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Philippe Watrelot : Je propose dans ce court billet quelques réflexions sur ces deux journées de la refondation de l’École (2 et 3 mai 2016) auxquelles j’ai assisté en partie. Une évocation de ce que j’y ai ressenti et une réflexion sur la réception de cet évènement dans les médias et dans l’opinion.

 
Professionnels de la profession
Ce lundi matin 3 mai, en me préparant pour aller au lycée, j’ai mis une cravate dans ma poche...
Puis je suis allé au lycée faire cours (de SES) à mes élèves de Terminale de 8h30 à 10h30. Il ne reste plus qu’une trentaine d’heures pour finir le programme et donc chaque heure compte !
 
À 10h30 j’ai rejoint Paris. Prendre le RER C relève du jeu de hasard : on ne sait jamais si on va gagner. Cette fois ci, j’ai gagné puisqu’une heure plus tard j’étais devant le palais Brongniart. J’étais en effet invité aux Journées de la refondation organisées par le Ministère de l’Éducation lundi 2 et mardi 3 mai. Je ne suis plus responsable associatif mais je pense qu’on m’a invité car j’étais dans les fichiers de ceux qui avaient participé à la concertation pour la refondation durant l’été 2012. J’avais bien fait de prendre cette cravate, car, si on voulait passer inaperçu, c’était le “dress code” du jour...
 
Un  article du Monde parle dans son chapô de présentation d'une opération séduction “en direction des enseignants”. Ce n’est pas tout à fait exact. Tout simplement parce que des enseignants au palais Brongniart, il n'y en avait pas... Ou très peu. Car ce lundi, quand je suis arrivé à la pause du matin,  la vision de toutes ces personnes qui prenaient un café ou discutaient dans le grand hall de la Bourse m’a rappelé en effet les souvenirs de la concertation de la refondation. On y retrouvait les mêmes membres de la technostructure de l’Éducation Nationale, parlementaires, élus locaux, chercheurs, responsables syndicaux ou associatifs... On était donc entre “Professionnels de la profession” (comme aurait dit Godard). Et peut-être que c'était cela finalement l'objectif premier de cet évènement : confronter ces personnes aux résultats de ce processus dont ils avaient été partie prenante.
Hé ho les profs ? où étiez vous ? Ben, pas invités et dans les classes... Surtout en ce jour de reprise de la zone C. On peut aussi déplorer la faible place des associations, syndicats et mouvements pédagogiques dans les tables rondes. Et ne parlons pas des parents et des élèves...
 
Symboliquement (et donc en termes de communication), cette très faible représentation des enseignants pose problème. Car, il aurait été bon de ne pas laisser qu'aux prescripteurs et aux cadres chargés d’appliquer cette refondation, l'exclusivité d'en parler durant cet évènement ! Et cela ne fait que renforcer aussi l’image d’une structure bureaucratique avec pour résultante une sorte de méfiance réciproque entre l’administration de l’Éducation Nationale et les enseignants eux mêmes.
 
 
Point d’étape ou coup de com’?
Les journées sur les réformes dans l’Education: point d’étape ou coup de com? titre l’AFP (et Libération). La réponse est : les deux !
C’est  bien une opération de communication assumée très clairement par Hollande dans son intervention du lundi soir (qu’on peut revoir ici). Il l’évoque à la fin en conclusion (à 31’). Il en plaisante : « Quand on ne fait pas de communication c’est rare qu’on la fasse pour vous» et il ajoute même, toujours sur le ton de la plaisanterie « si on attend que les compliments, on est pas toujours satisfait, si on attend les critiques, on peut avoir son lot...», tout en se  défendant : «il ne s’agit pas de repeindre la réalité»
 
Le lancement de la “refondation” en 2012, s’était accompagné de “grands messes” à la Sorbonne. Il y a donc une certaine logique à reproduire cela presque quatre ans après. D’autant plus qu’il fallait aussi peut-être essayer de redonner sens et cohérence à une politique publique dont on avait perdu le “fil rouge” à cause des retards accumulés et d'une certaine tendance à la procrastination politique...
 
F.Hollande  parle d'une obligation de “rendre des comptes” et ça peut sembler légitime. Personnellement, je ne vois pas en quoi on peut dénier à un exécutif quel qu’il soit le droit de présenter ce qu'il a fait. Il reste ensuite aux opposants et aux critiques à se saisir de cette mise à l'agenda pour apporter des contradictions et des nuances. C’est le jeu démocratique, et c’est ce qui a commencé à être fait !
 
 
Des sous et du temps
Si “opération séduction”, il y a eu, elle s’est surtout exprimée mardi soir avec le discours de Manuel Valls, annonçant la revalorisation de l’indemnité de suivi et d’accompagnement des élèves (ISAE) destinée aux enseignants du primaire. Ce n’était plus vraiment un scoop car l’essentiel avait déjà été dévoilé par la Ministre quelques jours auparavant dans une interview au JDD. Cette ISAE passera à 1200 euros à la rentrée 2016, ce qui la met à égalité avec l’ISOE qui est une indemnité équivalente pour les enseignants du secondaire. On a déjà rappelé dans de précédents billets l’écart de rémunération entre ces deux catégories d’enseignants pourtant aujourd’hui recrutées avec le même niveau de diplôme.
 
Rappelons que l'ISAE a été créée en 2013 alors que l'ISOE a été créée en 1990. Aujourd’hui tous les syndicats se réjouissent de l’augmentation de l’ISAE. Même si certains d’entre eux font remarquer que tous n’étaient pas présents lors de la signature du  protocole de création de l'ISAE le 30 mai 2013...
Évidemment, il ne s’agit pas d’une revalorisation salariale au sens strict, ce n’est pas non plus complètement pris en compte dans le calcul de la retraite de base (mais uniquement dans la retraite additionnelle de la Fonction Publique). Évidemment cela ne compensera pas la baisse du pouvoir d’achat accumulée... Mais il faut aussi replacer cela dans le contexte du dégel du point d’indice (0,6 % en juin et 0,6 % en mars). Et rappeler également que dans le cadre des négociations PPCR (Parcours professionnel, carrières et rémunérations) on prévoit une intégration progressive des primes et indemnités des fonctionnaires dans leur salaire à partir de janvier 2017.
 
Certains ne manqueront pas de voir dans cette annonce  un acte de clientélisme à un an des élections présidentielles. D'autres (ou les mêmes...) y voient une remise à niveau normale et attendue entre les enseignants du primaire et ceux du secondaire. Et en effet cette mise à niveau est plus que nécessaire. Mais il est certain que le moment choisi, à un an des élections, renforce la conviction des premiers et réduit la portée de l’acte.  Dans ce sujet comme  dans bien d’autres, l'une des plus grandes défaillances de ce quinquennat, c'est la maîtrise du temps...
 
 
Hééééé, hoooooo... ?
Quand on est attentif, comme je le suis depuis tant d’années, à l’opinion publique enseignante exprimée dans les réseaux sociaux mais aussi dans les établissements, on se dit que l’“opération séduction” est loin d’être gagnée...
 
Au delà des excès et de la surenchère de certains activistes de Twitter, il est clair que l’état d’esprit des enseignants reste marqué par une certaine défiance et beaucoup de désillusions. Je l’ai souvent écrit, il y a un fort sentiment de déclassement chez les enseignants et celui-ci ne peut se résoudre uniquement par une augmentation des revenus même si elle est nécessaire.
 
Il faut aussi dépasser la “méfiance réciproque” que j’évoquais plus haut et faire plus confiance aux enseignants. Un des participants à une table ronde rappelait cette belle phrase de la sociologue Françoise Lantheaume prononcée lors de nos assises de la pédagogie en 2014 : « Moins prescrire l’idéal et mieux soutenir l’existant ». L’organisation et la composition de ces deux journées au Palais Brongniart sont le signe qu’il y a à faire de nets progrès dans le “ménagement” (la faute est volontaire) des enseignants et dans la gouvernance de cette structure. Les mouvements sociaux actuels nous montrent qu’il y a une crise de la représentation et des corps intermédiaires. L’éducation nationale n’échappe pas à ce constat et à la nécessité de rétablir la confiance.
 
Il peut y avoir une certaine autonomie des champs d’action et de leur appréciation. On peut concevoir qu’il y ait des réformes qui aillent dans le bon sens dans l’éducation et même admettre que tout cela prend du temps pour en faire sentir les effets. Mais il est clair aussi que le « vote enseignant » (si tant est qu’il existe) ne se déterminera pas uniquement sur ce seul sujet. Il y a, il y aura, une appréciation globale de la politique sur tous ses aspects qui ne se réduira pas à la question : « est-ce que dans l’éducation, ça va mieux ?».
 
 
Philippe Watrelot


J'ai participé le mercredi 4 mai 2016 à l'émission de France Culture “Du grain à moudre” qui avait pour thème “Refondation de l'école : que reste-t-il d'une ambition ?
Les autres invités étaient Florence Robine (Dgesco) et Renaud Fabre (ex-conseiller à la cour des Comptes)
On peut réécouter l'émission  où je reprends des éléments de ce billet de blog ainsi que des trois précédents
 
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Publié par Watrelot : http://philippe-watrelot.blogspot.fr/2016/05/he-ho-les-profs.html

Dernière modification le samedi, 07 mai 2016
An@é

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