La définition de la situation
Quelques lignes, dans l’introduction, rappellent que l’orientation est une affaire d’État, ayant deux objectifs : assurer l’équité entre les membres de la société et répondre aux besoins de celles-ci[3]. Et après ces enjeux, le constat de l’évolution des acteurs est relevé : les régions, l’ONISEP, « De multiples acteurs, publics et privés, ont émergé et jouent un rôle croissant. » Et l’offre de formation foisonnante provoque une perte de repères pour les familles.
Le code de l’éducation (art D. 331-23) est également évoqué. Il définit l’orientation comme le processus continu d’élaboration du projet de l’élève… Mais le rapport note que « Les principes ambitieux de ces textes peinent toutefois à s’appliquer dans la réalité éducative. » Implicitement, la question de la Cour des Comptes serait de comprendre pourquoi ce processus n’aboutit pas pour tous à un résultat heureux.
L’introduction construit ainsi le cadre du rapport en insistant sur le POURQUOI, le QUI, le QUOI, mais semble bien ignorer le COMMENT, autrement dit la manière dont la circulation des élèves est organisée dans notre système scolaire, ici, en France.
Le rapport en deux parties et une brève conclusion formulant trois recommandations peut alors se déployer, complété par les réponses de la ministre d’État, ministre de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, et de la présidente de l’Association Régions de France.
La première partie intitulée, « Des enjeux importants puissamment déterminés par les résultats scolaires, l’image sociale et l’offre de formation » va se consacrer à relever tous les biais intervenant dans le processus d’orientation. Tandis que la deuxième partie, « Mieux répondre aux attentes des jeunes » va relever les dysfonctionnements dans l’organisation de l’aide apportée aux élèves et aux familles.
Coucou, les biais
Le rapport n’ignore pas les procédures. Il les dénomme « décisions d’orientation et d’affectation » et rappelle les constats les plus sévères sur leurs résultats qui sont loin d’établir de l’équité. Prenons le temps et le plaisir de prendre connaissance du résumé qu’en fait la Cour des comptes. Après avoir rappelé « La forte corrélation entre les résultats des élèves et leur milieu social », le rapport indique trois biais dans la notation.
« En outre, à notes équivalentes, les familles de milieux défavorisés font beaucoup moins souvent des choix d’orientation vers la seconde générale et technologique et ces vœux sont rarement revus à la hausse par les conseils de classe[4]. À l’inverse, les décisions d’orientation en voie professionnelle sont systématiquement supérieures de deux à trois points aux demandes[5].
Enfin, à notes et vœux équivalents, les décisions des équipes éducatives sont influencées par le contexte social de l’élève. Le processus d’orientation tend donc plutôt à amplifier le déterminisme social. Une sensibilisation explicite à ce type de biais doit donc faire partie de la formation initiale des enseignants. Conscient de cette difficulté, le ministère de l’éducation nationale a ouvert un chantier en ce sens.
Enfin, à notes et vœux équivalents, les décisions des équipes éducatives sont influencées par le contexte social de l’élève. Le processus d’orientation tend donc plutôt à amplifier le déterminisme social. Une sensibilisation explicite à ce type de biais doit donc faire partie de la formation initiale des enseignants. Conscient de cette difficulté, le ministère de l’éducation nationale a ouvert un chantier en ce sens. »
Traduction, même si on reconnait que « Le processus d’orientation tend donc plutôt à amplifier le déterminisme social », ce qui est l’exact inverse de l’un des enjeux de l’orientation évoqué en commençant, le processus lui-même n’est pas remis en cause, car tout cela est l’effet de biais de la part tant des élèves et des parents, que des enseignants. La conclusion est donc de porter l’effort sur les acteurs, et de mieux les former, de mieux les informer. L’une des trois recommandations finales sera, d’ailleurs, la formation initiale à l’orientation des enseignants.
Au fond il faut rendre parfait le fonctionnement de nos procédures d’orientation et évacuer tout ce qui la perturbe : les biais qui affectent la pensée et l’action de tous les acteurs impliqués dans le processus de l’orientation.
La faute à l’orientation ?
Le thème de la mauvaise orientation apparait dans un chapitre consacré au décrochage (D. Des progrès à poursuivre dans la prévention du décrochage). Voici ce qu’écrit la Cour des comptes.
« Plusieurs études récentes[6] ont mis en lumière la diversité des profils des sortants précoces. Parmi les causes multifactorielles, le motif de la « mauvaise orientation » est fréquemment évoqué par les jeunes concernés : déception, absence de projet ainsi que lassitude des modalités de l’école, manque de sens perçu par rapport au monde du travail ou perte de confiance en soi. »
Ainsi, la « mauvaise orientation », l’un des facteurs du décrochage, est la « mauvaise orientation » entendue comme de mauvais ressentis de la part des jeunes et aucunement des faits. La Cour des comptes parmi les causes multifactorielles ne relève que celle-ci.
L’orientation (ici le décrochage comme acte volontaire du décrocheur) est ainsi le résultat de sentiments, de ressentis et non pas celui des procédures d’orientation ou d’actes institutionnels. En mettant l’accent sur les mauvaises sensations des élèves, le fonctionnement institutionnel se trouve préservé. Est-ce-là, la volonté de la Cour des comptes, on est en droit de s’interroger.
Causes et conséquences du développement d’un marché privé du conseil
« Ainsi, l’émergence d’un marché privé du conseil répond au besoin d’accompagnement insuffisamment satisfait par le système éducatif et accroît en retour les inégalités entre les jeunes qui peuvent compter sur un appui parental avisé et ceux qui sont moins entourés. »
La Cour des comptes évoque trois raisons. Examinons-les.
« L’évolution des missions des psyEn rend peu praticable, à l’heure actuelle, leur transfert, parfois recommandé ou revendiqué, vers les régions. »
L’évolution est simplement constatée, et la Cour des comptes prend le soin d’indiquer le maintien du volume des emplois de ces personnels. Et si leur transfert est évoqué, un anonymat recouvre le demandeur de ce transfert. Oubli pudique des différentes tentatives de la part de l’État de se défaire de ces personnels. Ajoutons que l’attribution pleine du statut de psychologue à ces personnels ne pouvait pas ne pas avoir de conséquences sur la définition de leurs missions.
« De fait, la mission d’éducation à l’orientation, confiée en priorité aux enseignants, est insuffisamment accompagnée. »
L’attribution de cette mission aux enseignants et à l’établissement n’a pas seulement été insuffisamment « accompagnée » mais surtout n’a pas été organisée par l’attribution de moyens.
« Les évolutions, majeures et fréquentes, du cadre législatif et règlementaire (réforme du lycée en 2018, du lycée professionnel en 2019, loi orientation et réussite des étudiants en 2018, réforme de l’accès aux études de santé 31 etc.) et la mise en œuvre de nouveaux dispositifs (découverte des métiers en cinquième, stage de seconde etc.) renforcent la nécessité de mettre en place un accompagnement des enseignants. Cette instabilité, difficile à assumer par ces derniers, constitue également une difficulté supplémentaire pour les élèves et les familles moins favorisées ».
Là encore, la Cour des comptes demande un accompagnement. La difficulté ne se situe pas dans la cause, la fréquence et la multiplicité des réformes, mais dans la « difficulté à assumer » ces changements, et non pas de la part des personnels de l’Éducation nationale, non, mais de la part des « élèves et les familles moins favorisées » ! Autrement dit, les victimes sont responsables.
Les contes de la Cour des comptes
Ainsi, le rapport formule des critiques du fonctionnement de l’État et formule des recommandations en vue d’améliorer son efficacité. C’est bien le rôle de la Cour des comptes. Mais le raisonnement dit tout autre chose et consiste à dédouaner l’État de toute responsabilité dans son fonctionnement même.
En effet, quelles sont les trois recommandations de la Cour des comptes :
- La formation initiale des enseignants
- L’emploi du temps des PP
- L’expérimentation du lycée rassemblant les trois voies
Les deux premières concernent l’amélioration de la capacité à agir des enseignants, interprétant ainsi l’orientation comme un accompagnement des élèves par les enseignants.
La troisième, une expérimentation, est uniquement une réforme de la forme de l’offre de formation, qui dépend en grande partie des régions et non de l’Éducation nationale. Les trois filières sont maintenues et aucune interrogation n’est formulée sur la manière dont la répartition des élèves se fait.
Curieusement, des comparaisons avec d’autres pays ont été présentées, mais aucune à propos des modalités de circulation des élèves dans le système, organisées chez nous notamment par les procédures d’orientation et d’affectation.
Ainsi, ce rapport, comme bien d’autres avant lui, considère les procédures d’orientation comme des données normales, naturelles du fonctionnement de notre institution.
Et l’éléphant[7] est toujours là !
Bernard Desclaux
Article publié sur le site : Le blog de Bernard Desclaux » Blog Archive » Ce que raconte la Cour des comptes
[1] Cour des comptes. (19 mars 2025). LES POLITIQUES PUBLIQUES EN FAVEUR DES JEUNES. https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-rapport-public-annuel-2025
[2] Cour des Comptes. (19 mars 2025). L’orientation au collège et au lycée https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-03/20250319-RPA2025-volume1-orientation-college-lycee.pdf
[3] « Les enjeux, individuels et collectifs, de l’orientation sont majeurs. Ils portent non seulement sur l’équité, afin de dépasser différents déterminismes, sociaux, de genre, de territoires, mais aussi, au plan économique, sur la réponse aux besoins de compétences du marché de l’emploi et de la société en général. »
[4] France Stratégie, Poids du destin : force des héritages et parcours-scolaires, septembre 2023. https://www.strategie.gouv.fr/publications/poids-heritages-parcours-scolaires (cité par la CC)
[5] En 2022 : 34,2 % de demandes, 36,7 % de décisions pour la voie professionnelle, bac pro et CAP. (cité par la CC)
[6] Réussir l’inclusion économique des NEETS 2021, CESER Pays de la Loire, décrochage 2023. Enquête réalisée par la fondation AlphaOmega auprès de 2 100 jeunes de 16 à 18 ans (janvier 2023) qui ont rompu leur parcours scolaire ; Pierre Cahuc « Quelles politiques pour l’emploi des jeunes ? », 2023. (cité par la CC)
[7] Desclaux, B. (2 janvier 2025). Comment faire disparaître un éléphant ? https://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2025/01/02/comment-faire-disparaitre-un-elephant/