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Au sein du projet incubateur APLIM (APprentissage d’une Langue vivante par IMmersion) et dans le cadre d’une thèse en Sciences du langage, les chercheurs impliqués s’intéressent à la réalité virtuelle dans l’enseignement-apprentissage de l’anglais auprès de lycéens. Ils questionnent les prérequis des enseignants à l’intégration des outils de la réalité virtuelle dans leurs cours d’anglais, les coûts et les bénéfices de leurs utilisations et, les performances linguistiques des élèves en compréhension orale de l’anglais.

Une méthodologie mixte, mêlant des études qualitatives (observations participatives, entretiens semi-dirigés) et des études quantitatives (quasi-expérimentations), a été mise en place auprès des enseignants et des lycéens faisant partie du projet. Les résultats sont présentés ci-dessous.

Contextualisation

Cadre du projet incubateur APLIM

Le projet incubateur APLIM a été validé par le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse avec pour finalité l’intégration de la réalité virtuelle dans l’apprentissage de l’anglais, en vue d’accroître la motivation des élèves à apprendre cette langue. Il est piloté par la direction de région académique du numérique pour l’Éducation de Toulouse (désormais DRANE de Toulouse), en partenariat avec l’Atelier Canopé de Toulouse et, d’une équipe de chercheurs de l’Université Toulouse 2-Jean-Jaurès, de l’Université Montpellier 3 et de l’Université Bordeaux 2.

Quatre enseignants d’anglais ont été choisis pour intégrer ce projet qui s’est déroulé entre 2019 et 2021, auprès d’élèves de classes de Première professionnelle des quatre établissements d’enseignement secondaire de l’académie de Toulouse suivants : le lycée Antoine Bourdelle à Montauban, le lycée polyvalent Antoine de Saint-Exupéry à Blagnac, le lycée professionnel Roland-Garros à Toulouse et, le Centre Spécialisé d’Enseignement Secondaire Jean Lagarde à Ramonville Saint-Agne.

Chacun de ces enseignants a reçu une batterie de ressources numériques (casques de réalité virtuelle, smartphones, caméras 360°) et un accès aux applications HoloBuilder, CoSpaces et vTime de la part de la DRANE de Toulouse, en vue de la réalisation de trois scénarii pédagogiques prévus par le projet.

Par ailleurs, la DRANE de Toulouse a aussi assuré des séances d’acculturation et de formation aux outils de la réalité virtuelle auprès des enseignants, en collaboration avec l’Atelier Canopé de Toulouse.

Le projet a permis aux élèves de travailler sur trois scénarii pédagogiques novateurs, en collaboration avec des partenaires allemands issus d’établissements d’enseignement secondaire en Allemagne.

Ils ont ainsi pu concevoir une visite virtuelle immersive et interactive en 360° de leur établissement respectif au travers de l’application HoloBuilder ;

concevoir un musée virtuel en 3 dimensions présentant leurs héros par le biais de l’application CoSpaces ;

échanger en synchrone entre eux, sous forme d’avatars, dans un environnement virtuel immersif choisi au sein de l’application vTime. Le matériel mis à disposition de ces classes était composé de smartphones Samsung S8, de caméras Gear 360° et de casques Samsung Gear et Oculus Go. 

Cadre de la thèse en Sciences du langage

C’est dans ce contexte que l’équipe de chercheurs des universités de Toulouse 2, de Montpellier 3 et de Bordeaux 2, a conduit une étude qualitative et longitudinale auprès des enseignants et, une étude quantitative auprès des élèves des lycées professionnels faisant partie du projet.

La première s’est déroulée entre 2020 et 2021 auprès des quatre enseignants, par le biais d’entretiens semi-directifs. La seconde a eu lieu à deux reprises, en 2019 et en 2020, auprès de deux cohortes d’élèves, et a été complétée par des observations participatives lors des séances de manipulations des outils de la réalité virtuelle par les élèves, prévues dans les scenarii pédagogiques.

Définition de la réalité virtuelle

Cadre théorique

La réalité virtuelle est un ensemble d’interfaces technologiques permettant à son utilisateur de s’extraire de la réalité physique l’entourant (Fuchs, 2006), et de se livrer à une expérience virtuelle dans une réalité simulée par ordinateur ou imaginaire (Wojciechowski & Cellary, 2013).

Cette simulation passe par une vision en 3 dimensions ou bien en 360°. La vidéo en 360° est une vidéo omnidirectionnelle et panoramique offrant une sensation d’immersion, qui renvoie « aux stimuli produits par le dispositif de réalité virtuelle et à leur degré de fidélité par rapport à la réalité » (Roy, 2014 : 3). Cette immersion favorise le sentiment de présence que Bouvier (2009) définit comme le « sentiment authentique d’exister dans un monde autre que le monde physique où notre corps se trouve » (Bouvier, 2009 : 72).

Enseigner avec la réalité virtuelle

Ce que disent les études

Une intégration réussie des technologies, et en particulier des outils de la réalité virtuelle, dépend en partie des croyances des enseignants (Tondeur et al., 2017 ; Tondeur, 2020), de leur confiance et de leurs perceptions (Ertmer et al., 2012), et de la formation qu’ils ont reçue (Merchant et al., 2014 ; Bonner & Reinders, 2018).

En effet, l’enseignant joue un rôle primordial dans cette étape (Ozkan, 2017) et s’il n’a pas les ressources et les formations nécessaires, son enseignement peut en être affecté : distraction des élèves, impact sur les interactions, incapacité à apprendre de manière appropriée (Al-Gamdi, 2019). Alfalah (2018) affirme même que des plans de formations concrets permettraient le passage d’un enseignement traditionnel (livres, manuels, stylos) à un enseignement plus moderne (outils numériques).

Résultats obtenus dans le projet

Afin de connaître les prérequis à l’utilisation de la réalité virtuelle dans l’enseignement des langues, ainsi que les freins et les plus-values, les chercheurs ont conduit des entretiens semi-dirigés individuels auprès des quatre enseignants d’anglais du projet.

Ces entretiens ont eu lieu à deux moments du projet : lors de la première année (à l'issue du premier scénario pédagogique) et lors de la seconde année (à la fin du troisième scénario). D’une durée approximative d'1h30, les entretiens se sont déroulés en vidéoconférence (Zoom et Microsoft Teams), en suivant une grille de questions établie par l’équipe de chercheurs.

Cette grille se composait de cinq catégories : impressions et appréhensions au début du projet, bilan des formations aux outils de la réalité virtuelle, agir enseignant[1] lors de l’utilisation de ces outils, attitudes et comportements de leurs élèves lors des manipulations de ces outils et avis général sur l’utilisation de ces outils.

Par ailleurs, sur cette même période, les chercheurs ont réalisé des observations participatives ouvertes, périphériques et externes lors des séances de manipulation des outils de la réalité virtuelle par les élèves.

Les résultats obtenus ont permis de mettre en évidence les freins suivants :

  • manque de compétences technico-pédagogiques à la suite des formations provoquant un sentiment d’inefficacité de la part des enseignants,
  • investissement personnel considérable pour s’autoformer et mémoriser les gestes lors de l’intégration et de la manipulation par les élèves,
  • nécessité d’accompagnement technique lors des séances sans quoi les enseignants se sentent démunis face à la multiplicité des actions à mener de front pendant les séances;

et les plus-values suivantes :

  • posture plus périphérique de l’enseignant plaçant les élèves au centre de l’attention (Guichon, 2012), favorisant l’investissement dans leurs missions d’enseignants,
  • nouvelle posture de concepteur de tâches pédagogiques innovantes et ludiques ;
  • nouvelle manière d’aborder l’enseignement d’une langue (multimodalité, scénarisation, apprenant au centre de l’activité, relation apprenant-enseignant plus horizontale),
  • enseignement davantage pragmatique car apprentissage plus attrayant, plus concret et plus valorisant pour les élèves qui désirent utiliser ces outils à chaque cours (ces résultats rejoignent ceux de Yeh & Lan, 2018), enseignement efficient car accroissement de la motivation des élèves dans leur apprentissage (constat déjà dressé par Mangenot, 2000 et Dewaele & MacIntyre, 2014) du fait de la valorisation de leurs travaux.

[1]« Ensemble des actions verbales et non verbales, préconçues ou non, que met en place un professeur pour transmettre et communiquer des savoirs ou un “pouvoir-savoir” à un public donné dans un contexte donné » (Cicurel, 2011, p. 119).

Apprendre l'anglais avec la réalité virtuelle

Ce que disent les études

La réalité virtuelle propose une multimodalité riche, ludique et attractive (Burkhardt et al., 2006 ; Yeh & Lan, 2018), participant à l’augmentation de la motivation et de l’engagement des élèves dans la tâche d’apprentissage (Cheng et al., 2017 ; Chen & Kent, 2019 ; Hein et al., 2021).

Elle favoriserait les apprentissages (Ciekanski & Privas-Bréauté, 2019), en particulier la mémorisation des concepts linguistiques (Godwin-Jones, 2018).

En ce sens, le vocabulaire est mieux maîtrisé ou mieux appris s’il est présenté dans un contexte (Shih, 2020). De même, la mémorisation de mots est plus importante à travers une vidéo situationnelle qu’à travers une vidéo avec la traduction du mot à l’écrit (Jeong et al., 2010). Par ailleurs, l’acquisition de vocabulaire est plus précise via un environnement immersif que par l’intermédiaire d’une association de mots (Legault et al., 2019) et, plus importante quantitativement à travers un jeu de réalité virtuelle en trois dimensions plutôt qu’à travers des livres et des feuilles de travail (Alfadil, 2020).

Résultats obtenus dans notre étude

Afin d’évaluer les performances linguistiques des élèves avec la réalité virtuelle, les chercheurs ont réalisé une étude quantitative, en 2019, et l’ont répliquée en 2020, auprès de deux cohortes d’une soixantaine d’élèves chacune, des quatre lycées professionnels du projet.

La différence entre les deux cohortes d’élèves reposait sur leur degré d’implication dans l’étude : la cohorte d’élèves de 2019 était inscrite dans le projet et l’étude en faisait partie intégrante de manière explicite. A contrario, la cohorte d’élèves de 2020 était extérieure au projet et leur participation à l’étude a été momentanée.

L’étude consistait en la réalisation d’un pré-test portant sur leurs connaissances lexicales à travers un questionnaire à choix unique, puis une semaine plus tard, suite à une situation d’apprentissage lexical, ils devaient effectuer un test de compréhension orale via un questionnaire à choix unique.

Dans les trois étapes de l’étude, les chercheurs ont présenté les huit mots suivants dans le même ordre : alley, library, research unit, language, reception, canteen, bench.Les deux cohortes d’élèves ont été réparties en deux groupes pour la situation d’apprentissage, le groupe contrôle et le groupe test. Dans le premier, les élèves visualisaient une vidéo bidimensionnelle sur un écran d’ordinateur et, dans le second, ils regardaient une vidéo en 360° via un casque de réalité virtuelle.

Dans les deux situations d’apprentissage, la vidéo contemplative et descriptive de deux minutes d’une visite guidée en anglais, de l’Université de Toulouse 2-Jean Jaurès, était visualisée pendant sept minutes. Chacun de ces deux groupes a ensuite été divisé en deux sous-groupes pour la réalisation du test, où les réponses étaient proposées soit à l’oral uniquement, soit à l’oral et à l’écrit. L’étude a été complétée avec un questionnaire d’acceptabilité et des observations auprès des élèves de la cohorte 2019 uniquement.

Les résultats obtenus ont montré :

  • de meilleurs résultats en acquisition lexicale avec la réalité virtuelle uniquement chez les élèves impliqués dans le projet ;
  • une motivation plus accrue chez les élèves du projet, favorisant ainsi leur attention à l’objet d’apprentissage (Véronique, 2019) ;
  • une implication active des élèves du projet en comparaison aux élèves extérieurs au projet, qui étaient plus passifs.

Conclusion

Ces études réalisées par les chercheurs du projet ont permis de démontrer que la réalité virtuelle a un potentiel indéniable dans l’apprentissage d’une langue « dès lors que sa manipulation n’engendre pas une attention trop lourde de la part de l’enseignant » (Meyran-Martinez & Spanghero-Gaillard, 2021b).

Par ailleurs, elle motive et engage les élèves (Meyran-Martinez & Spanghero-Gaillard, 2020a, 2021a), les implique davantage dans leur apprentissage, qui est plus concret et plus ludique, mettant en valeur leur travail et leur créativité tout en améliorant leurs compétences langagières (Meyran-Martinez & Spanghero-Gaillard, 2020b, 2021a) s'ils sont associés à l'intégration de ces outils sur un long terme.

En effet, il ne suffit pas seulement d'avoir recours à la réalité virtuelle dans les cours de langue pour que les élèves se montrent plus motivés et apprennent mieux. Il est souhaitable que les contenus pédagogiques apparaissent en totale cohérence avec l’utilisation des outils de la réalité virtuelle, qui devront être sélectionnés sciemment.

Enfin, outre l’investissement personnel de l’enseignant et l’accompagnement technique pendant les séances, une médiation relationnelle entre les différents acteurs impliqués (rectorat, direction de région académique du numérique pour l’Éducation, Atelier Canopé de Toulouse, référent numérique, interlocuteur académique pour le numérique) est primordiale à la réussite de l’intégration de ces outils dans l’apprentissage des élèves.

Céline Meyran-Martínez, Allocataire de recherche en Sciences du langage au LERASS (EA 827), Université Toulouse 2-Jean-Jaurès

Recommandations

À l’issue de leurs travaux, les chercheurs impliqués formulent les recommandations suivantes à l’attention des enseignants souhaitant intégrer les outils de la réalité virtuelle dans l’enseignement d’une langue étrangère :

Suivre des formations en continu intégrant l’acculturation aux outils de la réalité virtuelle, les manipulations et leur mise en situation pédagogique ;

Solliciter des techniciens et/ou du personnel connaissant bien ces outils pour être accompagné et soutenu lors des manipulations en classe ;

Impliquer d’autres enseignants de son domaine dans l’intégration des outils de la réalité virtuelle ;

Favoriser une médiation relationnelle avec les différents acteurs impliqués (rectorat, direction de Région académique du numérique pour l’Éducation, Atelier Canopé, référent numérique, interlocuteur académique pour le numérique);

Intégrer de manière cohérente ces outils aux contenus visés des programmes scolaires ;

Acculturer les élèves aux outils de la réalité virtuelle en amont de leur utilisation ;

Avoir des groupes classes de petit effectif ne dépassant pas les quinze élèves ;

Favoriser la pédagogie par projet et les travaux en petit groupe;

Utiliser fréquemment ces outils avec les élèves ;

Faire confiance aux élèves en les laissant manipuler.

Témoignage vidéo sur le projet

Article publié sur le site : https://www.reseau-canope.fr/agence-des-usages/lenseignement-apprentissage-de-langlais-avec-la-realite-virtuelle.html

Dernière modification le samedi, 04 mars 2023
Agence usages Canopé

Les usages du numérique éducatif : L'Agence nationale des usages du numérique éducatif est un site web de référence qui vise la compréhension des enjeux liés à l’évolution des pratiques professionnelles des enseignants dans un contexte numérique. Cette publication présente une veille sur les outils, ressources, services pédagogiques numériques pour l’Éducation, des résultats de la recherche internationale, des expériences d’utilisateurs dans la conduite des actions d’enseignement et d’apprentissage et une observation en continue des processus « usages » mis en œuvre dans le cycle de vie des projets technico-pédagogiques.

https://www.reseau-canope.fr/actualites/actualite/lagence-des-usages-pour-integrer-le-numerique-dans-sa-pratique.html