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En s'appuyant sur son expérience scolaire et professionnelle, Sixtine Rose, remet en cause la méritocratie à la française, basée sur une culture élitiste et reproductrice d'inégalités sociales. Elle vante les mérites de l'échec, invite à changer de paradigme et appelle à valoriser une approche plus large et inclusive, intégrant l'intelligence sociale et le partage de connaissances avec le plus grand monde.

On sait depuis les philosophes grecs que le savoir c'est le pouvoir. L'idée pourrait paraître obsolète à l'ère de l'information, où tout un chacun peut en trois clics accéder à toute la connaissance du monde et où la donnée vient à nous sans même la rechercher par la magie des algorithmes. Il n'en est rien. La quantité peut compromettre la qualité et le nivellement des informations et la formidable désintermédiation de la connaissance constituent des dangers au moins aussi sérieux que la privation de savoir.

Les vertus de l'échec 

« La défaite nous ment quand elle nous fait croire que nous sommes un raté. Le succès nous ment lorsqu'il nous invite à confondre une réussite conjoncturelle ou une image sociale avec ce que nous sommes au fond" (1). Ces mots de Charles Pépin résonnent quand on les rapproche des situations d'échec scolaire et professionnel que connaissent de nombreuses personnes de ma génération.

Il ne s'agit pas tant de trouver un responsable à nos désillusions et de provoquer du ressentiment, mais de poser un constat utile. On dit souvent que la langue française s'appauvrit et l'on s'inquiète des controverses que peuvent susciter certains mots du nouveau monde, tel que « ludique ».

Par ailleurs, les méfaits des écrans et de la téléréalité, des réseaux sociaux sont mis en avant comme des facteurs de fragmentation de notre attention et de notre capacité de formulation verbale et écrite à communiquer avec nos semblables. Enfin, certains ferment le ban en regrettant que le quotient intellectuel baisse depuis 1999, affirmation fondée sur une seule étude, sujette à la controverse.

Cette baisse peut traduire une sorte d'échec pour la société. La survenance de l'échec ne signifie pas que nous sommes des ratés, pas plus que le succès ne garantit notre épanouissement. Comme devant tout déterminisme, il ne nous reste plus qu'à réinterpréter cet échec afin d'apprendre et de changer notre regard sur lui, sur nous et sur les autres. Il est certain que l'école, telle qu'elle est, ne remplit pas sa mission qui est de rendre les personnes actrices de leur vie. Et ce décalage joue beaucoup dans l'échec scolaire et son ressenti. 

Moi-même je n'étais pas vraiment douée à l'école, peu portée sur les classiques - ce qui changerait par la suite. Aussi, en sortant de BTS, j'ai complètement raté mes écrits aux concours d'école de commerce, mais je me suis rattrapée à l'oral en ayant eu 22/20. Cette anecdote sert ici d'exemple. Dans une situation pour le moins inconfortable, j'ai puisé dans mes ressources, dans mon bagout et mon insolence, qui n'étaient pas considérés comme des qualités et j'en ai fait une force. Je me suis servie de ce dont je disposais, j'ai eu recours à d'autres savoirs que ceux qui étaient attendus, j'ai osé et j'ai intégré l'école de mon choix. Quand on parle de connaissance tout comme de savoir, le pluriel s'impose et il convient de ne jamais mépriser un type d'intelligence, notamment l'intelligence sociale. Autrement dit, la connaissance des autres.

Changer de paradigme

S'il n'est possible objectivement de prouver que nous nous abêtissons, le classement PISA (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves) de 2019 nous situe dans la moyenne de l'OCDE (2). Si le niveau des élèves français stagne depuis une dizaine d'années, l'impact du milieu socio-économique sur le niveau des élèves, lui, semble croître. Cela signifie que notre système scolaire peine à corriger les inégalités de fait entre les élèves, favorisant la réussite d'une « élite », peinant à accompagner les enfants moins privilégiés. C'est là que le bât blesse, car cet écart se renforce avec le temps et le seuil : les deux tiers des étudiants des grandes écoles sont issus des catégories sociales très favorisées, 9% proviennent des classes défavorisées (3). Ces difficultés d'accès et une culture élitiste se dissimulent dans de nombreux discours sur la méritocratie, qui, portant un idéal de mobilité sociale, est fortement conditionnée par les diplômes et les origines. 

Dans ce contexte, il s'agit chacun à son échelle d'œuvrer dans les interstices pour décloisonner la culture élitiste, promouvoir d'autres formes d'intelligences et de savoirs, redonner confiance en soi et en les autres, afin que chaque jeune puisse se déployer.

Par-delà les structures et politiques publiques existantes, il est primordial de mettre à disposition le plus largement possible les connaissances et de reconnaître l'humanité, la singularité et l'effort de chacun : les conditions d'une réelle promotion au mérite. Tenir ce genre de discours requiert de l'audace et du réseau.

Ces deux éléments gagnent à être enseignés, c'est à dire formulés et partagés. Ainsi, je ne sais pas si je serais arrivée là sans avoir intégré l'association Article 1 et son collectif Différent Leaders ou sans avoir eu l'audace de parler avec Alexandre de Rothschild, lors d'une soirée à l'Élysée où je m'étais faufilée, stagiaire, avec un tout autre objectif en tête. En revanche, je sais que la rencontre et le réseau sont des leviers puissants, et que l'on ne le dit pas assez à celles et ceux qui souhaitent « gravir l'échelle sociale » ou encore qui s'orientent vers des métiers créatifs ou entrepreneurials.

Ce manque de transparence et d'encouragement peuvent être corrigés au sein d'une approche plus large et inclusive des savoirs qui valorise aussi l'écoute, l'audace et l'adaptation. La finalité est alors de s'émanciper sans bouder les classiques, ni mépriser l'humain. À mon échelle, je pense m'inscrire dans ce mouvement avec la création du réseau social français Socrate dont l'autre devise pourrait être Sapere aude ! 

Oui, ose savoir, en partageant sans modération. 

Socrate, premier réseau social européen du savoir et du partage de connaissances. Créée en 2018, la plateforme, qui a pour ambition de partager la connaissance et la réflexion, compte aujourd’hui une dizaine de salariés, dont Sixtine Rose, directrice générale adjointe.

 

Diplômée de Kedge Business School, Sixtine Rose débute sa carrière en 2018 au sein du groupe ENGIE où elle passe de la Direction de la Transformation Digitale à la Direction de la Communication. Elle intègre ensuite le cabinet international de communication stratégique, Richard Attias & Associates pour s'occuper du Sommet Afrique-France 2020. Après un passage chez Prisma Media, elle rejoint Socrate, premier réseau social français du savoir et du partage de connaissances en 2022 en tant que Directrice Générale Adjointe. Très engagée, Sixtine est membre des Global Shapers, communauté des jeunes du Forum Économique Mondial, de l'association Article 1 et du Club du 21ème siècle.

1. Pépin C. Les vertus de l'échec, 2016, ed. Allary
2. La Rédaction, « Enseignement : la France dans le classement PISA », Vie Publique [en ligne], août 2020, Disponible à cette adresse: https://www.vie-publique.fr/eclairage/19539-resultats-des-eleves-la-france-et-le-classement-pisa
3. Bonneau C., Charousset P., Grenet J., Thebault G., « Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ? », Rapport n° 30, Institut des politiques publiques [en ligne] janvier 2021. Disponible à l'adresse: https://www.ipp.eu/wp-content/uploads/2021/01/democratisation-grandes-ecoles-depuis-milieu-annees-2000-ipp-janvier-2021.pdf

Dernière modification le dimanche, 09 octobre 2022
An@é

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