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...ou comment mettre fin aux cas de harcèlement moral au travail ?
Le 21 mai 2014, le Se-Unsa m’invite au nom d’Aide aux Profs à contribuer à la réflexion sur la réinvention de la GRH dans l’Education Nationale, à son colloque parisien au siège de la Mgen.
 
 
C’est un sujet majeur qu’a complètement occulté la Refondation (regardez attentivement le schéma "l’Ecole de la Refondation") du ministre Vincent Peillon, alors qu’il en avait largement la possibilité, et le temps. Au lieu de cela, il s’est englué, peut-être conseillé par ceux de ses conseillers qui ne voulaient rien changer en matière de fonctionnement du système dont ils sont issus, dans les rythmes scolaires, en affirmant haut et fort que l’élève doit être au centre de l’Ecole.
 
Si ce fait est bien établi et confirmé par toutes les politiques qui ont précédé, qu’en est-il de celui qui éveille l’enfant, l’élève, aux savoirs, aux savoir-faire, aux savoir-être et à leur analyse ?Pourquoi ne pas le placer lui aussi au centre de l’Ecole, dans le cadre de cette relation qu’il forme avec l’élève ? Pourquoi oublier l’un en consacrant toute l’attention sur l’autre ? Pour éviter de fouiller dans la malle que beaucoup préfèrent voir cachée dans le grenier commun ?
 
Les enseignants se plaignent de plus en plus de la manière dont ils sont « gérés ». La perte de leur pouvoir d’achat au fil des réformes budgétaires qui congèlent leur point d’indice depuis 2009 continue de les dévaloriser, et leur salaire initial sera bientôt rattrapé par le SMIG, tandis qu’un animateur diplômé d’un BPJEPS gagne pour sa part dans certaines communes bien mieux sa vie. Depuis 1998, la perte de pouvoir d’achat des enseignants dépasse les 20% en comptant l’inflation. La France aime-t-elle ses enseignants ? A-t-elle envie d’en être fière, elle qui se désole de les voir bouder les concours, en délaissant certaines disciplines ?
 
Que sera le niveau de revenu d’un enseignant en France à la fin du quinquennat de François Hollandedans le classement de l’OCDE ?
 
L’administration ne paraît pas s’inquiéter de la manière dont elle gère ses effectifs, car elle met tout en œuvre pour étouffer autant qu’elle le peut ces attitudes vélléitaires qui consistent à se plaindre de ses excès, de ses abus, alors qu’elle sait si bien agir contre le harcèlement des élèves à l’école. Le web fourmille d’exemples en la matière d’enseignants qui exposent à la vue de tous, ces courriers innombrables de leur administration pour les réduire au silence en annihilant chez eux toute capacité de résistance, en constituant contre eux un dossier à charge, le plus épais possible, pour lui donner la plus grande force, le légitimer (cf exemples concrets en fin d’article).
 
 Entrer en conflit avec l’administration, pour un enseignant, c’est commencer à creuser sa tombe en prévision de son éventuel suicide, le seul acte qui le sortira de l’ornière s’il ne s’est pas usé psychologiquement avant dans le contentieux qui l’oppose à ceux qui veulent professionnellement sa peau. Lorsqu’il aura compris que rien ni personne ne viendra le sauver, pas même un ministre - etc’est à se demander si ce personnage d’Etat a un réel pouvoir hiérarchique sur l’administration qu’il est chargé, quelques années, de piloter, avant de passer le relais – il n’aura plus que ses yeux pour pleurer, et commencera à compter ses amis. Le harcèlement administratif est un mécanisme qui se construit à plusieurs et se poursuit inexorablement, comme un rouleau compresseur dont l’accélérateur se serait bloqué.
 
Il est curieux que le ministre et l’administration se mobilisent avec tant d’enthousiasme contre le harcèlement des enfants à l’Ecole par leurs pairs, avec un Délégué Interministériel attitré, alors que le harcèlement entre adultes existe lui aussi, et engendre des dommages aussi violents, sur le court comme sur le long terme, et qu’aucun Délégué Interministériel n’est nommé pour l’endiguer, les médiateurs académiques étant surchargés de dossiers qu’aucun CHSCT ne peut prétendre réellement régler.
 
Ce n’est pas l’administration qui réclame la réinvention de la GRH, puisqu’elle a conçu un système qui lui assure un immense pouvoir sur des centaines de milliers d’individus, et qu’elle fait tout pour le préserver, en créant toutes les directives possibles et imaginables chaque année pour en assurer la pérennité. Parler de réinventer la GRH dans l’Education Nationale, si ceux qui la pilotent n’y participent, pas, condamne par avance l’issue possible de la manoeuvre. Rien ne peut changer dans cette GRH de l’intérieur puisque les ministres choisissent pour conseillers des hauts fonctionnaires qui ont tout intérêt à ce que ce système perdure, étant donné qu’ils y retourneront bien plus hauts gradés, avec cette fois un pouvoir bien plus grand.
 
Tous les syndicats ne sont pas demandeurs non plus, si l’on considère ces Décrets de 1950 toilettés à la marge, car certains craignent une perte de leur représentativité si la GRH lointaine et dirigiste devait laisser place à une GRH de proximité dont on ignore si elle en reproduirait les excès.
 
Pourtant, d’autres voies sont possibles...mais paraissent tellement utopiquesactuellement !
 
Nous en venons à nous demander si la GRH doit se décréter, ou si c’est un nouvel état d’esprit à inculquer à chacun dès le plus jeune âge, pour que la GRH, au lieu d’être dévolue aux services DRH, devienne un comportement individuel, chaque fois que survient un contact avec l’autre : savoir être à l’écoute, empathique, accepter son opinion, accepter d’échanger sur cette expression, communiquer, savoir se remettre en question l’un et l’autre pour mieux avancer ensemble et tirer les leçons de l’incommunication ponctuelle qui a pu se poser. Tous les hommes et les femmes en sont-ils capables ?
 
La GRH actuelle n’est-elle pas le reflet de ce que devient dans son ensemble notre société : conflictuelle, tendue, stressée, comme si la survie de son modèle traditionnel était en jeu ?
 
Ce qui est préoccupant dans l’actualité du moment, et depuis près d’un an, c’est le sort qui est fait à un instituteur de la petite école de cette jolie bourgade de Rustrel dans le Lubéron, un coin de paradis : Jacques Risso.
 
Pourquoi lui en veut-on à ce point, après 4 mois de mise à pied, poursuivie par 2 autres mois avant une apparente extinction des charges qui pesaient contre lui, avec l’envie persistante de cette GRH de lui régler un peu plus son compte en le contraignant à perdre son poste pour l’humilier un peu plus ?
 
Comment Jacques Risso tiendrait-il psychologiquement s’il n’était pas soutenu par autant de syndicats et d’enseignants, ce qui ne semble pas arrêter le zèle à le punir ? Mais le punir de quoi, sinon de la liberté de tout homme de talent de s’exprimer par son art, le dessin ?Sommes-nous encore dans un pays de liberté ? France, que devient ta démocratie ?
 
Mais de quel bois est faite la GRH actuelle ? Il devient temps de toutes parts de nous interroger sur les limites exactes du pouvoir d’un IEN, d’un DASEN, d’un IA-IPR, d’un Chef d’établissement, d’un DRH, d’un IGEN sur les masses d’individus qu’il est chargé d’administrer, pardon, de gérer.
 
Si la GRH en vigueur dans une administration, quelle qu’elle soit, avait été conçue dès le départ avec des garde-fous, des contre-pouvoirs, des formes d’évaluation remontante pour faire évaluer au moins une fois par an les supérieurs hiérarchiques par la masse de ceux qu’ils gèrent,nous n’en serions pas rendus dans de telles impasses, parfois. Pourquoi notre société confie-t-elle à certains un pouvoir sans limite sur des milliers d’individus, sans accepter de faire son examen de conscience ?
 
De 2002 à 2012 les gouvernements de Droite qui se sont succédés ont diffusé un modèle de management coercitif qui assoit son pouvoir de domination sur ceux qu’il gère par sa capacité à les sanctionner, par son zèle à supprimer des postes, sans qu’aucune remontrance ne puisse lui être faite. Mais ce modèle est-il imputable à la seule Droite, quand un sondage conforte la Gauche dans le fait que 73% des français se prononcentpour la baisse des effectifs des fonctionnaires (une RGPP 2, après avoir appelé de tous ses vœux la fin de la RGPP 1 ?), alors que seulement 983 personnes se sont exprimées ? Quelle est donc cette forme de démocratie qui gouverne à coups de sondages auprès d’une infime minorité que l’on affirme être représentative de l’opinion de 66 millions de personnes ?
 
Ce modèle dirigiste a conduit dans l’impasse la GRH, confrontée de plus en plus à la réaction des individus oppressés qu’elle conduit parfois sans en avoir conscience à se suicider :
Combien de suicides relatés par la presse d’enseignants qui n’en pouvaient plus, en découvrant que le suicide succédait à un entretien avec l’inspecteur, ou avec le chef d’établissement, ou à la suite de l’annonce d’une affectation non désirée ? Cette GRH de plus en plus lointaine des réalités de la complexité du métier d’enseignant invoque systématiquement, pour se défausser de toute responsabilité quant à la persistance de ce système, les « problèmes personnels » que rencontrait l’enseignant. Il s’en faudrait de peu de considérer dans ce système de GRH que ceux qui osent contester une situation qu’ils estiment injuste sont en fait tous « perturbés psychologiquement », puisqu’ils n’ont pas réussi à intégrer que leurs droits se limitent au bon vouloir de ceux qui les dirigent.
 
Plus de 30% des 1200 à 1500 enseignants qui nous contactent chaque année sont affectés par des comportements similaires d’IEN, d’IA-IPR, de DASEN, de Chefs d’établissement, d’attachés d’administration aussi, qui se comportent avec eux de manière inacceptable, en s’évertuant coûte que coûte à les faire taire dans leurs tentatives parfois désespérées de faire valoir leur point de vue, juste pour se défendre, dès lors que leur sort a attiré l’attention d’un système qui préfère qu’aucune tête ne dépasse, pour voir tous ceux qu’il dirige marcher droit, comme dans un régiment d’infanterie.
 
Ceux qui osent résister à cette GRH veulent disposer de leur droit d’exister. De d’exprimer. De faire valoir leur liberté d’hommes et de femmes, dans un système où le diktat des décisions qui les concernent devient difficile à endurer.
 
La violente crise économique et financière qui secoue notre pays depuis trop longtemps n’est-elle pas responsable elle aussi de la diminution de l’empathie et de la qualité d’écoute de certains ? Où nous conduit cette crise de la communication entre humains ? Pourquoi ceux qui dirigent n’accepteraient-ils pas, de temps en temps, de se remettre en question, sans avoir pour le moins du monde à se sentir humiliés ? Enfants, on nous apprend que « l’erreur est humaine ». Adultes, on s’aperçoit que beaucoup d’être humains commettent des erreurs.
 
Quelques exemples, en-dehors de Jacques Risso :
 
Le site harcèlement
Une enseignante anonyme harcelée par sa directrice
Selon ce site, 40 000 professeurs subiraient un harcèlement
Les témoignages parvenus à Aide aux Profs sont légion
Récit pathétique d’un prof harcelé par son administration
Le harcèlement moral, un abus de pouvoir
Ces enseignants qui portent plainte pour harcèlement moral
Les enseignants ne sont plus soutenus par leur hiérarchie
Le harcèlement moral des enseignants « désobéisseurs »
Le SNPDEN s’en est inquiété
Le harceleur est souvent un pervers narcissique
Cette enseignante se sentait harcelée, elle a fini par se suicider
Autre cas de harcèlement au travail par l’inspection
Le témoignage d’Alain Besson sur son blog
Le témoignage de Guy Landel sur son blog, 12 ans de lutte
 
Que faire en cas de harcèlement moral au travail ?
 
Des ouvrages inquiétants à lire avant de devenir enseignant :
Chute de pierre, la fin d’un prof, de Pierre Clausse 
 
L’ouvrage de Daniel Arnaud dénonce le harcèlement dans l’enseignement
 
La loi protège-t-elle les enseignants contre le harcèlement ?
La protection - théorique - du fonctionnaire contre le harcèlement
Dernière modification le jeudi, 05 février 2015
Boyer Rémi

Président-Fondateur de l’association AIDOPROFS (AIDE AUX PROFS) créée en 2006, renommée APRES PROF en Juillet 2016, redevenue AIDE AUX PROFS le 7 Juillet 2019..

Agrégé de géographie et ingénieur conseil en formation (Master2 Pro), passionné par les mobilités professionnelles des enseignants depuis 1999 et par leur souffrance au travail depuis 2009. Esprit très créatif et passionné par les potentialités du web.

Rédacteur en chef des sites de l'association depuis 13 ans. Chargé de la communication de l'association (>130 reportages depuis 2006). Expert-Consultant et conseiller en prévention de la souffrance au travail et en évolution professionnelle pour les adhérents de l'association.


J’ai publié 3 guides pratiques pour aider les enseignants dans les différents aspects de leur métier, diffusés à plus de 15.000 ex à ce jour :
1) Auteur de : Enseignant...et après ? Comment préparer et réussir sa seconde carrière (août 2009) Ed. Les Savoirs Inédits.
2) Auteur de : Enseignants et mobilité professionnelle. Conseils et outils pour choisir la vôtre (octobre 2011), préfacé par Alain Bouvier), Ed. Les Savoirs Inédits.
3) Co-auteur de : Souffrir d’enseigner : faut-il rester ou partir ? avec José Mario Horenstein, guide pratique préfacé par Georges Fotinos, en co-édition Memogrames-Aide aux Profs.

J'ai été rédacteur de la rubrique Seconde Carrière du mensuel du Café Pédagogique de novembre 2006 (n°79) à juin 2016 (n°171) avec une co-rédaction avec Alexandra Mazzilli, adhérente de notre association, sur l'année 2015..

Aide aux Profs a organisé 3 colloques en 2014, 2015 et 2016.