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Comme disait France Gall, « c’est peut-être un détail pour vous mais pour moi cela veut dire beaucoup ». En effet, au mois de novembre, la commission d’enrichissement de la langue française a diffusé une nouvelle liste de mots traduits en français. Ainsi, et c’est là que le bât blesse, il ne faut plus dire « hackathon » mais « marathon de programmation ». Autant dire que je me suis étranglé en lisant cette nouvelle.

Que la commission en question veuille traduire des termes anglo-saxons, soit… C’est son rôle. Mais qu’elle le fasse de cette manière, en ignorant le véritable sens des termes, cela me déçoit horriblement.
 
À l’origine, je me souviens dans mon jeune temps que l'on appelait ces événements « copy party » ou « coding party ». Certes, la pratique était totalement illégale car on se refilait sans véritablement songer au caractère litigieux de l’acte des copies de jeux sur des plateformes comme Amstrad, ZX Spectrum, Amiga, Atari, Commodore 64, Thomson TO7 et MO5… Mais, au fil du temps, c’est surtout devenu l’occasion de discuter code, d’échanger des techniques, des astuces, de diffuser des logiciels et des jeux et logiciels dits « homebrew » c’est-à-dire « faits maison ». On s’y retrouvait pour partager notre passion de la programmation et relever des défis techniques et artistiques. On s’y retrouvait pour partager nos connaissances et faire évoluer nos passions, bref dans la plus pure tradition du hacking qui est loin, très très loin de l’image que les médias veulent bien en donner. Oubliez le vilain hacker à capuche qui ne mange que pizzas et hamburgers en se servant de votre carte bleue. Il n’existe que dans les films. Le hacking, ce n’est pas pas cela. La preuve par cette réutilisation du mot hack dans la version « noble » de la « coding party », le hackathon.
 

Hacker, c’est en effet jouer de sa curiosité, de son ingéniosité pour résoudre des énigmes, des problèmes, pour faire avancer le monde.

 
Un hackathon n’a alors d’autre raison d’être que de s’attaquer à une cause et de fournir des embryons, des prototypes de solution dans un temps donné. Si le concept a été largement perverti au fil des ans, certaines structures et entreprises s’en servant pour obtenir du travail gratuit ou organiser des sessions de recrutement, c’est cette fois lui donner le coup de grâce en évacuant toute notion d’évolution technique, scientifique, artistique ou sociale. L'expression « marathon de programmation » donne-t-elle son véritable sens au hackathon ? Elle n’en dresse que la caractéristique de dépassement de soi. Rien de bien excitant…
 
Une commission peut-elle décider de l’avenir d’un événement, d’une pensée ? Que nenni ! Et heureusement le mot ne fait pas le verbe ou l’action.
Certains mots résistent bien. J’entends ainsi rarement « courriel » pour « email », « aide au dépannage » pour « troubleshooting » (ce qui n’a pas le même sens…) ou « arrière-guichet » pour « back office » (difficile d’y voir une similarité). Loin de moi l’idée de vouloir faire de l’anglicisme à tout prix mais légiférer sur des termes bien intégrés dans le langage technique dix ou vingt ans après leur apparition est certes une question qui me taraude, leur ôter tout sens est un véritable problème.
 
Nous avons d’ailleurs un précédent fameux avec « codage » pour « coding » alors que le terme « code » existait déjà dans le langage informatique courant. Rappelons que le codage notamment de l’information c’est par exemple le code-barres. La première fois que l’on m’a demandé si je pratiquais « le codage » avec les enfants, j’en ai été tout chamboulé. Je me suis vu une douchette à la main, scannant un à un le code-barre qu’on leur aurait tatoué dans le cou. Soyons cependant heureux car nous avons échappé à une ancienne proposition visant à remplacer « hardware » par « quincaille » et « software » par « mentaille ». On peut trouver mieux...
 
Si je peux accepter d’évoluer d’email vers courriel, il n’en sera rien pour ce fameux « marathon de programmation ». Si ce terme ne vise que la performance et vide le hackathon de sa « substantifique moëlle » comme disait si bien mon professeur de philosophie de Terminale, il est important de lui conserver ses lettres de noblesse et ses objectifs. Non, le but du hackathon n’est pas d’aligner pendant des heures des lignes de code sans trop savoir pourquoi. Notons d’ailleurs que cela évacue aussi la dimension pas forcément totalement numérique du hackathon dans son sens large. Bref, en ces temps où nombreux cherchent du sens, jeter le hackathon avec l’eau du bain intellectuel et ingénieux est un non-sens.
 
Ainsi que le disait Rabelais (ou presque) : « Performance sans conscience n’est que ruine du hack. » Et maître Yoda : « Hacker le marathon de programmation, tu dois… »
Dernière modification le dimanche, 02 février 2020
Cauche Jean-François

Docteur en Histoire Médiévale et Sciences de l’Information. Consultant-formateur-animateur en usages innovants. Membre du Conseil d'Administration de l'An@é.