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Réplique à Michel Guillou - Michel Guillou s’exprime dans ces colonnes de façon engagée et parfois brutale sans que personne jamais ne lui porte la réplique. C’est dommage, pour la qualité du débat sur le numérique et aussi, je le pense et l’espère, pour la qualité de ses arguments.
Accuser les personnes avec lesquelles on discute de représenter un lobby est une façon de se dispenser d’avoir à répondre à leurs arguments. C’est méprisant et le seul risque auquel cela expose est de se trouver soi-même accusé de parler au nom d’un lobby. Le niveau baisse encore d’un cran lorsqu’on se refuse à utiliser les mêmes mots que ceux auxquels on s’oppose. L’échange devient alors impossible. C’est contre cette dégradation ultime du débat que je voudrais ici brièvement réagir.
 
Le poids des mots
 
Lorsque cela a commencé au début des années 80, on a parlé d’informatique, le I du fameux plan IPT (informatique pour tous). La France à cette époque savait créer des mots avant que ceux des autres s’imposent à elle : ordinateur, informatique, télématique. Mais progressivement, IT (Information Technology) s’est imposé, traduit en TI puis TIC, puis TICE dans le domaine de l’éducation : technologie de l’information et de la communication pour l’éducation, ou l’enseignement, personne ne savait vraiment. Je ne suis pas le seul à avoir regretté que Technology se soit imposé alors que « technique » (sans majuscule) faisait beaucoup mieux l’affaire : il s’agit bien en effet, il s’agit toujours de technique de l’information. Et ce sont deux mots, technique et information, qui décrivent parfaitement la chose. On a cru bon d’y ajouter communication, peu justifié si on y réfléchit, mais sans doute imposé par un autre lobby,…
 
Récemment, on est donc passé à numérique. Le passage a été rapide, facile. La présence de TIC dans un texte le date mieux que le carbone 14. Cela s’est fait sans difficulté dans une sorte d’unanimité qui, avec le recul, étonne. Il est vrai que le remplacement d’un acronyme mal connoté (il pique, il agace…) par un mot français familier plait à tous. Il me plait aussi. A la condition cependant que le mot ne fasse pas oublier que la nature de la chose que « numérique » désigne, c’est-à-dire la technique de l’information, elle, n’a pas changé. Et c’est là sans doute que nos chemins se séparent.
 
Technique et culture
 
Michel aime à parler de culture numérique pour bien signifier qu’avec le « numérique », on est passé dans un autre monde, celui de la culture. Informatique et code sont, pour lui, des mots de l’autre monde, ils n’ont pas droit de cité dans celui de la culture numérique, ils n’ont pas à être appris ni enseignés à l’école.
 
Je ne suis pas d’accord avec lui et je vais résumer ma position en deux points.
 
Poser la question de l’enseignement du code et de l’informatique est parfaitement légitime, même dans le monde de la culture numérique. C’est une vision bien archaïque d’opposer culture et technique. La technique fait partie de la culture ; les objets techniques sont des objets culturels et leur enseignement est un enseignement de culture. Par ailleurs, la technique du numérique est la technique de l’information, c’est-à-dire l’informatique. Car ce qui se numérise c’est ce que l’on appelle une information. C’est ensuite à l’intérieur du domaine informatique qu’apparaît le rôle central du code. C’est ainsi.
 
Mais ce n’est pas parce qu’un enseignement est légitime qu’il doit être adopté. Les domaines de savoirs qui frappent à la porte de l’école pour y entrer sont nombreux. Alors pourquoi l’informatique plutôt que la navigation à voile ? On peut en discuter et, en l’occurrence, les opinions parmi ceux qui acceptent d’en débattre sereinement, peuvent diverger. C’est normal et sain.
 
Pour ma part, je suis favorable à la présence de l’informatique comme objet d’apprentissage dans le monde scolaire, pour plusieurs raisons. S’il fallait n’en retenir qu’une, ce serait celle-ci : la programmation d’un automate est, à tout âge, une expérience d’apprentissage d’une très grande richesse. Il existe d’innombrables illustrations empiriques de cette assertion. Or, ce qu’un enfant doit attendre en premier lieu de l’éducation, c’est moins la promesse qu’il y apprend des choses qui pourraient lui être utiles lorsqu’il en sera sorti, que de vivre dans son école des expériences d’apprentissages enrichissantes, stimulantes et qui lui donneront le goût d’apprendre et de vivre. L’apprentissage et la pratique du code peuvent en faire partie, je le crois vraiment.
 
Serge Pouts-Lajus, Education & Territoires
Pouts-Lajus Serge

Directeur associé du cabinet de conseil et de formation "Education & Territoires"