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Après lecture de l’article publié par : Jean-Michel Cornu et Christophe Castro Comment faire cours à 100 000 personnes ? sur Inriality, voici quelques questionnements.
   « Tout se passe comme si les fins disparaissaient par suite de l’ampleur des moyens mêmes dont nous disposons. » Ellul J. (1990) La technique ou l’enjeu du siècle, Econonomica
 
Face à l’explosion de la demande de qualifications et de compétences, l’industrie du « numérique »met en place des stratégies pour gagner des parts de marché de l’enseignement. Ce choix s’inscrit dans la poursuite du développement des technologies de l’information depuis l’imprimerie pour l’éducation et la formation.
 
Le sens de ce fait se situe sur un large spectre dont l’expression des deux extrêmes est réductrice puisqu’ils sont interdépendants l’un de l’autre (Saussois J-M., 2006), mais il permet de prendre la dimension des enjeux. Ainsi, il est possible de questionner les discours récurrents des politiques qui souhaitent une évolution des pratiques vers l’industrialisation de l’enseignement pour que le savoir soit partagé avec équité sans en augmenter les coûts et des entrepreneurs qui y voient des parts de marchés qui s’accompagnent de la mise en concurrence sur le marché du travail d’ individus qualifiés et compétents.
 
Dans cet espace se joue la capacité du citoyen de transformer ce produit en un bien qui augmente son capital non pas simplement dans le champ culturel mais conjointement sur le marché du travail (Jeannel A., 1993).
 
Il s’agit donc de poser une série de questions aux entrepreneurs et aux politiques suite à leurs propositions.
La volonté des décideurs est-elle de faire du produit numérique pour l’enseignement un bien qui augmente les ressources du citoyen ?
 
Quels sont les acteurs qui décident que l’usage de ces produits sera un objet d’enseignement ?
 
Par quelle type d’appropriation symbolique et privée des produits du numérique disponible sur le marché, l’utilisateur en fait-il un bien cognitif ?
 
Dans son environnement, l’utilisateur a-t-il la capacité et les ressources de faire de ce produit un bien cognitif, en a-t-il la « capabilité » (Sen A.K., 2010) ?
 
Le mode d’emploi et sa lisibilité déterminent—ils un usage ?
 
Parmi les propositions des rubriques proposées par le recours au numérique pour une refondation de l’enseignement, à titre d’exemples nous retiendrons à traiter en fonction des problématiques précédentes celles-ci :
Que signifie le choix du numérique comme système d’enseignement : Quelle place a occupé précédemment l’industrialisation de l’enseignement ?
 
Dans le fait de considérer le « cours » comme l’adresse d’un même message à un vaste public, la dimension des multiples manifestations de cette pratique est-elle prise en compte ? 
 
Un nouveau modèle économique se définit-il par rapport à d’autres possibles ou est-ce une redistribution des postes budgétaires au sein d’un modèle unique ?
 
Dans quelle filiation se trouvent les nouveaux outils numériques ? S’il existe une rupture épistémologique, de laquelle s’agit-il ?
 
Comment définir une équipe de soutien, de formation dans un système qui prévoit l’industrialisation de la didactique et de la relation pédagogique ou andragogique ?
 
Entre production industrielle et système d’enseignement, quel sens donné à l’éthique ?
Bien entendu l’analyse de la question posée et la posture des auteurs ne sauraient se réduire à l’analyse de l’acquisition d’un bien qui situe le citoyen dans l’espace social et politique.
 
Mais à entendre ces propositions dans leur forme réduite, il serait possible d’imaginer que par quelques traitements produits de la nano biologie qui augmenteraient les caractéristiques de l’humain (Atlan M. et Droit R.P., 2012 ; Claverie B., 2010), le citoyen pourrait acquérir simplement par les échanges médiatisés par une machine les connaissances attendues par les décideurs politiques et les entrepreneurs dans le but de répondre aux normes établies.
Il nous semble déjà avoir entendu ce chant mortifère.
 
Alain Jeannel
 
Atlan M. et Droit R-P.(2012), Humain. Une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies, Flammarion.
Claverie B.(2010), L’Homme augmenté, L’Harmattan.
Jeannel A. (1994), « Design et ingenierie éducative », In Notion de bien éducatif, Services de formation et industries culturelles, IUP INFOCOM Lille3.
Saussois J.M. (2006), Capitalisme sans répit, La dispute.
Sen A.K. (2010), L’idée de justice, Flammarion.
Dernière modification le jeudi, 27 octobre 2016
Jeannel Alain

Professeur honoraire de l'Université de Bordeaux. Producteur-réalisateur. Chercheur associé au Centre Régional Associé au Céreq intégré au Centre Emile Durkheim. Membre du Conseil d’Administration de l’An@é.