La très complexe appréciation de la valeur d’un collège ou d’un lycée :
La valeur d’un collège ou d’un lycée est une réalité très complexe. A priori, pour la mesurer, il est possible de se référer aux taux de réussite aux examens du brevet et du baccalauréat, qui se présentent aux élèves à la fin de chacun de ces deux cycles d’études secondaires. Pour compléter cet indicateur, on ajoute celui des mentions (très-bien, bien et assez-bien) que les candidats reçus se voient attribuées par les jurys. Pendant longtemps, on a considéré que ces deux indicateurs de performance étaient pertinents et suffisants. Cependant, en 1993, le MEN se mit à réaliser chaque année une vaste étude nationale permettant de mesurer ce que vaut un lycée, et de faire des comparaisons entre établissements. En 2023, on ajouta les collèges. Dans les deux cas, on considéra que ces indicateurs basés uniquement sur les taux constatés de réussite et les mentions sont de moins en moins pertinents, et ce pour deux raisons principales :
- Il y a d’abord le fait que ces taux de réussite augmentent de plus en plus chaque année, de même que les taux des mentions accordées aux élèves reçus. Ainsi, concernant les lycées, le taux de réussite aux baccalauréats de la session 1993, l’année de la première publication de l’enquête nationale sur la valeur des lycées, fut de 79%, alors que pour la session de 2024, il était de 91,4%. On observe la même tendance pour les mentions. Dès lors, il est de plus en plus difficile de se contenter de ces deux indicateurs pour mesurer la valeur de chaque établissement, et de faire des comparaisons fiables.
- En outre, il a bien fallu tenir compte des nombreux travaux de sociologues français et étrangers qui ont mis en lumière le fait que les taux de réussite aux examens de fin de cycle dépendent fortement de divers facteurs externes à l’établissement , tels le contexte familial, le territoire sur lequel est installé l’établissement, la catégorie socio-professionnelle des parents d’élèves, le niveau scolaire des élèves recrutés dans chaque collège et lycée… Ce phénomène fut démontré par le sociologue Pierre Bourdieu qui, dans un livre datant de 1970, dont le titre est « Les Héritiers », mit en lumière le fait que les enfants appartenant à des catégories socio-professionnelles (CSP) élevées, telles les professions intellectuelles supérieures, dirigeants d’entreprises, cadres supérieurs et ingénieurs, hauts fonctionnaires … bénéficient d’un « capital culturel » qui fait majoritairement défaut aux enfants des CSP du bas de la hiérarchie sociale (personnes non qualifiées, petits paysans, ouvriers, employés…). Or, les enfants porteurs de « capital culturel » réussissent mieux leurs études que ceux qui n’en bénéficient pas ou moins. Il en résulte que si on veut procéder équitablement à des comparaisons entre établissements scolaires, il ne faut pas se contenter de fonder ce travail comparatif sur les seuls résultats bruts observés aux examens finaux. On doit aussi s’efforcer de le faire en usant d’indicateurs qui tiennent compte de ce qu’un collège ou lycée ajoute (ou retire) par son action propre, au niveau initial des élèves qu’il recrute. C’est ce qui a conduit à se fonder sur des « indicateurs de valeur ajoutée» (IVA), qui mesurent la différence qui existe entre les résultats bruts obtenus aux examens du brevet et du baccalauréat, et les résultats « attendus » compte tenu des caractéristiques scolaires et socio-économiques des élèves. Idem pour les taux de mention.
Les indicateurs actuellement pris en compte pour le calcul des IVAC et des IVAL :
Pour chaque collège, les indicateurs utilisés actuellement sont les suivants :
- Le taux brut de réussite au diplôme national du brevet (DNB) : taux attendu/taux constaté)
- La note moyenne obtenue aux épreuves écrites du DNB par les élèves de l’établissement
- Le taux d’accès de la sixième à la troisième : c’est la part des élèves de sixième qui ont poursuivi leur scolarité jusqu’en troisième dans le même établissement. C’est un indicateur de la capacité de l’établissement à fidéliser son public d’élèves
- La part des élèves qui se sont présentés au DNB parmi les élèves de troisième scolarisés dans l’établissement
- Pour chacun de ces indicateurs, on ajoute les taux attendus
Pour chaque lycée, les indicateurs utilisés sont les suivants
- Le taux brut (on dit parfois « observé») de réussite au baccalauréat. Les chiffres sont établis pour l’ensemble des élèves de l’établissement qui se présentent aux épreuves de cet examen, mais aussi par série (par exemple : baccalauréat général et baccalauréat STMG).
- Les taux attendus de réussite au baccalauréat
- Les taux de mentions bruts (ou observés) au baccalauréat : c’est la part des bacheliers reçus au baccalauréat avec mention (en additionnant les mentions assez-bien, bien et très-bien)
- Les taux de mention observés aux baccalauréats
- Les taux d’accès observés de la seconde, de la première et de la terminale au baccalauréat : il s’agit de la probabilité qu’un élève de seconde, première et terminale obtienne le baccalauréat au terme d’une scolarité entièrement effectuée dans l’établissement. C’est donc un indicateur de la capacité d’un établissement à fidéliser son public d’élève jusqu’à l’issue du cycle de formation.
- Le taux d’accès attendu de la seconde, de la première et de la terminale au baccalauréat.
A quoi servent les indicateurs de résultats ?
Outre qu’ils sont des instruments de pilotage des établissements mis au service des équipes de direction et des autorités académiques et nationales, ils constituent un ensemble d’informations dont les familles peuvent se servir pour bien choisir leur collège ou lycée, et mieux accompagner la scolarité de leur(s) enfant(s). Ils permettent de classer les établissements scolaires en cinq catégories :
- Les établissements performants sont ceux dont les indicateurs de valeur ajoutée sont positifs
- Les établissements neutres sont ceux dont les valeurs ajoutées aux taux observés sont égales ou comprises entre -2 et + 2
- Les établissements accompagnateurs sont ceux pour lesquels les valeurs ajoutées aux taux observés sont négatives (on dit parfois « valeur retirée »)
- Les établissements sélectifs sont ceux qui présentent une valeur ajoutée supérieure à + 2
- Les établissements « en deçà des attentes » sont ceux dont les indicateurs de valeur ajoutée (ou retirée) sont inférieurs à – 2
Méthodologie de la valeur ajoutée (ou retirée) d’un collège ou lycée ?
Pour chaque collège et lycée, on peut calculer le pourcentage de la population des élèves de l’établissement qui se sont présentés à l’examen et l’ont réussi, et faire de même pour ceux qui obtiennent une mention, ainsi que pour le taux d’accès au baccalauréat ou au brevet. C’est ce que l‘on nomme « taux constaté (ou brut) de réussite » au brevet ou au baccalauréat .Pour des raisons présentées dans les lignes précédentes, il a cependant été décidé d’ajouter à chacun de ces indicateurs ceux qui mettent en lumière les « taux attendus », et donc de mieux prendre en compte les apports propres à l’établissement scolaire, ce qui donne plus de sens aux comparaisons entre établissements scolaires d’une même catégorie. La « valeur ajoutée » (ou « retirée ») est donc l’écart qui existe entre le taux observé (brut) et le taux attendu. Elle évalue l’apport propre du collège ou du lycée et vient compléter les indicateurs observés en ce sens qu’elle permet de comparer les établissements en prenant en compte leurs capacités à accompagner leurs élèves à la réussite au brevet ou au baccalauréat à compter de leur entrée dans le collège ou lycée.
Pour obtenir les « taux attendus » on calcule par voie électronique le taux national moyen de réussite et de mentions obtenus par les élèves formés dans des établissements comparables, donc ont des populations scolaires caractérisées par les mêmes catégories socio-professionnelles d’appartenance des élèves, même part de filles, même âge au moment où se déroulent les épreuves de l’examen, même niveau des acquis scolaires à l’entrée dans l’établissement, etc). Comme il est écrit dans le numéro 5 du « Courrier des statistiques » de l’INSEE, daté de 2020, « comparer tels quels les taux bruts de deux lycées (ou collèges), sans tenir compte des caractéristiques de leurs élèves, conduirait à une analyse faussée ». Cette méthode de calcul de la « valeur ajoutée (ou « retirée ») permet une comparaison de la valeur observée (brute) beaucoup plus juste, parce que reposant sur ce que chaque établissement apporte à ses élèves.
Deux collèges à comparer : lequel est le « meilleur » ?
Considérons deux collèges localisés dans la même ville. Le collège A est installé dans le centre urbain et recrute principalement des élèves appartenant à des catégories socio-professionnelles supérieures (cadres supérieurs, ingénieurs, professions intellectuelles, chefs d’entreprises…), ayant pour beaucoup d’entre eux plutôt bien réussi leurs études primaires. Le collège B est localisé en zone périphérique, et recrute majoritairement ses élèves dans des familles qui exercent des professions positionnées au bas de la hiérarchie socio-professionnelle (personnes non qualifiées, ouvriers, employés de bureau, diverses professions dites intermédiaires, petits commerçants, artisans …). Les taux de réussite observés (bruts) en 2025 à l’examen du brevet sont respectivement 96% et 86%, et les taux de mentions 76% et 81%.
A première vue, il semble évident que le collège A est nettement plus performant que l’autre. Cependant, si on veut bien tenir compte, en plus de cet indicateur, de celui qui concerne les taux attendus compte tenu des catégories socio-professionnelles des élèves de chaque établissement, on constate que le collège A , dont le taux de réussite attendu est de 98%, est caractérisé par une moins-value de 2%, alors que le collège B, avec son taux de réussite attendu de 71%, affiche une plus-value de 15%. Le collège B, malgré des résultats bruts moins importants, semble plus adapté aux besoins de certains élèves, tout particulièrement de ceux qui connaissent des difficultés de réussite. C’est typique d’un bon établissement accompagnateur. Par contre, pour des élèves qui réussissent aisément, il est clair que le bon collège est le collège A.
Des améliorations de ces outils sont souhaitables et possibles :
Parmi les IVAL, le taux d’accès de la seconde à la classe terminale présente l’inconvénient de ne pas faire de différence selon les filières qui se présentent au choix des familles à l’issue de la classe de seconde générale et technologique (seconde GT). A l’issue de cette classe, les élèves ont la possibilité de choisir de s’orienter vers le baccalauréat général mais aussi vers une filière technologique (STMG, STI2D, ST2S, STL, STD2A, etc.), voire, plus exceptionnellement, de se réorienter vers la voie professionnelle. De ce fait, les lycées qui disposent d’une large offre de filières ont une plus grande probabilité de voir leurs élèves sortant de seconde GT passer en première dans le même établissement, et pourront plus aisément afficher un « taux d’accès observé de la seconde au baccalauréat » élevé.
Autre indicateur posant problème, aussi bien en collège qu’en lycée : celui du taux de mentions obtenues à l’examen du brevet ou du baccalauréat. Cet indicateur amalgame les mentions assez-bien, bien et très-bien. Or, du fait de l’accroissement de plus en plus fort des taux de réussite nationaux à ces examens et des mentions délivrées (alors qu’en 2001, 78% des candidats au baccalauréat ont réussi, parmi lesquels 25% avec une mention AB, B ou TB, en 2024 ils furent respectivement 91% à réussir, dont 57% avec mention), cet indicateur est de moins en moins significatif d’une différence de valeur entre les lycées. Il en va de même avec le brevet. C’est pourquoi il semble qu’il serait plus pertinent de ne calculer ce taux que sur la base des mentions bien et très bien, voire la seule mention très-bien.
Mais surtout, on peut s’étonner de constater qu’il n’existe pour cette étude aucun indicateur des taux de réussite au baccalauréat des collégiens entrés en lycée, ni aucun indicateur de la part des bacheliers entrés dans l’enseignement supérieur qui parviennent à se doter d’un diplôme de l’enseignement supérieur de niveau bac + 2/3 (licence générale ou professionnelle, bachelor universitaire de technologie, autres bachelors, DECF, DMA, BTS, écoles professionnelles en deux ou trois ans …).
On a choisi de limiter le champ de l’évaluation de la valeur des établissements scolaires aux seules données relatives aux activités du cycle collège ou lycée, ce qui est très réducteur et affaiblit la portée des analyses comparatives ainsi faites. Il nous semble donc nécessaire d’ajouter aux indicateurs de valeur actuellement existants, deux indicateurs supplémentaires qui pourraient être « le taux d’accès observé à un diplôme de l’enseignement supérieur de niveau baccalauréat + 2/3 ans », et « le taux d’accès attendu à un diplôme de l’enseignement supérieur de niveau baccalauréat + 2/3 ans ».
Conclusion :
Dans une interview accordée au journal Libération, le 1er avril 2015, Catherine Moissan, Inspectrice Générale en charge de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) au MEN, déclarait que « ces indicateurs (de valeur ajoutée) permettent d’éviter de classer les lycées (et collèges) en fonction du simple taux de réussite à l’examen final » (…). De nombreux autres facteurs ont un impact sur les résultats obtenus par les élèves aux examens ». Même en élargissant le champ de vision porté sur la très complexe question de la valeur d’un collège ou d’un lycée, en créant des indicateurs complémentaires tels que nous vous les avons présentés dans les lignes précédentes, les données disponibles n’ont qu’une portée limitée. C’est la raison pour laquelle on se garde bien, en haut lieu, d’utiliser les mots « palmarès » et « classement » pour présenter ou commenter les résultats de chaque étude de ce type.
En publiant de telles données, le MEN reconnait que tous les collèges et lycées n’ont pas la même valeur, mais nie qu’elles puissent servir de fondement à l’établissement de classements ou palmarès de ces établissements scolaires.
Force est de constater que la presse n’a pas les mêmes pudeurs restrictives : chaque année, au moment de la publication officielle des IVAC et IVAL, un très grand nombre d’articles sont publiés par la presse nationale et régionale, en utilisant ces données pour présenter un classement des collèges et lycées. Le but principal est évidemment de ne pas passer à côté d’une possibilité d’intéresser un vaste lectorat, au risque de donner le sentiment que les écarts de valeur qui caractérisent les établissements scolaires sont en grande partie dus à des différences qualitatives entre équipes pédagogiques et administratives.
Or, une telle façon d’expliquer les écarts de valeur observée est profondément injuste, la valeur d’un établissement scolaire étant une réalité très complexe qui ne se réduit pas à une simple observation des taux de réussite aux examens finaux. Il faut aussi tenir compte de diverses réalités socio-économiques et démographiques telles que la catégorie sociale d’appartenance des élèves recrutés, leur niveau scolaire au moment de leur entrée dans l’établissement, la proportion des filles (dont il convient de rappeler qu’elles réussissent en moyenne mieux leurs études secondaires que les garçons), le lieu d’implantation de l’établissement scolaire, etc.
Bruno MAGLIULO
Inspecteur d’académie honoraire
Docteur en sociologie de l’éducation
Agrégé de sciences économiques et sociales
Diplômé de SKEMA Business School
Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions L’Opportun : www.editionsopportun.com) :
SOS Parcoursup
Les 50 questions à vous poser absolument avant de choisir votre orientation
Parcoursup, je gère !
Quelles études supérieures sont (vraiment) faites pour vous ?
Quelles études pour quel métier ? (avec tests d’orientation)
Et, aux éditions Fabert (www.fabert.com) :
Les grandes écoles
Dernière modification le samedi, 19 avril 2025