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L’échec fictif, aussi nommé « indisposition à l’apprentissage » - Dans les trois premiers volets (volet 1volet 2volet 3) de nos articles sur l’échec et sur la responsabilisation des enseignants, nous avons pris connaissance des concepts qu’il nous faut pour pouvoir élaborer certaines stratégies qu’un enseignant peut utiliser lors de la période que nous nommons « le temps du transfert des apprentissages et de l’intégration » pour faire apprendre les élèves à partir de leurs échecs. 

Nous avons proposé des actions à effectuer en ce qui concerne les deux premiers types d’échec : l’échec dit incontrôlable et celui nommé contrôlable. Découvrons ensemble, maintenant, ce qu’il faut faire pour « faire apprendre » des savoirs durables à l’étudiant qui est confronté à un échec fictif, aussi nommé « indisposition à l’apprentissage ».

 

Si j’avais à expliquer des points tournants de ma pédagogie à quelqu’un, je dirais que mes actions pédagogiques et mes valeurs ont été guidées par les faits marquants suivants :

 

1. Lors de mon premier cours à mon premier groupe d’étudiants, ce lundi de septembre 1992 et où je me rend compte, avec mon énergie de nouveau professeur et ma passion pour ma matière ; qu’environ six ou sept de mes 35 étudiants n’avaient aucun intérêt pour ce que je disais ou pour les activités que je proposais en classe. Ils ne prenaient même pas de notes lors de mes exposés et me remettaient des devoirs bâclés. Des devoirs pour juste avoir une note de passage ou pour juste avoir une note, sans plus.

 

2. Cette étudiante brillante qui, en 1994, me dira ceci (suite à une leçon difficile où certains étudiants étaient non impliqués dans la classe) : « Je trouve cela dommage que certains étudiants ne réalisent pas qu’il faut écouter, prendre des notes et poser des questions pour apprendre ».

 

3. Ces deux citations importantes : (1) Albert Einstein disant : « Je n’enseigne rien, je ne fais que placer mes étudiants en situations pour qu’ils apprennent », (2) Valérie Larbaud disant : « Il se mit à étudier comme un homme se serait mis à boire, pour oublier ».

 

Nous reviendrons sur ces faits plus tard pour expliquer certains points de vue sur le type d’échec qui nous intéresse dans ce billet, l’échec fictif. Nous voudrions aussi spécifier certains autres points concernant la pédagogie, l’éducation et l’enseignement en général.

 

Quelques propos sur la pédagogie et l’éducation

L’homme est le seul animal de cette planète qui doit être éduqué. Les autres animaux apprennent surtout par mimiques, en imitant leurs parents. Le jeune singe, par exemple, assure la diffusion d’une "culture" et d’un savoir propre à sa communauté par imitation et répétition des comportements de sa mère et des autres membres de son clan. C’est aussi pour cette raison que l’homme prend plus de 18 ans avant de devenir presqu’adulte et quasiment autonome (certains ne le deviendront jamais !), soit la plus longue période du règne animal. Le singe, lui, entre dans sa phase adulte vers 5 ou 6 ans.

 

L’homme est donc le fruit d’une éducation et sa particularité par rapport aux autres animaux, c’est qu’il arrive au monde inachevé. Inachevé certe, avec très peu de capacités héréditaires innées mais doté d’aptitudes inégalées pour le changement, l’évolution, la transformation et l’amélioration de sa personne et de sa culture. C’est la notion de perfectibilité de Jean-Jacques Rousseau. Et pour l’homme, la perfectibilité n’a qu’un seul passe-partout et c’est l’éducation.

 

Chaque humain naît donc avec la perspective d’être éduqué et c’est un droit pour tous. Il n’y a pas de parents qui privent leurs enfants d’une éducation de base qui se poursuivra, dans notre société, par une éducation scolaire obligatoire sur une certaine durée. Cette durée sera variable d’un pays à l’autre mais, en générale, elle oblige l’éducation scolaire jusqu’à environ la fin d’un deuxième cycle de base (soit vers 16 ou 17 ans, la fin du secondaire pour nous). Nous réalisons, par contre, que malgré l’obligation légale de l’éducation et à moins de vivre dans un système totalitaire et répressif sauvage ; personne ne peut obliger un humain à grandir, à apprendre, à s’éduquer et à développer sa culture. Vous connaissez des gens qui n’ont pas terminés leurs études secondaires ? Moi oui, et plusieurs. Vous connaissez de ces étudiants qui ne font que le strict nécessaire pour avoir une note ou une diplômation, souvent de justesse ? Nous avons tous eu de ces élèves qui font leur métier d’étudiant très pauvrement, sans implications, sans âmes, sans recherche de dépassements ; en ne réalisant que le minimum demandé. Dans un contexte de travail, si le métier d’étudiant était rémunéré, ces derniers seraient incontestablement congédiés.

 

Les rôles de la pédagogie et de l’enseignant sont donc de créer des situations pour faire apprendre les étudiants qui sont dans nos classes, vous en conviendrez aussi. Certains diront de la pédagogie qu’elle est un art réfléchis, raisonné, pensé et qu’elle doit donner, à nos étudiants, les moyens et l’envie d’apprendre ce qu’ils ne savent pas. Pour ceux qui ont lu Kant, ce dernier a bien défini une problématique de l’éducation et nous l’expliquons librement : l’enseignant-éducateur-pédagogue doit réussir, dans l’exercice de son métier, à démontrer à ses étudiants qu’il exerce sur eux une pression tempérée et modérée qui les conduit à l’usage de leur propre liberté. Liberté qu’ils utilisent pour décider, par eux-mêmes, d’apprendre, de s’éduquer et de penser.

 

Tout en acceptant ces idées, nous réalisons, en parallèle qu’en éducation tout n’est pas possible  ; que le pédagogue-enseignant rencontrera toujours une certaine résistance à l’apprentissage qu’il ou elle ne peut pas reconnaître, ni forcer, ni obliger. L’apprentissage de force n’existe pas sans ruiner les bases même de ce qu’est l’éducation au sens large et profond. Car dans l’éducation, et dans ses fondements sociaux, existe le postulat (dans le sens de principe) de liberté fondamentale de l’homme quant à ses choix. Si la pédagogie est un art qui doit donner les moyens, il y a une limite infranchissable quant à son rôle pour donner l’envie et pour motiver.

 

Quelques propos sur l’enseignement et l’enseignant

L’enseignement est une institution dans notre société. Selon l’étymologie du mot, une institution est une structure (d’origine coutumière ou légale) tourné vers une fin, dans notre cas l’éducation de nos élèves. Mais pourquoi devient-on enseignant ? Dans mon cas, ce choix procède de deux objectifs de vie très contradictoires ; un très égoïstement centré sur moi-même et un deuxième dirigé vers les autres.

 

J’enseigne parce que ce métier, si l’on s’y implique à fond, permet d’apprendre, apprendre encore plus sur ma matière mais aussi apprendre sur les autres et principalement sur mes élèves. Et cet apprentissage est un constant processus qui ne s’arrête jamais. Voilà donc pour l’objectif centré sur moi-même : j’enseigne pour moi et parce que je ne peux pas concevoir effectuer un métier routinier qui ne m’apporte rien au niveau apprentissage et intellectuel. On n’a jamais terminé de faire le tour de cette profession et elle permet de multiples possibilités de retour sur soi, d’amélioration, de réflexions et de perfectionnement personnel.

 

Mais j’enseigne aussi parce que cette fonction me permet d’essayer d’appuyer et d’aider mes étudiants dans leur apprentissage et leur éducation ; c’est la portion orientée vers les autres. Et j’utilise le verbe « essayer » avec beaucoup d’insistance. Donnons-nous maintenant une petite « définition-maison » de l’enseignant en utilisant ce que nous venons d’exprimer :

 

L’enseignant est donc « un individu qualifié qui a la responsabilité, dans notre société démocratique et libre, d’essayer d’éduquer les enfants, les jeunes adultes et les adultes ; en utilisant comme moyen tout son art par le truchement de la pédagogie appliquée. Il a comme rôle de tenter d’aider les êtres qui lui sont confiés à grandir, à apprendre, à s’éduquer et à développer leur culture. » Existe-t-il encore un rôle de transmetteur ? Et la réponse est très certainement positive : implicitement, lorsque nous disons que l’enseignant doit utiliser tout son art par le truchement de la pédagogie appliquée. Et une pédagogie appliquée agéquoite comprendra toujours une portion de transmission de certains savoirs : savoirs théoriques, culturels, sociaux et comportementaux. De plus, si l’on se rapporte à Kant, nous réalisons que le pédagogue doit aussi être un éducateur de l’esprit et il se doit d’être un allumeur de bougies, un stimulateur de neurones.

 

Que faire et quelle attitude à avoir envers les échecs fictifs ?

Nous allons maintenant tenter de répondre à trois questions fondamentales en regard au troisième type d’échec, l’échec fictif que nous avons nommé « indisposition à l’apprentissage ». Nous n’avons pas non plus la prétention d’affirmer que nos réponses ne seront pas sujettes à certains débats et c’est bien ainsi. Nous désirons simplement stimuler une réflexion personnelle de votre part et peut-être vous guider dans la construction de réponses plus personnelles et en lien avec votre cheminement professionnel.

 

Rappelons, d’abord, ce que nous entendons par échec fictif :

« L’échec fictif ou « indisposition à l’apprentissage » est bien différent. Il n’est causé que par un seul facteur : l’indisposition de l’étudiant à s’engager dans son apprentissage et à mettre en marche son intention réel d’apprendre par son implication active dans la tâche à faire. L’enseignant n’a aucun contrôle au niveau de ce facteur. Il pourra quand même agir sur l’étudiant après l’échec, lors de la période nommée « le temps du transfert des apprentissages ». C’est pour cette raison que nous nommons cet échec de fictif ou d’« indisposition à l’apprentissage ». Fictif dans le sens étymologique de faux, d’erroné. La définition du mot échec au sens linguistique ne s’applique pas puisque l’apprenant ne fait pas de tentative ou d’essai sérieux à la réussite de l’activité. L’« indisposition à l’apprentissage » n’est donc pas un échec à proprement parler, c’est un choix de non-participation de l’étudiant, un abandon avant ou très tôt pendant l’essai. »

 
 

Nous vous proposons donc les trois questions suivantes :

 

1. Quel est le niveau de responsabilité de l’enseignant lors d’un échec fictif ?

2. Que peut faire l’enseignant pour prévenir l’échec fictif ?

3. Comment l’enseignant peut-il utiliser l’échec fictif pour transmettre des savoirs durables et que sont ces savoirs ?

 
 

A. Le niveau de responsabilité de l’enseignant lors d’un échec fictif

Il est inexistant (sur une échelle de zéro à dix, la responsabilité est à zéro) et expliquons cette affirmation par l’usage d’une analogie très simple, celle du cuisinier. Supposons que j’invite une personne pour un repas du midi et que cette dernière sait qu’elle ne mangera pas de nouveau avant le dîner vers 20h. Mon rôle sera de monter la table pour qu’elle soit accueillante, de préparer le repas en tentant de tenir compte des goûts de mon convive et de servir le repas agréablement. Si je fais bien mon travail (recherche du menu, recherche des goûts, préparation du repas selon l’art, service exceptionnel) et qu’en plaçant les assiettes devant mon convive, ce dernier ne mange rien ; alors je ne peux pas le forcer. Si mon convive ne mange pas ou presque rien, par paresse, parce qu’il en a décider ainsi ou parce qu’il décide de faire autre choses, je ne suis pas responsable.

 
 

B. Comment prévenir l’« indisposition à l’apprentissage » ?

Une action possible pour l’enseignant pour tenter de prévenir l’« indisposition à l’apprentissage », c’est de s’assurer que son travail pédagogique préalable au « temps de l’étudiant » soit bien effectué. Une pédagogie active, diversifiée, authentique, expliquée et validée prédisposera 90% des élèves à l’action durant cette portion si importante de l’apprentissage, cette portion de l’implication active. Tout comme le cuisinier de tantôt, au delà de bien disposer la table et de très bien préparer le repas, personne ne peut faire manger le convive à sa place.

 

Nous pourrions aussi examiner la piste de l’autoévaluation et de la co-évaluation comme outil de prévention à l’« indisposition à l’apprentissage ». En effet, nous estimons que plusieurs étudiants ne s’impliquent pas en apprentissage parce qu’ils croient avoir très peu de contrôle sur l’évaluation et sur les résultats qu’ils obtiendront. De plus, selon Pierre Bourdieu (Bourdieu P. - Passeron. Les héritiers. 1964) et sa théorie de « la sociologie de reproduction », plusieurs étudiants croient ne pas avoir ce qu’il faut comme outils pour réussir et pour s’impliquer à fond et ce ; en raison de reproduction des comportements de leur environnement social et familial (famille démunie, parents sans éducation, etc).

 

Nous croyons donc que l’autoévaluation et la co-évaluation sont des outils efficaces pour : (1) permettre aux étudiants de se fixer des buts et des objectifs pour une activité d’apprentissage ; (2) initier une implication dans le processus qui déterminera la note ; (3) donner un sentiment de contrôle de l’étudiant sur le processus d’apprentissage ; (4) amoindrir les effets « de reproduction » ; (5) permettre une réflexion métacognitive sur l’apprentissage ; (6) permettre d’avoir une meilleure estime de soi ; (7) générer une motivation à l’implication et finalement ; (8) améliorer l’image de l’étudiant face à ses pairs. Nous discuterons de ce sujet plus en détail dans un prochain article.

 
 

C. Comment transmettre des savoirs durables à partir d’un échec fictif ?

Maintenant, comment peut-on faire pour récupérer un échec fictif et transmettre un savoir durable ? La question n’est pas simple et les réponses peuvent être nombreuses. Il existe deux écoles de pensées sur le sujet et les discussions peuvent être très enrichissantes. Certains diront que pour apprendre vraiment d’un échec fictif causé par l’« indisposition à l’apprentissage  », l’enseignant doit laisser l’étudiant vivre avec les conséquences de son échec et l’amener à en tirer une expérience positive. D’autres diront que les conséquences mal gérées peuvent causer un effet inverse et amener l’étudiant à se percevoir comme non compétent et ainsi, miner sa confiance et ses désirs d’apprendre. Ce sont les tenants de cette façon de penser qui ont aboli le redoublement à l’école.

 

Lorsque j’ai un étudiant dans mon cours pour la deuxième fois parce qu’il a échoué ce dernier l’année précédente, j’utilise l’autoconscientisation pour l’aider à mieux apprendre certains savoirs durables. Voici comment :

 

À la fin de la première leçon, je propose à l’élève de s’entretenir avec moi. Je lui soumets alors une activité formative qu’il doit impérativement réaliser avant le début de la deuxième leçon. Je lui explique évidemment les raisons pédagogiques et éducatives de l’activité. Ce petit devoir consiste en deux questions très simples que l’étudiant doit me rendre par écrit : (1) écrire les raisons qui, d’après lui ou elle, ont contribué à l’échec de mon cours l’an dernier alors que la moyenne de la classe fut de (par exemple) 82% ; (2) confirmer par écrit un minimum de deux actions qu’il ou elle compte prendre, cette fois, pour réussir mon cours.

 

Nous croyons fermement que l’échec causé par l’« indisposition à l’apprentissage » doit être expérimenté par l’étudiant, conscientisé et énoncé. Notre rôle de pédagogue est de faire prendre conscience aux étudiants qu’un échec doit être pris comme un acquis qui entraîne une prise de conscience et une meilleure confiance en soi. Il faut enseigner que d’accepter l’échec signifie une victoire et que d’en conscientiser les causes pour s’en inspirer est un apprentissage durable et significatif.

 

La dynamique d’apprentissage par l’échec est foncièrement défectueuse dans notre milieu scolaire et elle se heurte à de nombreux obstacles (la politique du non redoublement en est une). Lorsque j’étudiais au secondaire, le redoublement était accepté et prescrit. En 1970, lors de mon premier secondaire, j’ai obtenu la « ronflante » note de 42% en mathématique. Ce qui m’a valu de devoir refaire mes mathématiques du premier secondaire durant l’été pour pouvoir progresser en deuxième secondaire. Et bien en 1982, j’ai obtenu mon diplôme en mathématiques actuarielles de l’Université de Montréal et je rédigeais mon cinquième examen de la Société d’Actuariat de Chicago. Mon échec de 1970, bien géré, m’a fait passer de cancre en mathématique à diplômé spécialisé dans le domaine le plus poussé des mathématiques appliquées. L’enseignant qui m’a fait reprendre mes mathématiques durant l’été de 1970 en est pour beaucoup responsable.

 

Le rôle de l’enseignant devant l’échec et l’« indisposition à l’apprentissage » est donc d’aiderl’étudiant à : (1) changer sa perception face à l’échec ; (2) aider ce dernier à interpréter son échec ; (3) mémoriser et conscientiser des leçons positives et constructives ; (4) modifier ses comportements pour ne plus reproduire l’échec en question. Nous affirmons que l’on tire peu d’enseignements d’une réussite facile, dont les explications sont toujours un peu mystérieuses et demeurent toujours sans analyses sérieuses et métacognitives. Alors que c’est grâce à l’introspection des échecs que l’on apprend à se connaître vraiment et que l’on progresse très rapidement.

 

L’échec, bien géré, nous apprendra plusieurs savoirs durables : (1) savoir changer nos plans ; (2) changer nos décisions ; (3) apprendre de nouvelles stratégies ; (4) réévaluer nos façons de travailler ; (5) redéfinir nos efforts ; (6) mieux planifier notre travail ; (7) apprendre à travailler avec les autres, à poser des questions, à réfléchir différemment ; (8) savoir ce qui ne fonctionne pas selon notre type d’intelligence.

 

Nous affirmons donc, en conclusion, que dans un système éducatif guidé par des impératifs d’apprentissage et non pas des dominantes de performance ; il est important d’enseigner et de véhiculer qu’apprendre d’un échec doit être une fin en soi. Vitement le retour du redoublement, si nécessaire.