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Ne pas se faire pigeonner pour… un siècle ! - En général, on fait une réforme de la formation des enseignants tous les vingt ans (sauf quand Sarko décide n’importe quoi…) pour des profs qui enseignent quarante ans, à des élèves qui bossent quarante ans. Faites le total : la société en prend pour un siècle ! Il serait donc fou de bâcler une nouvelle fois la mère de toutes les réformes de l’éducation : celle de la formation initiale et continue des enseignants.
Et pourtant, en plaçant les concours de recrutement au cours de l’année de Master 1, le ministre risque de tuer dans l’œuf nombre de progrès possibles. Pour faire simple, le dispositif annoncé reviendrait à la situation « anté-Sarko », mais en pire, car la cinquième année - où avant se jouait l’essentiel de la formation professionnelle -, serait désormais « bouffée » par les contraintes du master. Pourtant cette situation était très loin d’être satisfaisante. En gros, un enseignant avait moins de formation professionnelle qu’un gardien de la paix.
 
 
Je ne suis surtout pas un fanatique de poser la question de la place des concours comme le préalable à la réflexion sur une réforme. En ce domaine, ma préférence va très nettement à la création de multiples voies de recrutement, avec une filière « A » archi-dominante : admissibilité à la fin de la licence, faisant fonction de sélection pour des pré-recrutements rémunérés correctement et admission à la fin du master 2. Une voie « B » (minoritaire) pour les étudiants avec admissibilité et admission en master 2 et une voie « C » interne, pour résorber le volant des précaires, qui enseignent depuis plusieurs années. A noter que cette voie « C » devrait être quantitativement assez importante, tant que nombre le nombre de jeunes contractuels le justifiera.
 
 
L’évaluation pilotant toujours la formation, je situe plutôt comme préalable la réforme des concours.
 
Seuls des concours radicalement rénovés seront capables de contraindre l’Université à évoluer ; Université souvent en difficulté, voire quasi dilettante, vis-à-vis de la formation des maîtres. Sans entrer dans les détails, je propose que dès l’admissibilité (donc en licence 3 pour la voie « A »), une part significative des épreuves évalue des compétences préprofessionnelles. Pour cela, nul n’est besoin de mettre les candidats face à des élèves réels. Le film « Enseigner peut s’apprendre ! » montre un exemple possible de ce type d’épreuve. Il en existe d’autres. De même, les épreuves de l’admission devraient s’appuyer sur les thématiques et les exigences du master. Les besoins en recherche sur l’enseignement (activité du prof) et l’apprentissage (activité des élèves) sont si vastes, que nous avons des années devant nous de questions concrètes et fortes à mettre sous les dents des candidats au professorat.
 
 
Je passe sur les changements des systèmes de recrutements des formateurs de formateurs et de valorisations des carrières universitaires qu’implique cette stratégie. Je passe sur les coûts budgétaires des pré-recrutements. C’est un peu cher, mais ça peut rapporter gros… et puis on bâtit pour un siècle. Je passe sur la peur d’engager des étudiants dans des impasses en cas d’échec à des concours situés en fin de M2. Si des études à bac plus cinq sont réellement universitaires - au sens fort du terme -, la question de leurs débouchés professionnels ne se pose pas autrement qu’elle n’est posée à d’autres masters. Toute formation universitaire conjugue des objectifs utilitaires plus ou moins directs – former à un ou à des métier(s) – et des objectifs culturels, préparant à l’imprévisible et aux nécessaire changements d’un monde qui bouge. Se former dans de bonnes conditions à devenir enseignant et… échouer aux concours, n’est ni pire, ni meilleur, pour trouver un autre métier plus tard, que la maîtrise des matrices à N dimensions en math ou l’analyse d’œuvres littéraires classiques en lettres.
 
J’attire l’attention de ceux qui n’arrivent pas à admettre les arguments développés plus haut, que le système de formation des enseignants, qui semble se dessiner, va très certainement aboutir, dans la réalité, à une préparation en six (voire sept) années plus une ; celle de la stagiarisation, une fois le concours réussi. En effet, même sans échec au cours de la licence, il faudra sans doute deux ans pour réussir l’admissibilité et l’admission dans l’année de M1. En M2, il en faudra peut-être autant pour réussir un master de qualité, tout en travaillant à temps partiel en établissement scolaire, le tout en continuant à se former au métier d’enseignant.
 
 
Le plus important est que l’ensemble du dispositif de formation - depuis l’année de licence 1 jusqu’à la fin de la formation en Master 2, voire lors de l’année de stagiarisation - soit construit comme une formation intégrée, où le disciplinaire et le professionnel soient fortement imbriqués. Pour faire simple, disons que quand les étudiants approfondissent des savoirs, ils travaillent en même temps les conditions didactiques, pédagogiques, anthropologiques, etc. pour transmettre ces savoirs. Notons qu’en préalable, il faudrait déjà aménager les maquettes des licences, pour que celles-ci intègrent, au moins, les notions, qui sont au programme des écoles, des collèges et des lycées ; ce qui est loin d’être le cas dans de nombreuses disciplines. Evidemment, cette formation intégrée doit être nourrie par des apports pluridisciplinaires, comme dans tous les métiers de l’humain, où vont se télescoper des regards psychologiques, sociologiques, historiques, du travail en équipe, de la prise de recul sur soi, etc.
 
 
Ensuite, une formation professionnelle intégrée est nécessairement une formation en alternance interactive. Ici, les difficultés actuelles peuvent parfois se muer en tremplins de progrès. Ainsi, les besoins énormes en formation continue constituent une opportunité à saisir. Non pas pour remplacer, par des stagiaires lâchés en responsabilité totale face aux élèves, les enseignants en postes qui partiront se former. Mais bien pour inventer un dispositif mettant en synergie formation initiale et formation continue. Comment mieux « réveiller » les enseignants que de proposer à la plupart d’entre eux de devenir conseillers pédagogiques, avec, évidemment, tous les étayages nécessaires de la part des Universités, des EPSE et même des corps d’inspection, voire des mouvements pédagogiques et/ou syndicaux ?
 
 
Certes, les universités ne sont pas prêtes à entrer dans un tel jeu du jour au lendemain. Avec le préalable, posé par le Président de la République, de créer des EPSE, nous buttons sur la question des structures. Autrement dit, comment traduire sur le terrain l’abandon du modèle successif qui existait avant Sarko : trois ans de formation disciplinaire, un an de bachotage des concours, un an (à temps partiel) de formation dite professionnelle ? Comment, aujourd’hui, inventer un dispositif permettant une véritable formation intégrée ? Comment partir de l’éclatement de la situation actuelle où pas une académie, ni une université, ni un IUFM, ne propose les mêmes dispositifs ?
 
 
Sans être angélique sur les enjeux de territoires et de personnes, plutôt que de s’empailler, de façon quasi corporative, pour savoir ce que vont devenir les moyens et les personnels des IUFM, il y a sans doute à inventer à partir de l’existant. Là où une UFR s’est fortement impliquée dans la formation des enseignants de ses champs disciplinaires et, surtout, si les résultats sont là, l’EPSE de l’académie peut se contenter de l’accompagner et de la mettre en relations avec d’autres UFR. Là, où rien n’existe ou presque dans les UFR disciplinaires - ce qui semble la majorité des cas -, alors les EPSE devront nécessairement combler ce vide dans un premier temps… tout en poussant les universités à mettre en place une formation intégrée progressive dès le début de la licence. Il sera alors toujours temps de modifier les structures si, un jour, cette UFR devient performante, aussi, sur la formation des enseignants.
Sans oublier la nécessaire création d’UFR pluridisciplinaires pour la préparation au professorat des écoles, ainsi qu’à de… nombreux autres métiers.
 
 
Mais, là encore, tout se jouera dans la professionnalisation réelle (ou pas) des concours de recrutements ; ce qui ne coute pas très cher et nécessite simplement du courage politique. Ne considérons donc pas que tout est plié, même si le ministre le dit. Portons la question devant l’ensemble des personnels concernés et devant l’opinion publique. L’enjeu est si important qu’il me parait impensable que notre pays se fasse pigeonner pour… un siècle.
 
 
Jean Paul Julliand
Julliand Jean Paul

Professeur retraité