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Vendredi 9 décembre, à l’occasion de la journée nationale de la laïcité, les délégués départementaux de l’éducation nationale (DDEN)* du Lot et Garonne organisent à la salle François Mitterrand de Boé, un colloque sur le thème de la laïcité. L’animation en est confiée à Patrick Figeac, proviseur honoraire et pilier de Radio Bastides, par ailleurs auteur des chroniques sur Educavox et membre du conseil d’administration de l’An@é. Les intervenants sont Patrice Lemoine IA-DASEN en poste en Lot et Garonne ; Eric Debarbieux, instituteur spécialisé avant d’être Professeur des université à Bordeaux II puis à l’Université de paris Est Créteil, chargé entre 2012 et 2015 par le Ministère de l’éducation nationale de la prévention et de la lutte de la violence en milieu scolaire, auteurs de divers ouvrages** ; Eddy Khaldi, président de la fédération nationale des DDEN.

Il est rappelé en préambule et par le biais d’une exposition dédiée que la laïcité est tout à la fois un cadre juridique, des valeurs et un combat.

1 Resized 20221209 1732491Un cadre juridique :

La laïcité garantit la liberté de conscience. La laïcité est un principe juridique ; elle n’est pas une idéologie en concurrence avec d’autres ; la laïcité c’est l’égalité de tous les hommes qu’ils soient croyants athées ou agnostiques.

Des valeurs :

La laïcité désigne aussi une philosophie humaniste qui recourt à la raison et à la conscience individuelle libérée des dogmes. l’humanisme vise le bien être et l’épanouissement de l’humain  prenant comme seul motif d’action la justice et l’égalité et non une quelconque référence divine.*

Un combat :

La laïcité est toujours un combat contre toutes les formes de cléricalisme, contre les groupes cherchant à s’octroyer un pouvoir qui revient légitimement aux citoyens et leurs représentants élus.

Monsieur Lemoine met l’accent sur ce qui se passe actuellement à l’école et présente les chiffres de la recrudescence des atteintes à la laïcité dans les établissements scolaires.

De Janvier à mars 2022, 636 atteintes, d’avril à juin, 904 et en septembre octobre 313. Cela implique une vigilance accrue pour enrayer ce phénomène. Tout à son rôle de DASEN, il rappelle le Plan laïcité dans les écoles et les établissements scolaires lancé le 9 novembre par monsieur le Ministre Pap Ndiaye pour renforcer le suivi et l’accompagnement méthodologique, juridique et humain des situations sensibles dans le 1er et le 2nd degrés.

Le Plan laïcité est organisé autour de quatre axes :

Sanctionner systématiquement et de façon graduée le comportement des élèves portant atteinte à la laïcité lorsqu’il persiste après une phase de dialogue.

 Renforcer la protection et le soutien aux personnels.

Appuyer les chefs d’établissement en cas d’atteinte à la laïcité.

Renforcer la formation des personnels.

Ce plan conforte la réponse politique du pays et l’organise autour d’un équilibre fragile entre équilibre et rigueur. La fermeté s’avère nécessaire car il est impossible de faire société sans règles ; mais lorsque l’on est en charge de jeunes l’on se doit de donner une chance réelle à l’évolution.

Monsieur Lemoine étaye son propos d’exemples pris sur le terrain et qui illustrent bien la situation actuelle autour du concept de laïcité et du comment il retentit sur la vie lycéenne avec des enjeux qui vont au-delà des valeurs elles mêmes.

Ainsi, dans un lycée professionnel, un groupe d’élève exprime ses craintes des risques de communautarisme et d’isolement au sein de l’établissement : groupe des filles (13/40), groupes de musulmans qui se replient sur eux-mêmes, se ferment aux autres. Le problème posé va au-delà de la laïcité ou de l’égalité homme-femme. La prise de conscience par les élèves qui l’ont identifié les amène à une action d’ouverture, vers les autres, vers ceux qui ont cette tendance à l’entre soi qui doit être combattue sous peine de déboucher sur des constitutions de bandes avec violences potentielles.

Aller vers l’autre : il s’agit bien là d’une volonté de favoriser l’intégration et dans une société qui a des valeurs.

Autre exemple, autre lieu avec un groupe de jeunes qui entend manifester ses différences par une tenue vestimentaire délibérément provocatrice (abayas, qamis) entre conviction religieuse et entrainement par l’intermédiaire des réseaux sociaux familiers des adolescents. La réponse s’appuie sur la loi de 2004 interdisant les signes religieux à l’école qui doit être appliquée de manière stricte et ferme mais après une phase de dialogue qui est primordiale pour démonter des arguments du type : vous n’avez pas le droit, c’est une atteinte à la liberté alors que la France dit être le pays des droits de l’homme…

Il est important que des paroles pas toujours acceptables soient écoutées si l’on veut continuer à essayer d’intégrer, d’aider à entrer dans la culture de ce pays, si l’on veut accréditer l’idée que la laïcité n’est pas une atteinte à la liberté de croire en dieu et même qu’elle en constitue la garantie.

La parole est ensuite donnée à Eric Debarbieux qui revient d'abord sur les commémorations récentes de l’assassinat de Samuel Paty pour affirmer tout à la fois que c’est là un drame qui ne doit pas être minimisé ou relativisé mais que l’on ne peut voir les atteintes à la laïcité par ce biais là. Ce serait ne pas respecter sa mémoire.

Pour Eric Debarbieux, tout ne va pas si mal à l’école et il présente des statistiques établies à partir d’une enquête réalisée sur une cohorte de 28 000 personnes.

Il en ressort qu’entre 2013 et 2022, le nombre d’incivilités et de violences physiques a diminué ;

Eléments marquants et contre intuitifs : 90% des personnels se disent respectés par les élèves et en parallèle 90% des élèves disent bien s’entendre avec leurs professeurs. Par contre l’institution est mise en cause dans 88% des réponses  et le manque de confiance est en nette augmentation. Plus inquiétant encore, ce sont les conflits entre adultes au sein d’un même établissement qui prennent de plus en plus d’importance avec un bouc émissaire tout trouvé : le chef d’établissement.

A la question : pensez-vous que la laïcité est menacée à l’école, 53% des personnels répondent oui et 47% non.

50% des personnels interrogés disent qu’ils ont du modérer des propos d’élèves, même si les causes de la modération sont diverses : insultes banales entre élèves dans 29,5% des cas, religion pour 13,1%, racisme et xénophobie pour 21,8%, LGBT phobie pour 14,5%.

Dans le but de relever le défi d’une double radicalisation religieuse, certes, mais aussi raciste et xénophobe, Eric Debarbieux développe le concept de discipline coopérative.

Il faut, en effet, éviter à tout prix l’émergence de « noyaux durs » favorisée par les punitions et exclusions à répétition qui  confortent l’identité contre, l’identification à des groupes déviants et la violence sous jacente. Après le rappel que la loi ne se négocie pas… mais les règles de vie oui, il convient de mettre en place un processus de coopération. Coopérer c’est faire ensemble.

L’interview d’Eric Debarbieux par Patrick Figeac accessible avec le lien ci-dessous reprend les éléments forts de sa contribution.

Eddy Khaldi a été un responsable de  syndicat enseignant et est actuellement le président de la fédération nationale des DDEN.

Il clame d’emblée la « nécessité de la laïcité »et en fait un bref historique pour rappeler qu’elle a été « inventée » pour l’école. Il en veut pour preuve qu’elle figure déjà dans les lois Jules Ferry. Par contre, le mot n’apparaît pas dans la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat mais se trouve dans la constitution de 1946. Il n’apparaît pas non plus dans la loi Jospin de 1989 (pour ne pas réveiller la guerre scolaire sans doute) mais revient dans la loi de 2004 qui fait maintenant percevoir la laïcité comme contraignante et  liberticide à une partie de nos élèves.

Après des années durant laquelle elle a été l’oubliée des valeurs de la République, la laïcité est, à l’heure actuelle, le triomphe de l’équivoque dont tout le monde politique se revendique et le concept de laïcité, affublée un temps de divers adjectifs (positive, plurielle…) est instrumentalisé.

Il faut revenir aux fondamentaux pour éviter les dérives politiques en son nom. Ne pas confondre la laïcité et la coexistence pacifique des religions : c’est la liberté de conscience de tout citoyen.

Elle n’est ni contre ni avec une religion, mais sans aucune religion du point de vue de l’Etat et des institutions.

Ainsi, lors des sorties scolaires, lorsque est évoquée la liberté de l’accompagnant  ou de l’encadrant de porter un voile par exemple, on oublie selon Monsieur Khaldi la liberté de conscience de l’encadré.

Dans ce dernier point, l’application stricte de la loi a fait débat car ce qui pose problème à la société et à l’école n’est pas tant la tenue vestimentaire que le prosélytisme, la provocation éventuelle et l’atteinte de fait à la liberté de conscience d’autrui.

Les propos de Monsieur Khaldi ont eu le mérite de susciter la controverse entre des conceptions un peu différentes de la façon de faire vivre la laïcité en 2022.

Ce même 9 décembre,  l’institut de sondage IFOP, publie une enquête très complémentaire de ce moment de réflexion puisque elle en précise le contexte.

Celle-ci a été réalisée pour la revue mensuelle « Ecran de veille » et est disponible à la lecture :

Les enseignants face à l’expression du fait religieux à l’école et aux atteintes à la laïcité - IFOP

Quelques conclusions marquantes :


1 – Plus de la moitié des enseignants se sont déjà autocensurés pour éviter de possibles incidents sur les questions de religion

2 – Dans le public, le nombre d’enseignants confrontés à des contestations d’enseignements a augmenté fortement depuis 2020. La proportion d’enseignants ayant observé des formes de contestations pour des motifs religieux est en hausse 

3 – Depuis septembre 2021, prés d’un enseignant du public sur deux a été confronté a au moins atteinte a laïcité durant la vie scolaire

4 – Dans les lycées publics, un enseignant du public sur deux a déjà constaté le port de vêtements traditionnels larges comme une abaya ou un qamis

5 – A peine la moitié des enseignants a signalé à l’administration les élèves qui portaient une tenue religieuse dans l’enceinte d’un établissement

Cette étude montre que la loi de 2004 n’empêche pas une montée des manifestations identitaro-religieuses aussi bien en classe que durant d’autres temps scolaires. Elle tend à montrer que les signalements recensés par le Ministère ne sont que la partie émergé e de l’iceberg d’une poussée du religieux beaucoup plus large. Qui plus est, les réponses à apporter à ces questions divisent la communauté scolaire.

* Les Délégués Départementaux de l'Éducation Nationale sont des bénévoles de plus de 25 ans, nommés pour 4 ans par l'Inspecteur d'Académie-DASEN sous couvert du Préfet. Seuls les enseignants du 1er degré doivent être à la retraite pour devenir DDEN. Ils sont placés à la charnière entre école, commune et parents d'élèves. Ils jouent un rôle de médiateur. Ils interviennent et donnent leur avis sur le respect des enfants et leur bien-être, la sécurité des bâtiments et des personnels, l'hygiène etc. Ils participent aux conseils d'école avec droit de vote. Ils défendent l'École publique et la Laïcité.

**Eric Debarbieux est l’auteur de dix-huit ouvrages dont : « Ne tirez pas sur l’école » et « L’impasse de la punition » aux éditions Armand Colin

Dernière modification le mardi, 13 décembre 2022
Puyou Jacques

Professeur agrégé de mathématiques - Secrétaire national de l’An@é