des nouvelles saveurs jamais goûtées sur terre, voir The New Now, de chair et d’écrans, p. 105

(2) - « Pour permettre une création spontanée, en réaction avec la réalité, il faut une solution très simple, d’où le choix d’une appli mobile sur téléphone. Dans Wanderland, on peut ajouter sa trace dans le monde physique palpable, que l’on augmente. C’est important d’être ancré dans notre réalité, d’avoir ce lien d’amplification du réel. La réalité augmentée est une autre version du metaverse, qui s’appuie sur le spatial computing. » Interview exclusive Netexplo, mars 2022.

(3) - 2043 : La metaméditation (dans le metaverse) rencontre aujourd’hui plus d’adeptes que la matmeditation (sur un tapis de yoga) : plus la peine d’imaginer que vous êtes une vague, vous l’êtes vraiment, en 3D.

(4) - Etats-Unis, captation Netexplo N100 2022

(5) - Etats-Unis, captation Netexplo N100 2022

(6) - Dans une entreprise, un hologramme peut par exemple exprimer une raison d’être.

(7) - Royaume-Uni, captation Netexplo N100 2022

(8) - Pourquoi ne pas mixer Aerohaptics avec Odeuropa, ce projet capté en 2020 par Netexplo, qui reconstitue les odeurs du passé ? Lire aussi dans The New Now, the new past, p. 113 sur une mini-tendance « Innover avec le passé ».

(9) - 2029 : Ce sont les plateformes connues dans l’ère prépandémique comme jeux vidéos qui se taillent la part du lion sur le marché des solutions de visio professionnelles. Les interfaces pauvres et contraignantes n’ont pas résisté.

Dans une entreprise, ne plus considérer le gaming comme un univers infantile ou dédié aux geeks. S’en inspirer pour retrouver efficacité et créativité.

Dernière modification le dimanche, 20 novembre 2022
Desvergne Marcel

Vice-président de l’An@é, responsable associatif accompagnant le développement numérique. Directeur du CREPAC d'Aquitaine,  Délégué général du Réseau international des universités d'été de la communication de 1980 à 2004, Délégué général du CI’NUM -Entretiens des civilisations numériques de 2005 à 2007, Président d’Aquitaine Europe Communication jusqu’en 2012. Président ALIMSO jusqu’en 2017, Secrétaire général de l’Institut du Goût de la Nouvelle-Aquitaine.