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Au Musée de la Piscine à Roubaix, une exposition événement confronte Auguste Rodin et Antoine Bourdelle à travers des sculptures, des photographies d’archives, des dessins... Le parcours thématique et une série de focus montrent leur inventivité, le croisement de leurs talents et les échanges qui ont nourri leurs pratiques. Ils ont été très amis, ont engagé des dialogues plastiques jusqu'à une forme de divorce esthétique. 

Intérêt pour la matérialité de la pierre

Antoine Bourdelle (1861-1929) n’a pas été l’élève d’Auguste Rodin (1840-1917) de vingt ans son aîné, mais un de ses nombreux praticiens. Chargé de tailler les marbres pendant quinze ans, Bourdelle a travaillé la matière pour le « poète du corps humain » et participé à la réalisation d’une dizaine de marbres. Cette notion de matière est au cœur de leur lien affectif et artistique. L’exposition ravive leur rencontre, et leur amitié qui aboutit à une rupture.

Le Portrait d’Auguste Rodin par Bourdelle (vers 1910) introduit le parcours. Rodin sous les traits d’un Moïse, en référence à Michel-Ange, est un Dieu de la sculpture. La relation au départ est asymétrique, Rodin fait naître les corps par le modelé, il est un artiste complet par ses créations et les supports d’expression. Bourdelle lui écrit sa grande admiration, la correspondance reste longtemps à sens unique.

L’exposition réunit l’Adam réalisé en 1880-1881 par Rodin pour La porte de l’Enfer à l’Adam de Bourdelle, vers 1891. Les œuvres ont des similarités, Bourdelle serait un héritier de l’esthétique de Rodin. Le Poète (1901) est son marbre le plus rodinien. La gangue très brute rehausse le visage extrêmement poli avec l’impression que l’œuvre sort de la pierre, entre délicatesse et rusticité. La pierre brute et sa composante manuelle avec les traces d’outils sont une spécificité de l’art de Rodin. Bourdelle fortement influencé conçoit des œuvres inachevées.

C’est en 1892, que Rodin découvre le travail de Bourdelle et dès 1893, il devient son praticien, jusqu’en 1907. Bourdelle dégrossit les pierres dans ses ateliers – devenus le Musée Bourdelle dans le 15ème arrondissement de Paris. Ils sont une dizaine voire une vingtaine de praticiens à travailler pour Rodin. En recevant les plâtres, Bourdelle est au plus près de l’œuvre du maître et il apprend, mais développe sa technique par une approche synthétique et architecturale des formes.

Etant plus sollicité pour ses propres réalisations, il confie les œuvres à ses praticiens et élèves, et ne réalise que le modelé final attendu par Rodin. Il travaille à son rythme, mais tarde sur plusieurs années à réaliser le marbre d’Eve.

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La sculpture moderne

Face aux deux Adam, sont présentés des dessins de Rodin qui appartenaient à Bourdelle. Les deux artistes se lient d’amitié et échangent sculptures et dessins dès 1902. Tous deux pratiquaient de façon régulière le dessin. Dans le parcours, d’autres dessins sont à découvrir. Bourdelle a dessiné Rodin dans son atelier (1909).

En 1907, Rodin demande à Bourdelle d’écrire sur ses dessins - une des clés de compréhension de sa pratique. Le texte est publié en 1908, une nouvelle fois Bourdelle déclare toute son admiration. Il est à l’origine de la terminologie des Dessins noirs pour désigner la première période picturale de Rodin inspirée de La Divine Comédie de Dante (XIVe siècle).

L’espace consacré aux mains associe d’intéressantes photos d’archives. Main crispée de Rodin (vers 1897-1899) d’Eugène Druet (1867-1916) illustre un article dont le titre est Main d’expression. Ce sujet de la sculpture rodinienne n’a jamais été considéré par Bourdelle comme une œuvre autonome, mais l’exposition le fait pour souligner l’intensité expressive des mains du Monument aux Combattants de Montauban (1895-1902).

Autre fragment d’importance, le torse, Rodin en exigeait la maîtrise, il est le premier à lui accorder une légitimité plastique. Le torse devient L’Homme qui marche (1899) et influence nombre d’artistes. En fin de parcours, toute une section est consacrée à son rôle majeur.

Pour Bourdelle, Tête d’Apollon (1898-1911) est l’œuvre décisive qui signe la rupture esthétique avec Rodin. Conçue d’après un masque oublié en atelier, Bourdelle l’enrichit et réalise une sculpture presque cubiste. Par des écrits, Bourdelle qui fut longtemps celui qui attend adresse de vives critiques à son illustre aîné, figure écrasante de la sculpture : il l’assimile à un « classique », ne percevant pas l’âme de ses modèles – il a pourtant saisi celle de Balzac -, car il en veut d’abord à leurs corps ! Rodin a été très novateur, le travail par facettes de Tête de La Luxure (1907) préfigure cette sculpture charnière de Bourdelle et même la tête cubiste de Fernande de Picasso (1909).

Bourdelle excelle davantage dans la sculpture monumentale. En 1911, il investit le décor architectural de la façade du Théâtre des Champs-Elysées à Paris.

Par son choix d’intégrer le socle à l’œuvre, Bourdelle est au cœur d’un enjeu essentiel de la sculpture moderne et contemporaine.

A la section sur leurs goûts communs de collectionneurs, les photos d’archives de format mural sur lesquelles ils apparaissent dans leurs ateliers accueillent des pièces inspirées de l’Antiquité, de la période médiévale et de l’art asiatique.

Fatma Alilate

Exposition Rodin /Bourdelle. Corps à corps

La Piscine Musée d’Art et d’Industrie André Diligent, Roubaix

Commissariat général : Ophélie Ferlier-Bouat, directrice du Musée Bourdelle à Paris, Florence Viguier-Dutheil, directrice du Musée Ingres Bourdelle de Montauban, Bruno Gaudichon, conservateur en chef honoraire de La Piscine – Musée d’art et d’industrie André Diligent, Hélène Duret, directrice-conservatrice, La Piscine – Musée d’art et d’industrie André Diligent, Adèle Taillefait, conservatrice des collections Beaux-Arts, La Piscine – Musée d’art et d’industrie André Diligent

Commissariat scientifique : Ophélie Ferlier-Bouat, directrice du Musée Bourdelle, Jérôme Godeau, chargé de mission auprès de la directrice, Musée Bourdelle, Valérie Montalbetti-Kervella, responsable des sculptures et des collections, Musée Bourdelle, Colin Lemoine, responsable des photographies et des collections des XXe et XXIe siècles, Musée Bourdelle, Véronique Mattiussi, chef de la Recherche, responsable scientifique du fonds historique, Musée Rodin

Jusqu’au 1er juin 2025

Photo : Exposition "Rodin/Bourdelle. Corps à corps" - Musée de La Piscine, Roubaix (c) Alain Leprince

Dernière modification le mercredi, 23 avril 2025