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Et bam ! C'est comme une gueule de bois, comme une maladie qu'on vous annonce et à laquelle vous avez du mal à croire, comme tous ces trucs qui "se passent ailleurs mais pas chez nous quand même"...

Et pourtant... Les députés et sénateurs ont voté la loi sur le renseignement. Le Conseil Constitutionnel n'a rien de trouvé à mieux à faire que de la valider sans véritablement commenter le bien-fondé de leur choix. Presque contraints...

Elle est là, il va falloir faire avec et c'est un immense recul pour la démocratie, une profonde déception pour tous ceux qui se battent pour la liberté et pour le droit à la vie privée. Je reste sonné, ne sachant trop quel sera l'avenir, que faire. J'envisage pour la première fois de ma vie d'internaute ce que sera ma vie déconnectée. Lorsque j'ai découvert ce fabuleux média, lorsque je me suis enthousiasmé, jamais je n'aurais imaginé qu'un jour je souhaiterais prendre de la distance, encore moins pour la simple raison que sans cesse on regarderait par dessus mon épaule.

J'entrevois quatre conséquences directes de cette loi.

Premièrement, bienvenue dans un web insipide où on évitera de trop dire ce que l'on pense, quand bien même on n'aurait rien de grave à cacher. Faut-il que je vous rappelle "Matin Brun" de Franck Pavloff ? Peut-être qu'un jour ce qui vous paraît anodin sera devenu contraire aux lois. Peut-être qu'un jour ceux qui n'ont rien à cacher seront eux aussi touchés. On peut certes chiffrer mais, si vous chiffrez, vous êtes suspect. Allons donc, pourquoi voudriez-vous vous cacher si ce n'est pour faire des choses illégales ?! C'est toute la substance de cette loi. Bienvenue donc dans un web qui va finir par ressembler à la télé, sans possibilité d'y créer des zones où respirer.

Deuxièmement, j'ai du mal à voir l'articulation entre French Tech et Loi de Renseignement. Bienvenue aux entreprises étrangères, bienvenue aux investisseurs ! Sachez que nous connaîtrons tout de vos secrets. C'est un très mauvais signal que nous envoyons là.

Troisièmement, autre mauvais signal que nous envoyons, cette fois aux enfants et adolescents qui découvrent, apprivoisent la communication en ligne, n'en comprennent pas encore forcément tous les rouages et les limites, n'en connaissent pas toujours les risques. Le filet est désormais grand ouvert face à eux et des dérapages innocents, irréfléchis risquent de porter gravement à conséquence. On ne connaît pas encore non plus l'étendue possible de cette loi vers les mouvements contestataires n'ayant pourtant rien de terroriste.

Enfin, quatrième et dernière conséquence directe à mon sens, tout simplement l'inutilité de ce dispositif envers ceux qu'elle est censée véritablement concerner. Quand on se sait surveillé, on redouble de vigilance, on utilise d'autres moyens de communication et je doute que les réseaux terroristes et mafieux, bien au courant de la technologie, ne prennent des précautions qui annuleront littéralement les effets de la loi de Renseignement. Un coup d'épée dans l'eau...

Il me reste cependant un espoir en pensant à un très vieux morceau du groupe anglais The Prodigy "Their law", écrite lorsque le gouvernement anglais avait légiféré sur les espaces de liberté que constituaient les raves. La maladie législative s'est propagée, a peu à peu tué l'essence même du mouvement. Mais il est resté un noyau dur, la musique et sa philosophie se sont exportées, ont imprégné des pans de la société, fusionnant avec d'autres mouvements et The Prodigy a même été invité à jouer lors de la cérémonie des jeux olympiques.

Alors, oui, affirmons-le, c'est bien "their law", leur loi, pas celle d'un peuple, pas celle de notre monde ni de la société de confiance dont nous rêvons. L'histoire ne s'arrête pas aujourd'hui. Elle sera plus dure à vivre mais elle peut nous réserver encore de belles surprises.

Dernière modification le jeudi, 30 juillet 2015
Cauche Jean-François

Docteur en Histoire Médiévale et Sciences de l’Information. Consultant-formateur-animateur en usages innovants. Membre du Conseil d'Administration de l'An@é.