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Mickael Le Mentec, est ingénieur de recherche à l’Université Rennes 2. Il est docteur en sciences de l’éducation, chercheur rattaché au laboratoire CREAD, membre du GIS (Groupement d’Intérêt Scientifique) *M@rsouin  qui regroupe des chercheurs travaillant sur les questions d’usages numériques. Dans sa thèse, soutenue en 2010, M. Le Mentec a travaillé sur les questions de disqualification sociale, et plus particulièrement sur l’évolution des rapports des individus avec l’institution : il a étudié le rapport entre les demandeurs d’emploi et Pôle Emploi à travers les dispositifs sociotechniques.

Durant son intervention au colloque « Translittératie et Affiliations Numériques », M. Le Mentec a présenté un projet ANR intitulé  « Ineduc » centré sur les inégalités éducatives.

Durant ce projet, le chercheur s’est intéressé au parcours éducatif des adolescents, en croisant leurs parcours scolaires, leurs loisirs, leurs activités numériques. Ce projet a cherché à comprendre s’il y existe des différences territoriales, et la façon dont ces différences se traduisent en inégalités.

L’objectif de la communication présentée au colloque a été d’aborder la question des régulations des pratiques numériques des adolescents au sein du foyer.

Au début de sa présentation, M. Le Mentec a mis l’accent sur la norme :

« lorsque les pratiques sont partagées par un ensemble d’individus, elles se normalisent en usages et cette normalisation peut exclure des personnes qui ne partagent pas les mêmes usages et peut les désaffilier du groupe. On peut observer ça dans les groupes de pairs mais également dans les familles ».

Selon M. Le Mentec, les adolescents se retrouvent autour de trois grandes familles d’usages : écouter la musique, regarder des images, communiquer.

Les appareils numériques sont de plus en plus présents. On peut parler de culture numérique juvénile. Dans ces grandes familles d’usages, il y a une très grande variété des pratiques au niveau des contenus qui sont regardés en fonction du milieu social, du genre, de la place dans la fratrie et même du territoire.

Suite à ces constats, le chercheur pose la question suivante : « Face à ces pratiques, quelle est la régulation ? »

Durant le projet « Ineduc », 3350 élèves de 4ième ont été étudiés. Les résultats montrent que les compétences et les connaissances sont différentes. Par exemple, un tiers des élèves ne sait pas régler les paramètres de confidentialité sur Facebook, les informations d’ordre privé et public, 40 % ne font la distinction entre plateformes de téléchargements légales et illégales. Le milieu social apparaît particulièrement discriminant. Les familles ne sont pas égales dans la manière dont elles accompagnent leurs enfants. Le rapport entre famille et école est différent. Les résultats du projet INEDUC montrent que, quel que soit le milieu social, les parents partagent les mêmes objectifs d’éducation : ils veulent tous que leur enfant réussissent à l’école,  qu’il soit heureux, qu’il ait un bon travail plus tard. Ces objectifs relèvent de la sécurité affective, sociale et scolaire de l’adolescent.

Selon L. Mentec, il existe des contraintes parentales différentes en fonction du sexe de l’enfant : des conflits entre filles et parents apparaissent au sujet des sorties, des pairs, de Facebook, de la télévision, alors que les conflits entre garçons et parents surgissent quant aux jeux vidéo, à l’utilisation de l’ordinateur, en général.

Le chercheur a soulevé le fait qu’il existe un assouplissement des règles dès le second enfant. Ensuite, l’intervenant a évoqué la réussite scolaire qui est importante pour tous les niveaux socio-économiques. Par contre, les stratégies sont différentes.

Les parents des milieux favorisés et très favorisés sont très attentifs : leurs enfants sont encadrés plus quantitativement et qualitativement que les enfants des familles des milieux moins favorisés, ils subissent davantage d’interdictions, de restrictions. La régulation domine.

L’apprentissage de l’autonomie qui renvoie à l’auto-régulation dans les différents espaces et sphères d’activités a été également étudié par les chercheurs de l’équipe « Inéduc ».

Quelques exemples concrets ont été présentés pour illustrer ce propos. Les résultats du projet montrent aussi que la préservation ou le maintien des temps familiaux sont souhaités par la majorité des parents et plusieurs stratégies se mettent en place (sorties en famille, vacances en famille, loisirs artistiques etc.). Les parents sont attentifs à la formation de la personnalité de leur enfant : l’éducation au goût, au respect, à l’ouverture… Plus de 10 % de parents interdisent les émissions de téléréalité.

Au-delà de ces objectifs, il existe des contraintes.

D’après M. Le Mentec, les parents n’ont pas toujours de la même liberté dans cette régulation. Quel que soit le milieu, les parents s’interrogent souvent sur ce que leurs enfants font quand ils sont seuls, sur le respect des règles.

  • Les conditions de travail rendent difficile la disponibilité des parents.
  • La deuxième contrainte, c’est le poids des normes adolescentes.

Les parents des milieux favorisés s’y opposent mais ce n’est pas toujours évident. Il y a des parents qui mettent en place des stratégies collectives face à la pression de leurs enfants, par exemple les parents de milieux favorisés placent l’écran dans une pièce partagée, leurs enfants disposent des anciens téléphones portables, etc. Les régulations par la négociation restent majoritaires. Les conflits se produisent quant au temps passé devant l’écran. La spatialisation des appareils constitue la seconde restriction parentale. Les différences intéressantes sont à mentionner : les familles favorisées sont plus équipées, par contre dans leurs chambres les adolescents des milieux défavorisés ont plus d’accès à des outils que ceux des familles favorisées.

La question des espaces se pose par rapport aux supports mobiles.

Les usages de téléphone sont moins contrôlés que les usages des autres écrans. C’est le support qui crée le moins de conflits entre parents et enfants. Les parents considèrent le téléphone comme un objet plus personnel, ils se sentent gênés de s’introduire dans l’intimité de leurs enfants.

Après le temps et l’espace, ce sont les contenus qui sont contrôlés.

Les parents ont des représentations négatives et fantasmagoriques de Facebook. 70 % des élèves possèdent un compte, 67 % l’ont ouvert avec l’accord des parents. Même s’ils le possèdent, ils n’utilisent pas de la messagerie instantanée, ils déposent peu de contenus. Ils savent que les parents sont sur le réseau, certains sont amis avec leurs parents. En milieu favorisé, ils sont contraints de devenir amis avec les parents. Ils sont amis avec leurs frères et sœurs, cousins, cousines, grands-parents. Pour cette raison, ils font plus attention. Selon l’intervenant, Facebook est une vitrine pour les adolescents dans laquelle il faut exposer une belle image de soi.

L’étude montre que les jeunes investissent d’autres réseaux sociaux (ask.fm, Snapchat) que les parents ne connaissent pas et ne fréquentent pas. Sur ces réseaux, les adolescents peuvent se lâcher beaucoup plus. Ils échappent de cette manière au contrôle parental.

A la fin de sa communication, M. Le Mentec a souligné que, même si les objectifs sont communs, les formes de régulation sont différentes en fonction du milieu social, du genre, de l’âge, de la compétence parentale. Ces critères jouent un rôle fondamental dans l’exercice de la régulation. 

L’intervenant a proposé quelques pistes de recherche qui peuvent être explorées au sein de  l’ANR Translit : re-questionner les rapports entre espace en ligne et espace hors ligne et interroger les pratiques numériques des adolescents au regard des régulations parentales.

Le site du colloque : http://translitbordeaux2016.weebly.com/

La vidéo de l’intervention de Mickaël Le Mentec

*Le site des M@rsouins : http://www.marsouin.org/mot248.html

Dernière modification le jeudi, 19 mai 2016
Brochet Laura

Docteure en SIC, enseignante-chercheure à l'Université de Vilnius (Lituanie)