Imprimer cette page
Article initialement publié par Julia Gualtieri sur Digital Society Forum
« Quelle est la probabilité pour que mes étudiants aient déjà tapé sur Wikipédia le sujet de mon cours ? » se demande Michel Serres avant chaque amphi. Cette question, confiée lors d’un entretien à Libération en juin 2013, résume le bouleversement introduit par le numérique dans la relation entre le professeur et l’étudiant : le maître a perdu le monopole du savoir.
À l’ère du numérique, l’étudiant ne dépend plus de son professeur pour trouver des informations et accéder au savoir. Il bénéficie de sources très diverses, accessibles en quelques clics, quel que soit le sujet : encyclopédies en ligne, blogs de spécialistes, vidéos explicatives, etc. Autant de ressources qui lui permettent aussi d’être plus actif : il accède à des points de vue contraires et peut discuter l’enseignement qu’il reçoit. Comme le dit Michel Serres, la « présomption d’incompétence » qui prévalait jusque-là à l’égard des étudiants, doit aujourd’hui être remplacée par une « présomption de compétence ». 
 
Les savoirs et les compétences
 
Les répercussions de ce bouleversement ébranlent considérablement la fonction transmissive de l’enseignant, jusque-là centrale, et avec elle, les fondements de toute la pédagogie traditionnelle. Dépourvue de ce rôle de transmetteur, la fonction de l’enseignant se voit contrainte à se polariser sur l’accompagnement des étudiants : leSage on the stage devient un Guide on the side. Si la posture est peu nouvelle, elle est aujourd’hui indispensable : en effet, le numérique permet d’accéder aux savoirs, mais pas de les manipuler intelligemment. Le professeur devient alors l’élément essentiel à la création d’une culture numérique. Ainsi, selon George Siemens, la pédagogie traditionnelle des « savoirs » et des « savoir-faire » doit être complétée par le « savoir-où » (trouver les sources) et le « savoir-quand » (mobiliser ces sources). Pour être pertinent, le travail de l’enseignant doit donc consister à apprendre aux élèves à trouver, sélectionner et comprendre les informations et les ressources disponibles, à développer chez eux le raisonnement et l’analyse, le jugement et l’esprit critique. Reprenant une métaphore de Michel Fabre, Marcel Lebrun, professeur à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation de l’UCL de Louvain, résume : « il faut passer d’une culture de la carte à une culture de la boussole ». D’autant plus que les élèves devront, dans leur vie professionnelle, manipuler des savoirs encore inconnus et être capable de manipuler ces nouveaux savoirs tout au long de leur vie.
 
De la classe inversée...
 
Avec le numérique et la prédominance de l’enseignant comme guide, on assiste au retour en force de la pédagogie active, inversée et collaborative, qui place l’étudiant au cœur de l’enseignement. Comme l’explique Marcel Lebrun, l’enseignant est un accompagnateur ; il ne s’adresse plus à des élèves passifs et doit par conséquent repenser une pédagogie qui permette leur implication. Selon lui, cette nouvelle pédagogie s’organise de façon exactement inverse à ce qui prévalait dans l’enseignement traditionnel. En effet, dans les flipped classroom telles qu’il les théorise, la partie transmissive se fait à la maison grâce aux ressources en ligne choisies et créées par les enseignants tandis que les devoirs se font en classe. Les devoirs ne sont donc plus postérieurs mais antérieurs à la classe, qui est alors réservée à la discussion et à la résolution de situations problématiques. L’organisation scolaire s’en trouve complètement renversée : l’élève n’est plus actif chez lui mais en cours, et il n’est plus actif seul mais en groupe. Le changement est fondamental : parallèlement à ses propres connaissances, le professeur prend en compte celles des apprenants – qu’elles soient « trouvées », c’est-à-dire issues d’une activité de recherche préalable ou qu’elles soient « construites », c’est-à-dire issues d’une activité de production pendant le cours. Or, les ressources numériques favorisent grandement l’interactivité entre les élèves et les informations mais également la création de ressources interactives.
 
…à l’inversion des rôles
 
Fondée sur la notion de production, proche du « chef-d’œuvre » qui évaluait l’apprentissage d’un artisan, la pédagogie inversée développe chez les étudiants des compétences proches de celles de l’enseignant. La classe à l’ère numérique tend ainsi à mettre l’élève et l’enseignant sur un pied d’égalité, sinon à rendre leurs rôles interchangeables. Et si le professeur consent à tenir ce rôle d’accompagnateur de réflexion et d’éducateur au numérique, sa place dans l’éducation ne peut être pour l’instant ni concurrencée ni remplacée par l’ordinateur. Il reste ainsi le concepteur, le référent et l’évaluateur. En revanche, c’est à ses apprenants que le professeur délivre en partie ses attributions : participation aux contenus des cours, invitation à évaluer les travaux produits par les groupes de travail ou encore réflexion sur les activités et les méthodes elles-mêmes pour interroger l’éducation et la pédagogie. Professeurs à leur tour pendant leur formation, les apprenants peuvent ainsi développer les compétences nécessaires pour maîtriser l’autodidaxie, c’est-à-dire pour se former eux-mêmes tout au long de leur vie mais aussi mettre ces compétences pédagogiques au service des autres via le numérique et le développement de la peeragogie
 
D’autres articles sur ce thème
 
Photo Credit : woodleywonderworks via Compfight cc
Dernière modification le jeudi, 16 octobre 2014
An@é

L’association An@é, fondée en 1996, à l’initiative de la création d’Educavox en 2010, en assure de manière bénévole la veille et la ligne éditoriale, publie articles et reportages, crée des événements, valorise les innovations, alimente des débats avec les différents acteurs de l’éducation sur l’évolution des pratiques éducatives, sociales et culturelles à l’ère du numérique. Educavox est un média contributif. Nous contacter.