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Dans le premier volet de cette trilogie d’articles, « Responsabilisation et engagement des étudiants ou quand l’enseignant doit-il décrocher du processus d’apprentissage ? (Pour les enseignants du cégep) », nous avons tracé la ligne qui démarque le changement de garde quant à la responsabilisation de l’enseignant lors du processus d’apprentissage. Nous avons nommé « le temps de l’étudiant » pour définir cette période que l’apprenant doit utiliser pour s’impliquer et s’engager dans la tâche.

Nous avons également déterminé qu’il existait trois formes d’échec pour une activité d’apprentissage : l’échec dit incontrôlable, l’échec dit contrôlable et l’échec fictif, aussi nommé "indisposition à l’apprentissage"Dans le deuxième volet"Échecs, apprentissage, intégration et transfert", nous avons développé plus en détail ces trois types d’échec, bien déterminé que l’engagement de l’étudiant à la tâche était essentiel, et spécifié des notions au sujet des trois thèmes essentiels que sont : la notion d’engagement des étudiants, la dyade compétence-connaissance et la notion de transfert des apprentissages et d’intégration.

 

Nous connaissons maintenant les concepts qu’il nous faut pour élaborer certaines stratégies qu’un enseignant peut utiliser lors de la période que nous nommons « le temps du transfert des apprentissages et de l’intégration » pour faire apprendre les élèves à partir de leurs échecs.

Pour vous permettre de mieux évaluer les techniques que nous souhaitons vous proposer en toute humilité, il est essentiel d’introduire à cette étape la notion des savoirs durables. Nos étudiants passeront quelques années dans nos classes pour apprendre et pour être mis en contact avec des connaissances. Que restera-t-il de ces connaissances dans deux, trois ou dix ans ? Je me suis moi-même posé cette question en examinant mon parcours en tant qu’élève. En fait, voici ce que je me suis demandé : « qu’est-ce que j’utilise, aujourd’hui, que j’ai appris depuis mes années du secondaire ? » 

 

Prenons pour acquis les connaissances de base du niveau primaire : écrire, calculer, quelques notions de géographie et d’histoire. Débutons cet examen en réfléchissant à ce qu’il me reste d’un point de vue très large : savoir écrire des textes structurés et logiques, connaître comment résoudre des problèmes, pouvoir gérer mon temps efficacement, savoir réfléchir, analyser, résumer, écouter les autres, considérer l’opinion d’autrui, faire des liens entre des concepts, savoir m’exprimer en publicavoir le goût d’apprendre, aimer apprendre, la bienséance, les convenances et le savoir-vivre en général.

 

À un niveau modérément spécifique : ma passion du cinéma et de la lecture (sous l’influence de mon enseignant de français en secondaire 4, Richard Gay, qui était critique de cinéma à l’émission « Bon Dimanche » et au journal Le Devoir, et qui fut président du FFM) ; mon intérêt pour l’histoire (influencé par l’historien Marcel Tessier qui fut mon enseignant en cette matière en secondaire 5) ; mes aptitudes à vérifier des hypothèses et des faits, faire de la recherche, établir des diagnostics, lire intelligemment, travailler en équipe, prendre des notes pertinentes, structurer de l’information, prendre soin de ma santé et de ma condition physique (par mes cours de conditionnement physique du secondaire) ; raisonner (par mes cours en actuariat) ; avoir une pensée humaniste et critique (par mes cours de philosophie) ; utiliser la méthode scientifique (par mes cours de sciences) ; parler une langue seconde (l’anglais) et avoir un portrait global du monde géographique et économique.

 

À un niveau très précis, si je prends en considération les nombreuses disciplines que j’ai étudiées, il ne me reste que ce que j’utilise actuellement dans mon métier d’enseignant : savoir préparer un cours et tout ce que cela comporte, les notions générales théoriques relatives à mon diplôme en enseignement (DE) et de ma maîtrise (MEC), mes notions en gestion d’entreprise et en commercialisation (ma discipline), mes connaissances en informatique et ma maîtrise des TIC en pédagogie.

 

Voilà donc l’essentiel de mes savoirs durables. Tout le reste de ce que j’ai appris, que je n’ai pas eu l’opportunité d’employer dans la pratique de mon métier, a été oublié. Cela me fait penser à une citation que j’aime bien de Valérie Larbaud : « Il se mit à étudier comme un homme se serait mis à boire, pour oublier ». Il s’agit bien là d’un savoir durable : ce qui nous reste et que l’on peut réutiliser lorsqu’on a tout oublié. Est-il plus important de connaître « par cœur » la panoplie de vitamines et de minéraux que contiennent un fruit et un légume, ou de savoir qu’il faut en consommer cinq à dix portions par jour ? Dans une évaluation, est-il plus important de savoir nommer ces vitamines et minéraux ou d’être capable de discuter de l’importance d’en manger souvent, et pourquoi ? Malheureusement, certains enseignants questionnent encore les élèves sur les composantes en vitamines et minéraux des fruits.

 

En fait, les deux savoirs durables qu’il me reste et qui me sont les plus précieux et utiles sont d’avoir la passion d’apprendre de nouvelles choses et d’être capable de relier et d’attacher ce que j’apprends à ce que je connais déjà. Un savoir durable est incontestablement un savoir qui a été intégré. Si le rôle de l’enseignant, dans sa finalité, est de transmettre des savoirs durables, de là l’importance du troisième temps de l’apprentissage : « le temps du transfert des apprentissages et de l’intégration ». Confronté aux différentes formes d’échec de ses étudiants, l’échec dit incontrôlable, l’échec dit contrôlable et l’échec fictif, aussi nommé « indisposition à l’apprentissage », l’enseignant doit savoir comment récupérer ces derniers pour faire apprendre quelque chose à ses apprenants. Nous y sommes…

 

Avec la définition des facteurs pouvant causer les échecs que nous avons définis lors de notre deuxième billet sur le sujet, nous voyons bien que l’insuccès d’une activité d’apprentissage a peu de lien avec les capacités d’intelligence d’un élève. Nous avons tous le même cerveau, non ? Ne pas comprendre ou ne pas réussir une activité d’apprentissage, cela arrive à tout le monde, même aux surdoués. Même que certains surdoués sont de très mauvais pédagogues et enseignants. Nous sommes tous différents et avons tous des façons variées d’apprendre et de consigner les notions nous permettant d’aboutir aux raisonnements logiques qui nous permettent d’aborder et de réussir un devoir sommatif, un apprentissage (car un devoir sommatif doit être un apprentissage, pas uniquement une vérification ou une certification pour obtenir une note).

 

Malencontreusement, notre système scolaire et notre pédagogie institutionnalisée ne peuvent pas prendre en compte l’hétérogénéité de chacun des 20 ou 30 étudiants de notre salle de classe. Nous ne pouvons, même si nous voudrions le faire, nous adapter aux exigences d’apprentissage et pédagogiques de chaque individu. De même, il nous est rarement possible d’observer les facteurs incontrôlables agissant sur l’étudiant pour le prévenir d’un échec éventuel. Comment pouvons-nous agir, alors, pour transmettre des savoirs durables après l’échec ?

 

Le premier facteur sur lequel nous pouvons agir est le doute de l’étudiant quant à ses capacités et ce, particulièrement dans le cas d’un échec dit incontrôlable par l’enseignant. Nous savons très bien que c’est en se croyant nul que l’on devient nul. Il est donc indispensable qu’un étudiant retrouve confiance en lui après l’échec d’une activité d’apprentissage sommative. Comme pédagogue, il nous incombe de prévenir le doute et permettre à l’élève de conscientiser le ou les facteurs qui ont contribué à l’échec. Plutôt que de chercher une causalité que l’on lance à la figure de notre étudiant : « si tu avais débuté ton travail plus tôt, tu aurais probablement réussi » ; « si tu avais pris des notes de meilleure qualité et mieux écouté lors des cours théoriques, tu aurais obtenu une meilleure moyenne » ; nous devons plutôt agir en utilisant le renforcement positif, le « feedback » et l’autoconscientisation.

 

Nous allons donc agir, dans un premier temps, en utilisant une grille d’évaluation pertinente et claire. Une grille ne laissant pas de zones sombres et de place à des interprétations vagues quant aux résultats attendus pour l’activité. Une grille qui permet à l’étudiant de comprendre ses erreurs et de conscientiser presque automatiquement ce qui manquait aux réponses pour avoir une meilleure note. Par exemple, l’étudiant qui réalise que l’enseignant demandait trois exemples pratiques pour illustrer une notion et qu’il n’en a donné qu’une, peut très bien confirmer que sa note n’a rien à voir avec sa capacité à réaliser l’activité et à trouver des exemples (celui qu’il a exposé est parfait). Il n’a simplement pas bien lu les consignes et n’a réalisé qu’une partie de la tâche. Pour cet exemple, que restera-t-il à l’étudiant comme savoir durable ? L’apprentissage que dans toutes situations pratiques, en classe ou lors de l’accomplissement d’une tâche au travail, il est impératif de prendre le temps de bien lire les consignes et de bien s’informer sur ce qu’il faut faire. Si une infirmière ne termine pas de lire les consignes à propos de l’injection d’un médicament qu’elle ne connaît pas et qu’elle administre ce dernier en intraveineuse plutôt que sous-cutanée, les conséquences peuvent alors être beaucoup plus désastreuses que d’avoir 50% pour un problème où nous devions donner trois exemples pratiques et qu’on en a oublié deux.

 

À notre avis, une grille d’évaluation idéale et parfaite serait conçue de telle sorte que si l’étudiant l’utilisait pour faire une autoévaluation, la note qu’il se donnerait ne serait pas très différente de la vôtre si vous aviez corrigé l’activité (+ ou – 5%). J’offre cet exercice dans le cadre de mon cours de la session d’automne aux étudiants de première session pour le premier devoir sommatif. L’objectif est de permettre aux étudiants de s’approprier les critères d’évaluation que j’utilise pour les devoirs. Ils les lisent rarement par eux-mêmes.

 

Dans un deuxième temps, il faudrait obligatoirement aménager notre temps académique pour permettre un retour en classe sur l’activité, un « feedback ». L’argument du temps scolaire indisponible nous semble inexact, car dix minutes suffisent par devoir. De plus, c’est lors de ce retour que l’étudiant pourra compléter une portion de son apprentissage, soit d’apprendre à partir de ses erreurs. Pour utiliser une métaphore, ne pas revenir sur une évaluation c’est comme laisser l’étudiant « assis entre deux chaises » et c’est valider que seule la note compte et que l’apprentissage à partir des erreurs n’a pas d’importance. Même l’étudiant qui a eu entre 60% et 90% doit bénéficier de ce « feedback » constructif pour apprendre davantage. J’irais même plus loin que cela en affirmant que même l’étudiant qui a eu 100% peut encore apprendre lors d’une session de « feedback ». Comment ? Faites-lui faire le retour en classe et expliquer ses réponses à ses pairs, car « enseigner, c’est le plaisir d’apprendre une deuxième fois ».

 

Dans un troisième temps, nous devrions permettre à nos étudiants de faire une autoconscientisation de leur échec. Nous allons sillonner le métacognitif, ce mot qui fait si peur à plusieurs enseignants. « Le méta quoi ? », s’interrogent-ils souvent. Lorsque j’ai un étudiant dans mon cours pour la deuxième fois parce qu’il a échoué ce dernier l’année précédente, j’utilise l’autoconscientisation pour l’aider à mieux apprendre certains savoirs durables. Voici comment :

 

À la fin de la première leçon, je propose à l’élève de s’entretenir avec moi. Je lui soumets alors une activité formative qu’il doit impérativement réaliser avant le début de la deuxième leçon. Je lui explique évidemment les raisons pédagogiques et éducatives de l’activité. Ce petit devoir consiste en deux questions très simples que l’étudiant doit me rendre par écrit : (1) écrire les raisons qui, d’après lui ou elle, ont contribué à l’échec de mon cours l’an dernier alors que la moyenne de la classe fut de (par exemple) 82% ; (2) confirmer par écrit un minimum de deux actions qu’il ou elle compte prendre, cette fois, pour réussir mon cours.

 

Idéalement, nous recommandons de corriger les travaux en deux temps. L’évaluation devrait comprendre un certain pourcentage de points bonis (à vous de décider combien) pour l’autoconscientisation. Après avoir corrigé le travail, remis les copies et effectué le « feedback » sur l’activité, l’enseignant permettra aux étudiants (désireux de le faire, c’est volontaire) de remettre une autocritique de l’activité. Cette dernière est notée de points bonis et peut servir à rehausser légèrement la note de l’élève, l’objectif étant de transmettre certains savoirs durables. Ce travail se fait à l’aide d’une feuille d’autocritique située à l’endos de la grille d’évaluation. Elle comporte trois questions. Voici comment nous la proposons aux étudiants :

 

Question 1. Encercler la et/ou les facteurs qui ont influencé votre note de : ____ %

a) Je n’ai pas assez étudié la notion et donc je la maîtrisais mal pour l’activité.

b) Mes notes de cours ne sont pas claires et j’ai ainsi manqué les notions qu’il me fallait pour réussir l’activité.

c) J’ai mal lu les consignes de l’activité et j’ai oublié des choses à faire.

d) J’ai mal utilisé mon temps et j’ai été négligent en effectuant le travail.

e) J’ai fait « juste ce qu’il fallait » pour avoir une note de passage (par paresse, manque de temps ou autres raisons : spécifier _____________).

f) J’étais affecté par des problèmes personnels.

g) Je n’ai pas aimé cette activité proposée par l’enseignant ; elle ne correspond pas à mon type d’intelligence.

h) Autre : expliquer _____.

 

Question 2. Que devrez-vous faire lors de la prochaine activité d’apprentissage sommatif pour obtenir une meilleure note ?

 

Question 3. Si vous aviez une règle à rédiger en relation avec votre note et le ou les facteurs qui l’ont influée, quelle serait-elle ?

 

Exemple : si le facteur d’influence a été la proposition « a) », l’élève peut donc émettre la règle suivante : « Pour toutes activités d’apprentissage, il est important de bien lire et relire les notions, de bien les comprendre et, au besoin, consulter l’enseignant avec des questions précises avant de réaliser ces dernières. Une activité d’apprentissage ne peut pas être accomplie si nous n’utilisons pas de liens très clairs avec la théorie. »

 
 

Que devons-nous faire maintenant dans le cas d’un échec causé par des facteurs relatifs à l’enseignant, l’échec dit contrôlable ? Nommons à nouveau ces facteurs possibles : une mauvaise planification de l’enseignant, l’expérience de ce dernier, un manque de formation pédagogique, une négligence professionnelle, un manque de contrôle sur la matière enseignéeun cadre d’apprentissage inachevé ou inadapté.

 

Posons-nous maintenant les questions suivantes : (1) devons-nous pénaliser les étudiants pour des notes (faibles ou échec) qui ont été affectées par un facteur relevant de nous-mêmes ? (2) avez-vous déjà réalisé que vous aviez causé un des facteurs qui aurait influencé le résultat sommatif d’une activité ? Pour ce qui est de la réponse à la deuxième question, nous pouvons tous répondre, en toute honnêteté, par l’affirmative. Répondre systématiquement non à cette question serait de faire l’autruche et de se cacher la tête dans le sable. Maintenant, si c’est le cas, que devons-nous faire ?

 

Une action à ne pas faire serait de bonifier les notes des étudiants sans plus (certains utiliseront l’expression normaliser la note). N’oublions pas qu’un devoir sommatif doit être une activité qui fait apprendre, pas seulement une certification pour une note. Se cacher la tête dans le sable, normaliser la note et ne rien dire sont des agissements complètement antipédagogiques et amateurs. Nous suggérons donc de prendre les mesures suivantes :

 

1. Établir le ou les facteurs qui ont provoqué le résultat médiocre.

2. Verbaliser aux étudiants le ou les facteurs qui ont provoqué le résultat médiocre, une espèce de mea culpa aux étudiants.

3. Annuler le travail comme participant à la note finale.

4. Le cas échéant, revoir la théorie relative à l’activité, revoir l’activité elle-même, repenser le temps de l’activité… (Tout dépendant du ou des facteurs ayant influencé l’échec.)

5. Replanifier l’activité plus tard durant le cours ou la combiner à une autre plus complexe tout en redistribuant les points pour la note finale. Il faudra s’adapter.

 

Philippe Perrenoud affirmait : « La compétence professionnelle se situe au-delà du prescrit ». Ce que vous trouverez le plus difficile, dans cette séquence d’action, est la deuxième, soit de verbaliser à la classe que vous avez commis une erreur. Plusieurs enseignants, sous de fausses prétentions reliées à leur notoriété, leur orgueil ou leur image personnelle, ne pourront pas se résigner à faire cela, et pourtant… Dans un contexte de transférabilité de certains savoirs durables, nous jugeons que cette action est la plus importante et la pierre angulaire pour faire apprendre vos étudiants. Admettre une erreur, replanifier une séquence pour refaire l’activité et redistribuer les points, produiront les apprentissages suivants chez l’élève :

 

Ø Faire comprendre que même les meilleurs se trompent.

Ø Valider que se tromper ne signifie pas être nul.

Ø Démontrer que l’on puisse apprendre d’une erreur.

Ø Illustrer que l’on doit s’adapter dans la vie selon certaines situations.

Ø Valider qu’il est possible de s’adapter efficacement sans perdre nos objectifs.

Ø Établir qu’une introspection est toujours salutaire et rentable.

Ø Confirmer à l’élève qu’il est au centre de votre pédagogie et que son apprentissage est plus important qu’une note.

 

Et ces apprentissages, ce sont des savoirs durables. Des savoirs qui resteront toute une vie dans la tête de vos élèves. Des savoirs qui marqueront certains au point où ils vous en reparleront dans dix ans.

 

Il nous reste la dernière forme d’échec à expliquer : l’échec dit fictif ou « indisposition à l’apprentissage ». En raison de son importance, nous traiterons ce type d’échec dans un prochain article qui pourrait se transformer en une série de billets…