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Dans quelle mesure l'accroissement progressif de la prise en compte du contrôle continu défavorise-t-il les élèves scolarisés dans des établissements sélectifs ? Dans un nombre de lycées encore limité, mais croissant, les parents d'élèves (surtout) et les élèves (dans une moindre mesure) n'hésitent plus à exprimer leurs craintes d'être pénalisés par un mode d'évaluation qu'ils considèrent comme étant "trop sévère", mais aussi trop strictement centré sur les notes et les classements, et qui s'attache à ne prendre en compte que le seul bilan scolaire, omettant les capacités acquises dans le cadre de ce qu'il est convenu de nommer le "développement personnel".

A leurs yeux, ce mode d'évaluation très "sommatif" conduirait à les placer en situation de handicap, notamment lors des épreuves d'examen, et surtout en vue du passage dans l'enseignement supérieur sélectivf, par rapport à d'autres élèves, scolarisés dans des lycées où les pratiques d'évaluation se veulent plus "formatives", moins sévères, et prennent en compte un "bouquet" plus large de compétences.

Du fait des nombreuses formations et interventions que nous avons été invité à faire dans des lycées forts divers, sur le thème de l'évaluation des élèves, nous ne pouvons que témoigner du fait que cette façon de voir les choses a brusquement pris de l'ampleur du fait de la crise épidémiologique que nous subissons depuis le début de l'année 2020, cette dernière entraînant une ample substitution des évaluations découlant du contrôle continu en lieu et place des évaluations externes, aussi bien lors des épreuves des examens qui se présentent aux élèves en fin de collège (diplôme national du brevet) et du lycée (baccalauréat), que pour les épreuves de sélection en vue d'entrer dans les filières de l'enseignement supérieur.

1. La distinction traditionnelle entre "évaluation interne" et "évaluation externe :

  • L'évaluation interne est celle que les représentants de l'institution scolaire (professeurs, chefs d'établissements et adjoints ...) pratiquent en continu au sein de l'établissement, et font connaître aux élèves et à leurs parents. Elle prend généralement la forme de notes, appréciations qualitatives et avis émis tout au long de l'année scolaire, dans le but de permettre à chaque élève de savoir dans quelle mesure il a acquis les connaissances et compétences requises pour être autorisé à passer dans la classe supérieure, et de se positionner par rapport aux autres. Cette information circule de façon principalement interne : elle est élaborée par les personnels qui exercent au sein de l'établissement scolaire, et communiquée aux familles concernées.
  • L'évaluation externe est celle qui s'exprime lors des épreuves de l'examen du diplôme national du brevet (DNB), du certificat d'aptitude professionnelle (CAP), du baccalauréat, et de divers autres diplômes délivrés dans le cadre de l'enseignement secondaire. C'est également le cas lorsque certains élèves candidats à l'admission en première année de l'enseignement supérieur sélectif subissent des épreuves de concours pour lesquelles ils sont notés et classés. Dans ces deux cas, l'évaluation des lycéens est principalement confiée à des examinateurs et membres de jurys qui sont extérieurs, et presque toujours indépendants des collèges et des lycées fréquentés par les candidats. Les jurys peuvent certes s'inspirer des évaluations internes, mais leurs jugements pédagogiques sont fondamentalement indépendants.

L'évaluation interne est fortement empreinte de ce qu'il est convenu de nommer "l'effet établissement". En tant qu'organisation éducative, chaque collège ou lycée développe en ce domaine, comme en d'autres, une "façon de faire" qui lui est propre, et découle de ce que les sociologues des organisations nomment "culture d'établissement", faite, entre autres éléments entrant en ligne de compte, de tradition, d'usages... Ce phénomène est en outre lié à l'offre de formation propre à chaque lycée (strictement général, général et technologique, professionnel...), à sa localisation géographique (centres de grandes villes, périphérie urbaine, petites villes, zones rurales...), aux catégories socio-professionnelles des familles dont elle accueille les enfants, etc.

Ajoutons que l' "effet établissement" a été renforcé depuis 1985 en France par une série de lois et directives qui incitent les établissements scolaires à entrer dans une logique de plus grande autonomie pédagogique, ceci dans le but de mieux répondre aux besoins des publics spécifiques accueillis dans chaque école, collège et lycée. Dans un tel contexte, il n'est pas étonnant que les membres de chaque organisation scolaire agissent, consciemment ou inconsciemment, en fonction de divers usages coutumiers qui se sont progressivement installés, et font qu'en ce qui concerne l'évaluation des élèves, les pratiques sont différentes d'un établissement à un autre.

Ces différences peuvent d'autant plus s'enraciner qu'en ce qui concerne l'évaluation interne des élèves, les professeurs jouissent depuis fort longtemps d'une grande liberté pédagogique. Figurant dans le Code de l'Education depuis plus de deux siècles, cette liberté à été récemment rappelée par la loi N°2013-595 du 8 juillet 2013 qui dit que "les enseignants sont responsables de l'ensemble des activités scolaires des élèves (...) Ils procèdent à leur évaluation". Pour reprendre une expression d'un Ministre de l'Education nationale des années 1980, "dans le cadre de leur établissement, les professeurs évaluent leurs élèves en conscience".

2. Évaluations interne et externe : concurrence ou complémentarité ?

Pendant longtemps, les évaluations internes et externes, loin de se concurrencer, pouvaient être considérées comme étant complémentaires dans la mesure où les évaluations externes permettaient de relativiser ce qui séparait les "collèges et lycées sélectifs" (sévères en matière d'évaluation des élèves), des "collèges et lycées accompagnateurs" (dans lesquels l'évaluation des élèves se veut plus "formative", donc plus encourageante). Cet "effet compensatoire" jouait aussi bien pour ce qui est de la réussite au DNB ( diplôme national du brevet) et au baccalauréat, que pour le passage dans l'enseignement supérieur sélectif.

  • Concernant la réussite au DNB et au baccalauréat :

La réussite aux examens qui marquent la fin de scolarité en collège (le DNB) et au lycée (les divers baccalauréats) fut longtemps principalement fonction des évaluations externes. Mis à part le cas particulier de l'enseignement d'éducation physique et sportive, évalué par prise en compte du contrôle continu, l'ensemble des disciplines des filières générales faisaient l'objet de sujets écrits nationaux, et d'une évaluation écrite et orale externe, réalisée par des examinateurs qui ne connaissaient pas les candidats, et siégeaient dans des jurys indépendants des collèges et lycées d'origine des postulants, dans le strict respect de l'anonymat de ces derniers lors des épreuves écrites. Il n'en allait (et va toujours) pas de même en ce qui concerne les baccalauréats professionnels (surtout) et technologiques (dans une moindre mesure) qui, de longue date, évaluent les candidats en prenant en compte une part de contrôle continu, notamment en ce qui concerne les enseignements professionnels et technologiques.

Du fait que les évaluations internes étaient peu prises en compte pour décider de la réussite ou de l'échec à ces examens de l'enseignement général, les familles ne trouvaient guère à redire lorsque leurs enfants étaient scolarisés dans un établissement "sélectif", les notes observées chaque année lors des épreuves externes du DNB et du baccalauréat général étant généralement supérieures à celles obtenues au sein de leur collège ou lycée. Leurs enfants bénéficiaient d'une sorte de compensation automatique.

  • Concernant l'accès au lycée ou à l'enseignement supérieur :

Il fut un temps où l'accès des collégiens au lycée était conditionné à la réussite à ce qu'on appelait alors le "brevet des collèges". Ce n'était certes pas le seul critère pris en compte, les éléments constitutifs de l'évaluation interne réalisée au sein de l'établissement fréquenté s'y ajoutant, mais se doter du brevet était une condition nécessaire. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Il en allait (et en va encore en partie) de même pour l'accès aux formations de l'enseignement supérieur sélectif. Outre le fait que la réussite au baccalauréat est une condition quasi nécessaire du passage dans l'enseignement supérieur, le mode dominant de sélection à de longue date été le concours. On lui a longtemps attribué la vertu d'être le plus "juste" des systèmes de sélection, puisque les candidats sont dans ce cas placés dans une stricte égalité de situation (mêmes épreuves, passées aux mêmes moments, évaluées par un même jury indépendant des lycées d'origine des candidats et souverain quand à ses décisions). En outre, les candidats étant classés au terme d'épreuves externes évaluées par un jury indépendant du lycée d'origine des candidats, cette façon de procéder offre une possibilité de compensation des écarts de mode d'évaluation d'un lycée à l'autre, ainsi que nous l'avons expliqué précédemment. Le jury peut certes s'inspirer du contenu du dossier de chaque postulant, et donc de l'évaluation interne, mais outre que ce n'est pas systématiquement le cas, l'influence de l'évaluation interne est toujours secondaire par rapport à l'évaluation externe. Voila pourquoi ces deux formes d'évaluation ont longtemps été considérées comme étant plus complémentaires que concurrentielles.

3. Depuis peu, ces règles du jeu ont profondément changé, donnant une beaucoup plus grande importance aux évaluations internes et incitant à leur évolution.

On assiste depuis quelques années à d'importantes modifications de la donne en matière d'évaluation des élèves, notamment depuis la mise en oeuvre des réformes du collège et du DNB (de 2015 à 2017), ainsi que celles du lycée et du baccalauréat (de 2018 à 2021), mais aussi depuis l'introduction, en 2018, du portail Parcoursup comme moyen de régulation des flux d'entrée en première année de l'enseignement supérieur.

  • Du fait de la réforme du DNB et du baccalauréat, la réussite à ces examens dépend plus fortement qu'auparavant de l'évaluation interne.

Il y a bien longtemps que la réussite au DNB dépend en grande partie des notes acquises en cours de scolarité au collège. En 2000, le contrôle continu intervenait à hauteur de 30% de l'ensemble. Avec les réformes du collège et du DNB de 2016, il intervient désormais pour 50% du total des coefficients.

Concernant le baccalauréat général, à compter de la session 2021, les candidats voient s'accroître fortement la part du contrôle continu parmi les divers mode d'évaluation des épreuves, qui est désormais à hauteur de 40% de la note finale (10% émanant des bulletins scolaires, et 30% d'épreuves communes concernant notamment les enseignements de spécialité, lesquelles n'auront pas lieu en 2021 du fait de la crise épidémiologique, ce qui oblige à n'évaluer ces deux enseignements que sur contrôle continu).

Il en résulte que les écarts des modes d'évaluation interne précédemment mis en lumière prennent une beaucoup plus grande importance. Notons que pour les baccalauréats professionnels, la prise en compte du contrôle continu est nettement plus forte et ancienne, les baccalauréats technologiques occupant en ce domaine une position intermédiaire.

En outre, on peut prédire sans grand risque de se tromper que cette tendance à accroître la part du contrôle continu au détriment de l'évaluation externe, ne va pas s'arrêter là. La crise épidémiologique du Covid 19 a d'ores et déjà créé une situation de fait concernant les sessions de 2020 et 2021 du DNB et du baccalauréat, en faisant très fortement appel au contrôle continu pour les épreuves externes qui n'ont pu se dérouler normalement. La tentation va être forte, dans les bureaux feutrés de la rue de Grenelle (où siège le Ministère de l'Education nationale), d' "enfoncer le clou" en accélérant le processus de passage à une évaluation plus largement (voire totalement) fondée sur le contrôle continu. Cela serait source d'une nette diminution du coût de l'organisation des épreuves du baccalauréat et de leur évaluation, et serait de nature à enfin permettre de véritablement faire du troisième trimestre de l'année de terminale, un vrai trimestre de formation. A la date de rédaction de cet article, rien de tel n'a encore été décidé, mais il nous semble évident que les conditions exceptionnelles de l'évaluation au DNB et au baccalauréat lors des sessions de 2020 et 2021, pourraient donner matière à amplifier la part du recours au contrôle continu dans un futur proche, et donc devenir la norme.

  • Le remplacement progressif du mode de sélection sur concours par une procédure sur dossier Parcoursup :

Comme chacun peut l'observer, l'introduction du portail Parcoursup comme moyen de régulation des flux d'entrée en première année de l'enseignement supérieur s'est accompagnée d'un déplacement du centre de gravité des modalités d'évaluation des candidats qui reposent de plus en plus sur les évaluations internes telles que pratiquées au sein de chaque lycée.

Cette tendance se caractérise en particulier par l'effacement progressif des modalités d'admission sur concours : ces dernières années, un nombre croissant d'établissements supérieurs (les instituts de formation aux soins infirmiers, les instituts de travail social, la plupart des écoles paramédicales et sociales, les écoles d'architecture, une part croissante des grandes écoles de commerce, d'ingénieurs, nombre d'Instituts d'études politiques, et bien d'autres grandes écoles à recrutement niveau baccalauréat, la plupart des formations conduisant au bachelor ...) ont pris la décision de renoncer aux concours, et de les remplacer par une prise en compte du contenu des dossiers Parcoursup, donc de l'évaluation interne.

En outre, Parcoursup est porteur d'une très importante nouveauté qui est l'obligation, pour chaque formation concernée, de faire connaître aux candidats, personnels en charge de leur accompagnement en matière d'orientation ..., les "attendus" (pré requis) de chaque formation. Désormais, les établissements d'enseignement supérieur sont obligés d'afficher clairement et à l'avance, leurs "attendus", c'est-à-dire une liste de connaissances et compétences dont les candidats devraient être plus ou moins porteurs pour avoir des chances raisonnables d'être admis lorsque la formation est sélective, et d'y réussir, que la formation considérée soit sélective ou pas.

Les "attendus" doivent donc être compris comme étant une liste de critères sur lesquels les commissions d'examen des voeux" (jurys) se fondent pour classer leurs candidats. Ainsi, par exemple, concernant le BTS "commerce international à référentiel européen", il est précisé que l'on attend des candidats à l'admission qu'ils "s'intéressent aux échanges internationaux et interculturels; disposent de compétence pour travailler en équipe; disposent de capacités d'organisation et d'autonomie; disposent de compétences en matière de communication écrite et orale; disposent de compétences dans au moins deux langues vivantes étrangères; s'intéressent au management des entreprises et à leur environnement économique et juridique; disposent de compétences relationnelles propres aux métiers des services et de la relation client".

Comme chacun peut le constater, certains de ces "attendus" concernent le domaine des acquis scolaires (par exemple : "disposer de compétences dans au moins deux langues vivantes étrangères"), d'autres concernent le "développement personnel" du candidat ou si l'on préfère, ses "qualités comportementales" (par exemple : "disposer de compétences pour travailler en équipe").

Il en va désormais ainsi pour chaque formation. Autrement dit, on ne se contente plus de juger les candidats sur le seul bilan scolaire qu'ils sont en mesure d'afficher. On tient également compte de leurs aptitudes comportementales (aptitude au travail en équipe, avoir des compétences relationnelles, être capable d'organisation et d'autonomie; savoir communiquer de façon écrite et orale...).

Dès lors, la question se pose de savoir comment les personnels enseignant, dans le cadre de leurs missions pédagogiques respectives et donc de chaque discipline d'enseignement, pourraient enrichir leurs façons d'évaluer leurs élèves en s'ouvrant à l'idée de plus largement prendre en compte cette dimension comportementale si fortement présente dans les "attendus" exprimés par les formations supérieures. C'est d'autant plus souhaitable que cela constituerait pour les familles une aide à une meilleure transition lycée / enseignement supérieur.

Conclusion :

Il y a fort longtemps que, dans l'enseignement supérieur, l'évaluation des étudiants est conçue selon les principes de l'évaluation des compétences acquises, ces dernières étant beaucoup plus largement prises en compte que dans l'enseignement secondaire puisque incluant quasi systématiquement les compétences comportementales. Il en va en grande partie de même aux niveaux de l'enseignement primaire et pour le collège depuis la réforme de 2016... bien que cette dernière soit très inégalement appliquée d'un collège à l'autre. C'est également en grande partie la conception de l'évaluation qui domine dans la voie professionnelle des lycées et dans les formations par l'alternance. Par contre, cette conception de l'évaluation n'a pas encore pleinement concerné le niveau lycée, en particulier dans sa voie générale. Concernant l'évaluation des élèves, il nous semble donc qu'il y a désormais en voie générale des lycées une sorte de trou béant qu'il faudra bien combler.

Partant de l'idée qu'une compétence est une combinaison complexe de connaissances, savoir-faire et savoir-être susceptibles d'être mis conjointement en œuvre afin de résoudre un problème, on comprend qu'évaluer par compétences ne puisse se réduire à la seule prise en compte des acquis scolaires, et encore moins à une simple notation, fut-elle accompagnée d'une appréciation qualitative. Il y a donc sur ce thème un vaste chantier qui demande à être ouvert, ou plutôt ré ouvert car ce n'est pas la première fois que cette question se pose.

L'occasion est cependant donnée aujourd'hui de réactiver la réflexion sur le sujet, et faire enfin évoluer les pratiques d'évaluation qui restent prédominantes dans une majorité de lycées, et, malgré la réforme de 2016, dans un nombre significatif de collèges.

Bruno MAGLIULO

Dernière modification le jeudi, 03 novembre 2022
Magliulo Bruno

Inspecteur d’académie honoraire -Agrégé de sciences économiques et sociales - Docteur en sociologie de l’éducation - Formateur/conférencier -

(brunomagliulo@gmail.com)

Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions de l’Opportun : www.editionsopportun.com ) :

  • SOS Parcoursup
  • Parcoursup : les 50 questions que vous devez absolument vous poser avant de choisir votre orientation post baccalauréat
  • Quelles études (supérieures) sont vraiment faites pour vous ?
  • SOS Le nouveau lycée (avec en particulier toute une partie consacrée aux liens entre les choix d’enseignements de spécialité et d’option facultative, et le règles de passage dans le supérieur)
  • Aux éditions Fabert : Les grandes écoles : une fabrique des meilleurs, mode d’emploi pour y accéder

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