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Dans le contexte mondial actuel, certaines analyses au sujet de l’utilisation, l’intégration, ainsi que celles traitant des enjeux éducatifs des technologies (les TIC) se réduisent trop souvent à une accumulation de conclusions banales et convenues. Des conclusions, qui sont souvent le fruit des usages communs généralement en vigueur dans notre société. 
Il s’agit par exemple de l’accès aux savoirs démocratisés (presque tous nos volumes de références théoriques sont dans Internet), de l’augmentation de l’individualisation de la formation (usage de Skype pour des stages), des échanges en temps réel et de l’individualisation des communications (par le courriel), de la transformation de la recherche documentaire (accès à Internet), de la motivation et de l’engagement des étudiants, de l’usages bureautiques en classe (suite Office, par exemple) ; sont autants d’affirmations communes pour l’usage des TIC en enseignement que le serait de prétendre que les enseignants actuels, au Québec, ne sont plus des religieux. Autrefois, nous entrions dans la salle de classe comme on pénétrait dans un sanctuaire. Nous traversions alors une porte imaginaire au delà de laquelle l’enseignant était le maître et l’élève était l’apprenant. Le maître livrait, donnait, structurait et l’apprenant recevait, écoutait, écrivait, assimilait ; il y avait des règles du jeu connues de tous qui n’étaient pas remises en question parce qu’elles demeureraient de toute façon immuables.
 
Pourtant, on peut observer que depuis le début des années 90, l’accès aux savoirs démocratisés et aux technologies a désorganisé cette messe collective que nul naguère ne pouvait et ne songeait même à interrompre. Nos étudiants de la réforme arrivent aujourd’hui en classe comme s’ils entraient dans leur salon où une télévision serait en marche. Munis de leur téléphone intelligent, ils ont passé une heure à l’ordinateur en mode dit « multitâche » : tantôt ils prennent un instant pour répondre à un SMS, tantôt ils rédigent pendant une dizaine de minutes une portion de dissertation, tantôt ils alternent l’écoute d’une vidéo sur Youtube et la recherche de documentation dans Internet et tantôt ils écoutent de la musique par l’entremise de leur lecteur audionumérique.
 
Dans une approche pédagogique traditionnelle de la méthode dite « sanctuaire », il semble que rien n’invite outre mesure les étudiants à consacrer leur attention à l’enseignant plutôt que d’utiliser la « zapette » pour se livrer à toute une panoplie d’activités autres que celles, incontournables, dans le cadre d’un apprentissage significatif en présentiel.
Si le « spectacle » proposé par le professeur est intéressant, ils « se branchent » alors quelques instants, dans cet espace souvent découpé comme celui qui morcelle une heure de télévision : quinze minutes de contenu, une pause commerciale et ainsi de suite. Puis, ils reprennent la télécommande et vont ailleurs (SMS sur téléphone, rédaction d’un autre travail en retard sur une tablette numérique).
 
Entre « le sanctuaire » d’autrefois et le « salon » d’aujourd’hui, il n’y a plus rien de commun excepté les lieux physiques qui eux, n’ont guère changés au cours des années ; il s’agit toujours d’un collège et d’une classe logés dans un espace temps qui tentent de mettre enseignant et étudiants en « relation ». Le rythme élémentaire de nos « cours » demeure encore le principe de l’organisation de notre vie pédagogique et institutionnelle. Cette dernière est divisée par les grilles de l’emplois du temps des enseignants syndiqués et selon la relation suivante : trois heures – un enseignant en classe – une discipline – une matière – un cours – une classe – des étudiants en présence obligatoire et sanctionnée. L’École se retrouve donc aujourd’hui au centre de plusieurs conditions qui se repoussent comme les pôles d’un aimant : une classe « salon » avec télécommande, des élèves « multitâches », une cadence et une grille de l’emplois du temps traditionnelle qui a été conçue pour une société de fermiers du début du siècle, plusieurs enseignants de type « maître-curé » et des pédagogies appliquées encore trop souvent verticalement.
 
Les technologies peuvent permettre la fin de cette verticalité stricte dans l’acte pédagogique et réduire l’usage de la télécommande chez l’étudiant « multitâche ». Cependant, si les enseignants n’utilisent ces technologies que pour mettre les élèves en contact avec des savoirs et des informations multiples, sans réflexions, ils peuvent compromettre la mission même de leurs usages. En effet, intégrer les TIC à l’école est, simultanément, une question d’ordre pédagogique mais aussi anthropologique. Si, comme pédagogue nous croyons qu’Internet ouvre la porte aux savoirs, c’est que nous connaissons mal la définition de ce qu’est le véritable savoir. Un savoir qui sera intégré ne peut être appuyé que par une exigence de rigueur pédagogique et, ce soutien pédagogique ne peut s’élaborer qu’avec l’obligation d’un rapport au savoir qui doit être médiatisé habilement par l’enseignant. L’intégration utile et pertinente des technologies en classe ne peut donc se faire que si l’enseignant se fonde sur une pédagogie exigeante, différente, active, signifiante, tournée vers l’étudiant et à travers une véritable intention de le guider vers le savoir essentiel et réel. Celui-là même qui sera intégré dans la vie sociale et professionnelle.
 
Or, la base de notre enseignement nous provient de l’empirisme qui considère que « la connaissance se fonde sur l’accumulation d’observations et de faits mesurables, dont on peut extraire des lois générales par un raisonnement inductif, allant par conséquent du concret à l’abstrait » (L’Intern@ute Encyclopédie). Nous avons donc structuré nos méthodes d’enseignement (il s’agit-là d’un modèle encore utilisé) sur des principes simples, sécurisants et connus de tous : exposer et rendre des savoirs ordonnés, rigoureux, exhaustifs et complets. Notre logique de l’enseignement relève donc de l’organisation et de l’exposition aux savoirs. Ce sur quoi nous ne nous interrogeons pas assez souvent c’est sur le fait que l’apprentissage, et nous le croyons fermement, renvoie plutôt au développement et surtout à l’usage de l’exploration et de la découverte. Ce qui est pour le moins contradictoire, vous en conviendrez.
 
Nos étudiants, exposés à des méthodes pédagogiques trop formatées et sachant que plusieurs savoirs se retrouvent dans Internet, utilisent une programmation mentale très superficielle en présence. Nous le remarquons, la plus grande portion de leurs apprentissages ne se fait pas essentiellement en classe au contact des enseignements, mais de nombreuses autres façons individuelles, autonomes et dans un cadre exploratoire : travail à la maison sur des activités signifiantes, interactions entre pairs, discussions en groupe-classe, enseignement à un pair plus faible, présentation orale et toutes autres situations qui ne sont pas celles d’un enseignement traditionnel mais qui pourraient être celles d’un enseignement qui utilise efficacement les technologies.
 
Donc, si nous croyons que l’intégration des TIC en pédagogie peut avoir une efficacité et un impact important, selon certaines conditions et usages pédagogiques appropriés, posons-nous la question suivante : quel est l’état de l’intégration des Technologies de l’information et de la communication (TIC) par les enseignants dans le cadre d’activités d’apprentissage significatives et authentiques ? Des technologies de l’information qui, utilisées à bon escient, pourraient éliminer la verticalité pédagogique et le « zapping ». De même, pourrions-nous nous demander ce qui induit les enseignants à utiliser les TIC en pédagogie active pour réduire la verticalité pédagogique ?