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du conditionnement à la mobilisation de compétences complexes ... Coauteurs : Luc Renaud et Rachel Malo Dans plusieurs articles sur l’acquisition d’une langue seconde (L2), nous avons mis l’accent sur la pédagogie de projet (1) et la réalisation d’œuvres collectives comme le radioroman (2 et 3), le webzine (4) ou encore l’usage de moyens visant l’établissement de ponts entre l’étudiant en langue et le locuteur natif (5). Pour la clientèle adulte immigrante, nous inscrivions même cette démarche dans une perspective de réseautage à des fins socioculturelles et professionnelles.
Des rencontres de jumelage aussi bien en présentiel qu’à distance, à l’aide des outils du Web 2.0, pouvaient répondre à de tels besoins qu’il s’agisse du microblogue (6), du texto (7), du blogue (8) ou de la visioconférence. Ce faisant, nous pouvions donner au lecteur l’impression que l’acquisition d’une L2, pour nous, s’effectuait uniquement par essais-erreurs ou par osmose due à la seule exposition à la langue cible, ce qui n’est pas vraiment le cas.
 
En ce sens, il y a lieu de se demander quelle est la place des tâches issues d’approches pédagogiques plus traditionnelles, comme les exercices de renforcement ou de systématisation, dans une approche éducative éclectique, tout en se questionnant sur la valeur ajoutée des TIC dans le processus d’apprentissage. De fait, le conditionnement, le par cœur et le renforcement d’inspiration béhavioriste des notions acquises doivent faire partie de la planification pédagogique, tout comme il nous semble important d’amener les étudiants à faire du travail sur la langue, d’inspiration cognitive (9) et socioconstructiviste, avec des tâches reliées à chacune des quatre habiletés langagières de base : compréhension orale, compréhension écrite, production orale et production écrite.
 
Telles des poupées russes, trois catégories de tâches de conditionnement (ou de renforcement) s’imbriquent alors au dispositif éducatif pour créer une expérience d’apprentissage réellement signifiante pour l’étudiant : 1) l’entraînement et la maîtrise des points de langue ; 2) l’acquisition de stratégies d’apprentissage variées et le développement de l’autonomie et 3) l’emploi de compétences mobilisatrices pour relier les mondes virtuels et réels.
 
 
1. L’entraînement et la maîtrise des points de langue
 
 
Nul besoin d’expliquer au lecteur que cette catégorie regroupe les règles de grammaire, la conjugaison des verbes, la maîtrise de vocabulaire, la phonétique, etc. (10), que l’on maîtrise essentiellement par des techniques béhavioristes d’observation et de répétition, un peu comme une gymnaste apprenant un nouveau mouvement. Sur cette question, Internet regorge de portails et sites qui proposent des leçons sur vidéo, des présentations grammaticales, ou encore des exercices avec corrigé : la Banque d’exercices de français du MICC (11), Français facile (12), Bonjour de France(13), Le Point du FLE (14), etc. Encourageant l’autoformation, certains exercices sont aussi présentés sous forme de jeux (15) ou encore inscrivent la progression de l’apprentissage dans une intrigue policière comme Polar FLE (16).
 
L’étudiant en totale autodidaxie peut assez facilement s’y perdre ou encore se lancer corps et âme dans la réalisation d’exercices d’une catégorie qui lui plaît particulièrement, au détriment des autres exigences de la maîtrise d’une L2. Nous pensons ici aux exercices de conjugaison de verbes ou d’écoute de phénomènes phonétiques, ou encore à des dictées, qui ne développent pas particulièrement de compétences en production orale. Dans la mesure où ces sites constituent pour la plupart de grandes sources de référence et non des formations en ligne, il appartient alors à l’enseignant d’y sélectionner les exercices appropriés selon le programme scolaire ou en fonction des besoins d’un étudiant dans une approche d’accompagnement individualisé.
 
La valeur ajoutée des ressources en ligne réside entre autres dans le fait qu’elles peuvent être employées de manière autonome, sans contrainte d’horaire. L’étudiant éprouve souvent le sentiment de mieux comprendre le fonctionnement de la langue, malgré une certaine réduction dans le ratio d’explications traditionnelles livrées en salle de classe. De son côté, l’enseignant se voit libéré de tâches répétitives, ce qui lui permet par le fait même de mettre l’accent sur des scénarios pédagogiques plus communicatifs et axés sur le développement de compétences complexes. Des approches pédagogiques innovantes intègrent ce type de devoirs scolaires à une démarche étapiste et autonomisante. Le Web sert de prétexte à de l’enseignement stratégique et à la création d’un environnement immersif virtuel et personnalisé en langue cible, qui a pour but de faciliter l’intégration socioculturelle et professionnelle de la clientèle adulte immigrante.
 
 
2. L’acquisition de stratégies d’apprentissage variées et le développement de l’autonomie
 
 
En plus des exercices répétitifs, le Web regorge de documents audio, scripto et visuels et des outils de communication plaçant l’apprentissage de la langue cible en contexte authentique. De nouveau, il est souvent tentant de suggérer à l’étudiant de s’y exposer, de lui demander de plonger et de croire que cela lui suffira à maîtriser graduellement et par osmose des compétences aussi bien en compréhension orale et écrite, qu’en production orale et écrite. Des expériences-chocs en langue (17) nous font croire que la réussite d’une telle approche découle entre autres de l’exercice répété d’habiletés cognitives tel que l’observation, la déduction, l’anticipation, la mémorisation et l’utilisation de certains mots ou phrases en contexte pour n’en nommer que quelques-unes. Il est clair alors que le conditionnement se traduit par des tâches répétitives de nature stratégique amenant l’étudiant sur la voie du apprendre à apprendre, l’autoformation.
 
Dans ce contexte, le Web servira d’environnement d’immersion virtuelle à la L2, en complément peut-être aux échanges culturels ou à des stages au milieu de locuteurs natifs, et aussi de laboratoire à la pratique de stratégies d’écoute et de visionnement, de lecture d’articles de journaux électroniques ou encore de la participation à un clavardage ou à un bavardage électronique, etc. Voici quelques exemples d’exploitation des TIC selon les quatre habiletés langagières. 
 

2.1 Compréhension orale et compréhension écrite

Pour la compréhension orale, l’enseignant présentera en classe des extraits vidéo relativement courts et non des émissions complètes, procédera à une première projection et animation d’une activité de compréhension en écoute globale, pour ensuite porter davantage attention aux phénomènes de la langue lors de projections subséquentes. On pourrait aussi écouter un ou quelques extraits de présentations orales d’étudiants préeenregistrées. L’hyperlien de la vidéo, des textes, de même que les fichiers sonores des présentations orales seront rendus disponibles dans une communauté virtuelle pour aider l’étudiant non seulement à réviser les contenus étudiés, mais aussi à mettre en pratique les stratégies auxquelles on l’a initié. Dans notre pratique, Facebook nous a beaucoup servi avec succès de moyen d’accès aux ressources employées en classe (18).
 
Dans le même ordre d’idées, diverses stratégies de compréhension de textes peuvent être pratiquées avec ou non un fichier sonore de l’article employé. On pourrait faire l’étude d’une biographie d’un personnage célèbre par exemple. Il serait intéressant d’enregistrer le document qui pourrait être disponible pour une écoute ultérieure et d’amener l’étudiant à dégager du texte le plan employé par son auteur. On pourrait également, suite à une sortie de groupe, joindre un lien sur Facebook par exemple afin que les étudiants puissent se familiariser avec un aspect traité lors de la visite et que le professeur veut mettre en évidence.
 
 

2.2 Production orale et production écrite

D’autres stratégies viseront l’optimisation des interactions orales et écrites en contexte authentique. Des présentations orales seront l’occasion de multiplier les temps de parole des étudiants en classe. Si on opte pour un exposé oral demandant une recherche de documentation de la part des étudiants, on vient aussi faire faire un exercice de compréhension écrite puisque l’étudiant doit comprendre le sujet, le vulgariser afin de se faire comprendre du groupe et le livrer dans un langage qui lui est propre. Voici quelques stratégies que l’on peut suggérer à l’étudiant pour l’amener à une bonne performance. Il devra organiser son travail par la création d’un plan de travail, ajouter des éléments visuels en préparant une présentation Power Point, pratiquer son exposé, régler l’articulation et l’intonation, y joindre des éléments accrocheurs et y mettre une conclusion percutante. Plusieurs jeux de communication sont également très vivifiants en classe et favorisent une saine compétition entre les étudiants :charades, proverbes, description de personnes et simulation d’entrevues à partir d’images, suivies d’une présentation au groupe, etc. Un article sur cette question est en préparation. 
 
Au niveau de la production écrite, l’étudiant pourrait écrire un texte suite à une sortie, tel que mentionné ci-haut, ou sur un thème abordé en classe. Par exemple, on pourrait lui demander de raconter une première sortie avec un jeune homme ou une jeune femme et d’ainsi revoir la description d’une personne au niveau physique ou psychologique. Des stratégies valables dans ce type d’habileté serait de faire un plan de travail, de s’assurer d’avoir une bonne organisation de texte avec une introduction, un développement et une conclusion. Le logiciel correcteur Antidote(19) permettrait d’utiliser des stratégies de révision comme de vérifier le genre et le nombre du nom, ou de vérifier l’orthographe, etc. On pourrait aussi soumettre son brouillon à un pair ou à l’intérieur d’un forum et ainsi créer une histoire croisée par le relais créé en faisant appel à des participants multiples.
 
Grâce à la maitrise d’une riche variété de stratégies d’apprentissage, la table est alors mise pour la réalisation de projets complexes faisant appel à l’autonomie. Muni d’un ensemble stratégique varié, l’étudiant autonome saura, par exemple, gérer de manière efficace un jumelage linguistique (20) avec des locuteurs natifs. 
 
 
3. Le développement de compétences mobilisatrices pour relier les mondes virtuels et réels
 
 
C’est donc dans la mesure où les étudiants accomplissent bien des tâches de renforcement de notions de langue et qu’ils maîtrisent des stratégies d’apprentissage variées que nos projets d’envergure revêtent un caractère signifiant, en lien direct avec la raison d’être même de l’acquisition de la langue : être en mesure de communiquer adéquatement dans la sociétéet de tisser des liens interculturels. Qu’il s’agisse de jumelage dans une démarche personnelle d’intégration socioculturelle ou d’activités de réseautage ou même de compagnonnage dans un projet d’intégration socioprofessionnelle, l’étudiant dispose des outils nécessaires à la mobilisation de compétences complexes (21) qui lui permettent de tirer profit de ces nouveaux contextes éducatifs en matière d’apprentissage de la L2.
 
Nous comprendrons alors la valeur d’une formule éducative hybride par laquelle les étudiants consacrent d’importants efforts à la maîtrise de points de langue sous forme d’exercices, de jeux ou de rallyes Internet en dehors des heures de classe, mais qui les initient en classe à l’acquisition de nouvelles stratégies d’apprentissage et leur permettent de présenter aux pairs le fruit de leur travail sur la langue dans des activités de communication, débats, discussions, jeux de rôles, etc., et la réalisation de projets (22), avec répercussion à l’extérieur de la classe : Peu à peu il y eut fusion entre ce qui se trouvait à l’intérieur et à l’extérieur. […] L’apprentissage fait dans la pièce était appliqué dehors ; alors que ce qui se trouvait dehors devenait source d’apprentissage (23).
 
 
Conclusion
 
 
La maitrise d’une L2 exige des étudiants des efforts de conditionnement et de renforcement des acquis linguistiques, largement facilités par les sites d’exercices en ligne. Si certains y voient la réponse parfaite aux besoins d’apprentissage, il est clair pour nous qu’il n’en est rien, et que les compétences du locuteur se mesurent, au contraire, beaucoup plus par le niveau de maîtrise de de celui-ci dans les quatre habiletés langagières de base, soit la compréhension orale et écrite et la production orale et écrite. Pour parvenir aux échelons supérieurs des compétences linguistiques, l’étudiant devra acquérir des stratégies d’apprentissage variées faisant appel, entre autres, à des capacités cognitives supérieures. Il appert toutefois qu’il lui faudra tout de même appliquer les principes du conditionnement (de répétition) et de renforcement des dites stratégies dans divers contextes d’apprentissage. Pour que l’expérience éducative réponde réellement aux besoins de communication d’une clientèle adulte immigrante avec des locuteurs natifs, nous sommes d’avis qu’il peut être très avantageux de mettre en place un dispositif éducatif hybride grâce auquel les étudiants peuvent se doter d’un environnement immersif autonome et procéder à la réalisation de projets d’intégration de nature socioculturelle et socioprofessionnelle dans leur société d’accueil.
 
 
Quelques mots sur les auteurs :
 
 
Luc Renaud est spécialisé en technologie éducationnelle et enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Détenteur d’une maitrise en éducation, il a aussi été chargé de cours à l’Université de Montréal dans le domaine de l’intégration pédagogique des TIC, et a participé à des projets de recherche portant sur la formule hybride et le socioconstructivisme. Il possède également une solide expertise en développement et expérimentation de formations en ligne et s’intéresse vivement à la collaboration internationale.
 
Rachel Malo enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Elle a fait des études en linguistique et a une bonne connaissance de l’évaluation des apprentissages. Elle a développé et travaillé à des cours expérimentaux en français avancé et en insertion au marché du travail. Elle s’intéresse aux TIC et travaille à différents projets de ces technologies en salle de classe. Elle avoue un intérêt marqué pour la collaboration internationale.
 
Depuis quelques mois, Luc et Rachel conjuguent leurs forces dans une perspective de développement de projets à portée locale, régionale et internationale.
 
Photo : Luis Alfredo Rodriguez Martinez
 
 
Références
 
 

1. Luc Renaud et Rachel Malo (28 janvier 2013), Vers une approche vivante de développement de projets TICÉ, dans Educavox

2. Luc Renaud et Rachel Malo (20 février 2013), Stratégies d’écoute active, baladodiffusion et réflexions sur le radioroman en L2, dans Educavox

3. Luc Renaud et Rachel Malo (4 février 2013), Des poupées russes TICÉ ou des scénarios indépendants de Webtélé en Français Langue Seconde, dans Educavox

4. Luc Renaud (16 avril 2012), Un projet de webzine en langues avec Facebook, dans Educavox

5. Luc Renaud et Rachel Malo (21 janvier 2013), Le Web 2.0 dans une perspective interculturelle et intergénérationnelle, dans Educavox

6. Luc Renaud (23 mars 2012), Pour une application pédagogique réussie de Twitter, dans Educavox

7. Rachel Malo et Luc Renaud (25 février 2013), Le texto à l’école : une plaie ou un outil communicationnel et présentiel fantastique,dans Educavox

8. Luc Renaud (17 mars 2012), Des applications pédagogiques du blogue, dans Educavox

9. Peter Griggs (2002), La dimension cognitive dans l’apprentissage des langues étrangères,IUFM de Lyon

10. Luc Renaud (25 juin 2012), Une gamme variée de logiciels pour un autoapprentissage en L2, dans Educavox

11. Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, Banque d’exercices de français

12. Français facile

13. Bonjour de France

14. Le Point du FLE

15. Luc Renaud (le 15 mai 2012), Le jeu d’aventure électronique de type grand public en langues secondes, dans Educavox

16. Polar FLE

17. Par Ginette Barbé, Janine Courtillon (2005), Apprentissage d’une langue étrangère/seconde : Volume 4. Parcours et stratégies de formation

18. Rachel Malo et Luc Renaud (12 février 2013), Que faire avec Facebook en Langue seconde (L2) : discussion sur l’usage pédagogique d’un logiciel social, dans Educavox

19. Antidote, de Druide informatique

20. MyLanguageExchange.com

21. Lescure Richard, (2010) //crefeco.org/fr_version/pages/Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser." rel="external" style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; color: rgb(25, 64, 182); text-decoration: none; font-weight: bold;">Les approches actionnelles et par compétences en didactique du FLE : intérêts et limites

22. Luc Renaud (15 juin 2012), Des projets éducatifs et le livre numérique en langue seconde, dans Educavox

23. Luc Renaud, (juin 2000), Modèle de communication éducative d’un environnement pédagogique informatisé (EPI) pour faciliter le passage de l’émigration à l’immigration, Mémoire de maitrise, Prologue

Renaud Luc

Luc Renaud est spécialisé en technologie éducationnelle et enseigne le français langue seconde depuis plusieurs années auprès d’une clientèle adulte immigrante. Détenteur d’une maitrise en éducation, il a aussi été chargé de cours à l’Université de Montréal dans le domaine de l’intégration pédagogique des TIC, et a participé à des projets de recherche portant sur la formule hybride et le socioconstructivisme. Il possède également une solide expertise en développement et expérimentation de formations en ligne et s’intéresse vivement à la collaboration internationale. 
Mal à l’aise dans le milieu scolaire, il croit à une remise en question continuelle de l’école ; il tient d’ailleurs un blogue, L’éduc-acteur, le Blogue de Luc Renaud, sur des thèmes variés, qui mettent de l’avant l’importance de l’autoformation.
Il est aussi entrepreneur, ayant démarré récemment une entreprise de consultant en technologie éducationnelle, La boîte à idées E.T.L.R. Ideas Boxdans la région de Montréal.


Montréal, Québec (Canada)