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Photo Credit : Madame Li via Compfight cc - Article initialement publié le 10 septembre sur le site Veille et Analyses TICE : L’écoute régulière des médias de flux et de masse et l’observation de ses relais dans les échanges ordinaires, en ligne et en présence pose une question importante : sommes-nous capable de discerner la valeur d’une information ?

Jadis Edgar Morin et sa rumeur d’Orléans, plus récemment Pascal Froissart et la rumeur : histoires et fantasmes et d’autres encore (http://c.asselin.free.fr/french/Rum...), nombre de chercheur nous ont alerté sur la caractéristique de cette manipulation informationnelle qui tend souvent à passer du fait à la lecture du fait, de la relecture du fait à la rumeur. Entre les deux, depuis l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux numériques en particulier, le mot buzz s’est installé dans le paysage. Sorte d’onomatopée, ou tout au moins de métaphore ou de symbole, le mot buzz a supplanté celui de rumeur, proche pourtant. Sauf que le mot buzz est « anobli », pas sa proximité avec les monde du marketing (viral en particulier).
 
Notre perception du monde qui nous entoure est de plus en plus médiée et médiatisée. Cela correspond, historiquement au développement conjoint de deux lignes technologiques : celle de la production d’information et celle de la diffusion (transport) de l’information. Cela se traduit concrètement par le fait que, de plus en plus souvent, je dispose, ou plutôt je retiens, davantage de signes venus d’évènements lointains que de faits observés directement dans ma relation quotidienne avec l’environnement immédiat. La médiatisation des évènements ayant désormais de nouveaux canaux de diffusion et de puissance de production d’information, elle impose à chacun des flux (même sur Internet qui permet pourtant de s’en défaire) dont il est difficile de s’affranchir réellement. Si la rumeur était principalement basée sur des échanges interpersonnels, le buzz lui repose d’abord sur des échanges médiatisés (la présence de l’objet du buzz sur un ensemble de supports de diffusions) relayés ensuite par des échanges médiés (la présence de l’objet dans les échanges sur les réseaux sociaux de toutes natures). Si la rumeur se base sur la circulation d’informations par proximité, le buzz lui s’appuie sur une diffusion, la plus large possible, dont l’évaluation est exprimée en termes de popularité. Ni l’un ni l’autre ne correspondent à des réalités perceptibles par chacun mais bien par des représentations de cette réalité.
 
Quand on se trouve avec un groupe de personnes à échanger, il n’est pas rare de voir apparaître une ou plusieurs références, soit à des rumeurs, soit au buzz. Il est d’ailleurs difficile de repérer la nature même de l’information proposée a priori, seul un travail de déconstruction du message peut commencer à la révéler. Avec le développement des réseaux sociaux numériques, la rumeur a trouvé un terreau très riche pour s’exprimer. Ce qui est intéressant c’est de voir que les médias de flux relaient sans plus de discernement des informations qui circulent sur les réseaux, comme on peut le constater soit dans des émissions qui sont consacrées à la « vie de la toile », soit dans des articles qui relaient des propos tenus sur twitter par exemple. Au delà de ce fait c’est une tendance très forte, propre à chaque humain et présent dans les médias, à passer de la perception individuelle d’un fait au fait lui-même… exprimé comme vérité qui s’impose. C’est le cas des sondages dont on sait qu’ils sont un reflet mais qu’ils ne sont pas la réalité mais qui sont repris avec une rhétorique factuelle. Ainsi on peut lire des phrases qui commencent par « les français ne veulent pas de … » ou encore « les goûts changent… » pour évoquer les résultats de sondages qui devraient pourtant utiliser des termes comme déclarent à la place de veulent ou changent. Or cette manière de faire trouve un relais très rapide dans les espaces d’expression ouverts à tous sur Internet. En d’autres termes nous manquons globalement de capacité à discerner. On pourrait faire même l’hypothèse que dans certains contextes nous ne faisons pas l’effort de discerner.
 
Le monde de la publicité à très bien compris ce phénomène et l’utilise depuis longtemps. L’engouement pour le numérique et son incessant renouvellement d’offre s’appuie sur deux effets simultanés : l’imaginaire du progrès et le buzz. L’un alimentant d’autre, il est difficile dans un contexte d’explosion des sources disponibles d’y trouver des repères. Le buzz, qui nous intéresse particulièrement, est un phénomène qui mérite, de la part de l’éducateur, une réflexion. Parce qu’il s’appuie sur la quantité de la diffusion avant de s’intéresser à la qualité de la réception, est un puissant outil de manipulation des représentations sociales. Le fait, pour une personne, de relayer le buzz demande à ce qu’on s’arrête un instant sur cet acte. Quand je relaye une information, quelle est mon attitude, ma démarche, ma pratique ? C’est l’instant de la prise de décision de ce relais qui est intéressant. La construction de la décision est souvent inconsciente, ou plus simplement les éléments conscients sont mineurs par rapport aux éléments inconscients. La tentative d’explicitation de cet inconscient, aussi douloureux soit-il est indispensable à celui qui revendique sa responsabilité. Certaines professions sont particulièrement exposées à ce risque : celle de journaliste, celle d’enseignant d’autre part. Dans les deux cas, c’est une question d’autorité (au sens étymologique du terme). Pour le journaliste, la logique audimétrique du métier et l’autocensure sont des éléments de fond de cet inconscient. Pour l’enseignant, la logique de transmission d’un savoir maîtrisé et l’urgence des situations porte cet inconscient. Pour l’enseignant l’imaginaire de l’autorité fondée sur ses connaissances l’amène à devoir donner une apparence de solidité à son propos. Au risque du buzz il propose l’assurance d’un savoir dominé. Mais dans cette assurance, il est souvent lui-même victime du buzz, voire du « vu à la télé ». Mais c’est surtout l’urgence des situations qui freine l’enseignant dans l’explicitation. Il n’a pas le temps de travailler l’explicitation, ou il ne prend pas le temps. Et pourtant il relaie une information, un savoir dira-t-on parfois de manière abusive, parce qu’il en a besoin dans un contexte donné. L’élève, ou l’étudiant, qui va vérifier sur Internet pendant le cours, si ce que dit l’enseignant est « correct » (?) inverse même la situation : il discerne (ou tente de le faire) à la place même de l’enseignant. Par le fait il remet en cause l’autorité même du détenteur institutionnel du savoir.
 
Le buzz à englobé la rumeur. Sorte de passage obligé de l’information, vraie ou fausse, le buzz est en réalité l’expression d’une logique commerciale. A la recherche de l’impact du message, on en oublie la qualité, la vérité. Mais ce qui s’ajoute au buzz, c’est la quasi irréversibilité. Celui qui parle le premier a raison. Tout buzz qui survient après a beaucoup de mal à se faire entendre, surtout s’il tente de défaire un buzz antérieur. Il faut alors une dose de patience et d’opiniâtreté pour parvenir à défaire le buzz.

Eduquer dans ce domaine, c’est d’abord apprendre à identifier « l’originalité » du propos, première main ou pas ! C’est ensuite prendre le temps de la confrontation avec d’autres propos sur le même objet. C’est aussi tester, faire des hypothèses. Le relais d’une information sur un réseau social numérique (du mail au forum ou à twitter…) ne devrait advenir qu’à ce prix. Malheureusement nous ne prenons pas toujours cette précaution, pris dans l’urgence de la situation, à moins que ce ne soit dans la facilité d’un geste qui lui même peut nous rendre populaire…
A suivre et à débattre.
 
Bruno Devauchelle
Devauchelle B

Chargé de mission TICE à l’université catholique de Lyon et professeur associé à l’université de Poitiers, département IME.