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A la suite des attentats de Janvier 2015 le ministère de l'Education nationale a pris un certain nombre de décisions pour accompagner la mobilisation de l'école et de ses partenaires pour les valeurs de la République. Il s'agissait avant tout de mettre en place une formation des personnels sur la laïcité et les valeurs de la République étonnamment absente jusque là de la formation initiale et continue des personnels enseignants comme d'ailleurs de l'encadrement.

Former des formateurs est donc un préalable.

Les 1200 premiers formateurs ont été formés en mars et en avril. Depuis lors, plusieurs dizaines de milliers d'enseignants sont formés par leurs pairs. Plus de 700 000 enseignants exercent aujourd'hui ; un long chemin reste donc à parcourir.

Mais la plupart d'entre eux sans avoir encore bénéficié de formation compensent par une auto-formation, utilisant en cela les ressources mises à disposition des enseignants, notamment autour du nouvel enseignement moral et civique (EMC), effectif du CP à la terminale depuis cette rentrée. Selon le ministère l'espace dédié à l'EMC a attiré à lui seul plus de 260 000 visites au 5 janvier 2016 et connu plus de 400 000 téléchargements.

Le réseau Canopé apporte en particulier un soutien conséquent à la diffusion d'excellentes ressources utiles.

Sur le nouveau portail de ressources pédagogiques consacré aux valeurs de la République mis en ligne en décembre 2015, un certain nombre de termes sont précisés en y apportant un double éclairage : philosophique et historique. Chaque notion se compose d'une définition accompagnée de vidéos de contextualisation ainsi que d'un texte d'approfondissement. Ces médias peuvent également bien sûr être exploités dans une démarche pédagogique pour l'EMC.

Le Livret laïcité, élaboré par les services de la DGESCO avec l'appui de l'inspection générale et en étroit partenariat avec la direction des affaires juridiques a été distribué à tous les établissements en octobre 2015. Destiné aux chefs d'établissement, aux directeurs d'école et aux équipes éducatives de l'enseignement public, il indique des pistes pour faire comprendre et vivre la laïcité dans les établissements scolaires et fournit des repères pour le dialogue éducatif et des éléments juridiques en cas de contestation ou d'atteinte au principe de laïcité.

Les initiatives sont à l'évidence nombreuses et complémentaires.

Toutefois, il faudra du temps pour qu'elles permettent une réelle inflexion des pratiques dans tous les établissements et jusqu'au cœur de la boite noire que constitue chaque classe.
On peut toutefois se poser les questions suivantes :

-Comment expliquer le déficit de formation tant des personnels que des élèves sur ces valeurs fondements de la République ?
- Quelles difficultés les professeurs rencontrent-ils aujourd'hui et comment font-ils face ?

La question de la laïcité comme d'ailleurs celle des valeurs de la République étaient normalement traitées dans les programmes de l'éducation civique au collège et de l'ECJS au lycée, mis en place et publiés en 2001.

« On ne naît pas citoyen, on le devient par une conquête permanente, le citoyen est actif, la citoyenneté se construit. Le citoyen doit donc se former une opinion et être capable de la faire valoir dans un débat public. » affirmaient les initiateurs de cet enseignement – dont on précisait que ce n'était pas une discipline -

La méthode privilégiée, heureuse innovation à l'époque, consistait en l'organisation de débats argumentés en classe. Choix difficile car le débat argumenté c'est le contraire du débat improvisé. Le débat doit être organisé. Cet enseignement en demi-classe, à raison d'une heure de quinzaine n'était pas évalué au baccalauréat mais devait être présente sur le bulletin trimestriel où l'enseignant indiquait généralement une appréciation qualitative.

Dans la pratique, les situations étaient très différentes selon l'établissement. Dans la plupart des cas, l'ECJS était confiée au professeur d'histoire-géographie de la classe mais pouvait être dévolue à un autre enseignant (sciences économiques et sociales, lettres, philosophie, économie-droit, sciences médico-sociales et EPS...) servant ainsi de variable d'ajustement pour la constitution des services, et de moyen pour l'enseignant de « finir le programme » de sa discipline.

L'enseignement moral et civique (EMC) a été créé par la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'École de la République. Ce nouvel enseignement est mis en œuvre de l'école au lycée à partir de la rentrée 2015 . Du CP à la terminale, l'EMC bénéficie d'horaires propres (une heure par semaine au primaire et deux heures par mois dans le secondaire ).

Les activités pédagogiques proposées s'appuient sur « des situations réelles ou fictives conduisant à traiter de questions et de dilemmes qui donnent aux élèves la possibilité de construire leur jugement moral. » : débat réglé, dilemme moral, conseil d'élèves, méthode de la clarification des valeurs, jeu de rôles, etc
Il s'agit bien d'une sorte de généralisation sur toute la scolarité des principes pédagogiques qui ont accompagné la création de l'ECJS mais avec des contenus plus centrés sur la laïcité.

La séance d'enseignement moral et civique avec une classe de 3ème du collège de Staël à laquelle assistait Najat VALLAUD BELKACEM, la ministre de l'Education Nationale de l'Enseignement supérieur et de la Recherche accompagnée de Jacques TOUBON, Défenseur des droits, et Dominique ATTIAS, Bâtonnière de Paris, Présidente d'InitiaDroit, consistait en une intervention en classe de troisième par une avocate bénévole du réseau InitiaDroit sur la transmission des valeurs de la République .

Iris et Camille sont élèves de cette classe de troisième. Que pensent-elles de ce type d'enseignement ? Qu'en ont-elles retenu ?


Les enseignants, quelles que soient leurs disciplines ont dû faire face aux impératifs d'une actualité dramatique pour répondre aux questions des élèves sur la liberté d'expression au lendemain des attentats de janvier 2015 mais plus encore sur la tolérance et le fanatisme face au « terrorisme de masse » qui a tragiquement endeuillé le pays le 13 novembre dernier.

« On ne pouvait pas ne pas en parler » nous dit Daniel JOSEPH, professeur d'Histoire au collège de Staël.

Il intervenait avec des membres de l'équipe éducative, des élèves et des parents d'élèves, lors de la table ronde sur la transmission des valeurs de la République à laquelle participait  la ministre.


Dans notre entretien, il ajoute :

« Il faut faire comprendre aux élèves que les problèmes ne se règlent pas par la violence physique ou verbale, mais par le combat des idées ou la parole. »
C'est d'autant plus difficile « que les cultures et les milieux sont différents »

On le voit bien il s'agit, bien au-delà d'une simple initiation au droit, de mettre en œuvre une pédagogie de la laïcité dans l'Ecole. Il faut certes donner aux enseignants les moyens d'une réponse adaptée aux questions des élèves face à des évènements tragiques, mais il s'agit au long terme de construire tout au long de la scolarité une explication des fondements de cette laïcité. Dans une société de plus en plus multiculturelle, où prévalent l'affirmation de soi et la revendication de sa différence, la laïcité seule lui permet de ne pas se diviser en communautés séparées.

Abdennour BIDAR ( Normale Sup, agrégé, docteur en philosophie) co-rédacteur de la "Charte de la laïcité à l'école", aujourd'hui membre de l'Observatoire de la laïcité, l'écrivait déjà dans un article du Monde en décembre 2010 :

« Il est urgent de mettre en œuvre une véritable pédagogie de la laïcité » « La réponse légale ne suffit pas. Il faut une pédagogie de la laïcité, parce qu'il faut former des consciences laïques. Il faut que la laïcité devienne une vertu citoyenne en plus d'un principe politique - une vertu pour que le principe ait des chances de se faire valoir autrement que par la loi. En quel sens, cependant, entendre cette vertu ou conscience laïque ? Se souvenir de ce qu'on appelle aussi "être laïque" est l'occasion de rappeler qu'avant d'être un principe politique, la laïcité est une "position de conscience" : est laïque la conscience critique ou conscience libre, c'est-à-dire capable de prendre la distance du doute et de la remise en question vis-à-vis de toutes les convictions, vérités, visions du monde, qui la sollicitent. En ce sens, Socrate était laïque, parce qu'il disait "je ne sais qu'une seule chose, c'est que je ne sais rien". Descartes était laïque, parce que avant de dire "je pense, donc je suis", il disait "je doute, donc je suis". Averroès (philosophe musulman 1126-1198) était laïque, parce que, dans son Traité décisif, il disait que la loi religieuse devait être soumise à l'examen de la raison. Lao-tseu était laïque, parce que le tao commence par dire qu'une voie de sagesse n'est jamais la Voie par excellence. La laïcité politique ou neutralité de l'État est simplement l'objectivation de cette position critique de la conscience qui est valorisée dans toutes les cultures pour sa capacité à se "neutraliser" elle-même afin d'interroger librement les vérités qui circulent parmi les hommes. »

Pour Alain BERGOUGNOUX la laïcité est « une valeur républicaine essentielle, ne peut pas être seulement une réalité juridique. Sa force est d'être liée étroitement à l'individualisme démocratique. Elle doit assumer la tension initiale qui la constitue, être un principe de séparation entre la politique et le religieux et permettre effectivement la liberté des individus. »

Claude TRAN

Dernière modification le lundi, 05 juin 2017
Tran Claude

Agenais de naissance Claude TRAN a été professeur de Sciences Physiques en Lycée, chargé de cours en Ecole d’Ingénieur, Inspecteur pédagogique au Maroc, chef d’établissement en Algérie comme proviseur du lycée français d’Oran ; en Aquitaine il dirigera les lycées Maine de Biran de Bergerac, Charles Despiau de Mont de Marsan et Victor Louis de Talence. Il a été tour à tour auteur de manuels scolaires, cofondateur de l’Université Sénonaise pour Tous, président de Greta, membre du conseil d’administration de l’AROEVEN, responsable syndical au SNPDEN, formateur IUFM et MAFPEN, expert lycée numérique au Conseil Régional d’Aquitaine, puis administrateurà l'An@é, actuellement administrateur Inversons la classe, journaliste à ToutEduc, chroniqueur à Ludomag.