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Un nouvel article de la série Que dit la recherche ? vient d’être publié sur la plateforme de l’Agence des usages. Il s’agit de l’article « Pourquoi utiliser des templates de création de jeu vidéo en classe » de Catherine Rolland de la chaire Science et jeu vidéo, Ecole Polytechnique. Face aux enjeux grandissants pour engager les élèves dans les apprentissages, les méthodes d’enseignement se sont diversifiées, intégrant de nouvelles activités capables de mobiliser efficacement des compétences disciplinaires et transversales, et motiver les élèves, comme la création de jeu vidéo. Cet article de la série « QDLR » présente pourquoi et comment concevoir des templates de jeux adaptés pour faciliter la prise en main des outils de création en classe mais aussi la tenue et le suivi de tels ateliers.

L’activité de création de jeu vidéo en classe est étudiée depuis les années 2000 (Earp, 2015). L’analyse comparative de la littérature montre que, réalisée en élémentaire, au collège ou au lycée, elle permet de travailler des compétences informatiques, disciplinaires mais aussi transverses, comme la collaboration ou la créativité (Burke et Kafai, 2014), et rend les élèves acteurs de leurs apprentissages (Costa et al., 2018).

Pourtant la tenue d’ateliers est fortement limitée dans le cadre scolaire. Parmi les freins figurent la méconnaissance du jeu vidéo et de ses phases de production, l’absence de lien visible avec les référentiels de compétences, mais aussi le manque d’outils adaptés au contexte classe facilitant la prise en main, le cadrage et l’évaluation.

 Face à ce constat, comment rendre lisible pour des enseignants de différentes disciplines le lien entre les compétences travaillées et l’activité de création de jeu vidéo ? Peut-on s’appuyer sur les méthodes de production et logiciels issus du jeu vidéo pour faciliter la mise en place, le suivi et l’évaluation de l’activité ? Comment adapter ces outils et méthodologies au contexte classe ?

Pour aborder ces questions le GTnum #CreaJV s’est appuyé sur la recherche et a élaboré et expérimenté des templates, c’est-à-dire des structures de jeux spécifiquement conçues pour être faciles à prendre en main et modifiables selon les objectifs d’apprentissage souhaités.  

Conceptions d'outils

L’activité de création de jeu vidéo en classe est étudiée dans la recherche sous le nom de « game development based learning » (GDBL). En mettant les élèves en position de créateurs et en les engageant dans un apprentissage motivant, le GDBL s’appuie sur des éléments issus de théories pédagogiques : dimensions personnelles, sociales et culturelles de l’apprentissage constructiviste (Burke et Kafai, 2014), « problem based learning » (Barrows, 1986), ou encore « hard fun » (Papert, 1996). Dans ce cadre, la création d’un jeu est décomposée en une série de tâches qui nécessitent de mobiliser des compétences disciplinaires mais aussi transversales, comme la créativité, la résolution de problèmes ou la collaboration.     

Le design du jeu commence par la définition de ses éléments constitutifs : les règles, les mécaniques et l’articulation de celles-ci (Sylvester, 2013). Un rôle est attribué à chaque élève, la production est découpée en tâches qui sont réalisées, testées et agrégées de manière à construire un jeu s’enrichissant au fur et à mesure. L’outil de création choisi influence l’organisation de la production et des apprentissages.

Pour concevoir un outil de création capable de rendre lisible le lien entre les référentiels de compétences existants et les tâches de production selon le système GDBL, le GTnum CreaJV a suivi les méthodologies des EIAH (études des environnements informatiques pour l’apprentissage humain) qui facilitent la conception d’outils adaptés à diverses situations pédagogiques et intégrant le suivi de traces de l’activité des apprenants. Cela a permis de poser un modèle sur lequel baser la structure des jeux.

À titre d’illustration de ce modèle, la figure 1, ci-dessous, montre les compétences mobilisées lors de l’intégration de personnages dans le jeu : il faut a minima intégrer une image par personnage et programmer le déplacement de celui qui sera contrôlé par le joueur. Ces tâches sont en lien direct avec des tâches d’apprentissage, des connaissances et des compétences mentionnées dans les programmes scolaires.

 

Fig. 1 – Modèle de relation entre tâche d’apprentissage et tâche de production appliqué à l’intégration des personnages

Des structures de templates, jeux préétablis adaptables proposant une prise en main simplifiée, ont été conçus selon ce modèle pour permettre aux enseignants de toutes disciplines ainsi qu’aux élèves, du primaire au BTS, de produire des jeux dans des temps contraints et sans connaissance préalable des logiciels utilisés (moteurs de jeu)

Utilisabilité des outils

Pour devenir un instrument utilisable en classe, il faut que la structure du template permette de faire des choix selon les objectifs, le périmètre de l’atelier et le modèle de référentiel choisi. Ces choix doivent pouvoir se faire directement dans l’interface de l’outil. Cette structure doit être compatible avec le découpage par tâches, c’est-à-dire qu’elle doit permettre d’isoler chaque segment pour le rendre modifiable de manière indépendante. L’état de base du jeu doit être fonctionnel pour garantir une expérience de jeu cohérente, qu’il y ait ou non modification de certaines parties. 

Pour mettre en place et expérimenter l’usage de tels templates, un processus de recherche itératif (Wang et Hannafin, 2005) basé sur des tests techniques et les retours des acteurs terrain a été suivi2. Deux structures modulaires ont ainsi été élaborées :

  • un jeu de type « escape room » comportant des tâches variées (rédaction, programmation, création visuelle et sonore) mais qui n’est pas personnalisable par l’enseignant (fig. 2) ;
 

Fig 2. Template du jeu « escape room »

  •  Un jeu de type « plateforme » proposant de réaliser les mêmes tâches mais qui est personnalisable, c’est-à-dire qui propose une interface où l’enseignant peut choisir les tâches qu’il veut faire réaliser par les élèves (fig. 3). Celles qui ne seraient pas choisies sont remplies par défaut.
 

Fig. 3. Template du jeu de « plateforme »

Dans les deux cas, les jeux, une fois les parties complétées par les élèves, aboutissent à une expérience cohérente.

Expérimentation en classe

Pour évaluer l’impact de l’usage des templates, des expérimentations ont été menées en sessions uniques de 2 heures auprès de 17 classes de seconde de l’académie de Versailles, partenaire du GTnum #CreaJV. Les conditions d’expérimentation et outils d’évaluation ont été définis de manière à suivre la mobilisation des compétences, la prise en main des outils et la motivation des participants, soit 14 enseignants et près de 300 élèves. L’analyse des données récoltées grâce aux questionnaires, grilles d’observation et jeux obtenus a montré que :

  • les tâches de production proposées sont bien en lien avec les tâches d’apprentissage visées ;
  • le template permet de simplifier la prise en main par les élèves et les enseignants ;
  • le cadre de créativité contraint n’est pas un frein à la motivation des élèves ;
  • le genre de jeu, base du template, influence les tâches réalisées, donc les apprentissages mobilisés. 

Pour compléter ces travaux les acteurs du GTnum #CreaJV ont développé et expérimenté d’autres templates conçus à partir de différents moteurs de jeux compatibles. 75 expérimentations ont ainsi été menées dans les académies partenaires, dans des ateliers de durées variables, dans des niveaux de classes allant de l’élémentaire au BTS et impliquant des enseignants de disciplines variées. Une base de ressources variée éprouvée a ainsi été initiée.

Conclusion

L’activité de game development based learning est pratiquée dans le monde entier depuis les années 1980 et fait l’objet de recherche depuis les années 2000. À l’origine utilisée pour développer des compétences disciplinaires, notamment dans le domaine des STEAM (science, technology, engineering, arts et mathematiques), elle a un fort impact pour les enseignants comme pour les élèves. Mais le GDBL reste une activité difficile à prendre en main car elle implique d’appréhender les bases du game design, d’adapter la stratégie de production et de prendre en main des outils qui peuvent rester complexes.

Avoir recours à un template facilite la mise en œuvre pour l’enseignant et offre un cadre motivant pour les élèves. La modularité des templates favorise leur appropriation par les enseignants qui maîtrisent mieux le suivi de l’activité. Reste à constituer une banque de templates plus diversifiés pour intégrer pleinement ce type d’activité dans la pratique pédagogique.

Recommandations

Pour être adapté au cadre scolaire le template doit :

  • être jouable et modifiable dans un temps contraint ;
  • être précodé pour être facile à prendre en main et permettre des modifications plus ou moins complexes afin de récompenser chaque progression de l’élève ;
  • proposer des tâches réalisables de manière non linéaire pour faciliter son appropriation ;
  • relier tâche de production et tâche d’apprentissage pour permettre de travailler et d’évaluer des compétences scolaires et transversales.

Pour se projeter dans la mise en place d’un atelier, l’enseignant doit :

  • tester différents templates de jeu pour se familiariser avec les tâches proposées ;
  • poser ses objectifs pédagogiques et la durée de l’atelier en fonction du template choisi ;
  • identifier les tâches à activer en fonction des objectifs choisis ;
  • identifier les indicateurs à suivre et poser sa grille d’évaluation ;
  • construire sa séquence pédagogique selon le temps alloué par tâche ;
  • inclure dans la séance de démarrage un temps de jeu (template de base et exemples) ;
  • attribuer des rôles aux élèves, par groupe ou individuellement selon leur niveau ;
  • suivre la dynamique des groupes et favoriser l’entraide intra comme intergroupes ;
  • prévoir une séance de restitution valorisant les productions des élèves.

Voir aussi

  • Le GTnum #CreaJV a produit un certain nombre de ressources et formations portées par les académies partenaires pour accompagner les premiers pas dans l’usage de ces templates : https://ateliercreationjeuvideo.fr

Bibliographie

  • Earp, J. (2015). Game Making for learning: A systematic Review of the Research Literature. Proceedings, 6426-6435. ICERI2015.
  • Burke, Q. et Kafai, Y.B. (2014). Decade of Game-making for learning: from tools to communities. Handbook of digital games, 689-709.
  • Kafai, Y. (2006). Playing and Making Games for Learning. Games and Culture, 1(1), 36-40.
  • Kafai, Y., Quinn, B. (2015). Constructionist Gaming: Understanding the Benefits of Making Games for Learning. Educational Psychologist, 50(4), 313-334.
  • Costa, C., Tyner, K., Henriques, S., Sousa, S. (2018). Game creation in youth media and information literacy education, International Journal of Game-Based Learning, 8(2), 1-13.
  • Barrows, H.S. (1986). A taxonomy of problem-based learning methods, Medical Education, 20(6), 481-486.
  • Papert, S. (1996). The connected Family: bridging the digital generation gap. Longstreet press.
  • Sylvester, T. (2013). Designing Games: A guide to engineering experiences, O’Reilly Media, inc.
  • Wang, F. et Hannafin, M. J. (2005). Design-based research and technology-enhanced learning environments, Educational technology Research and development, 53(4), 5-23.
Dernière modification le mercredi, 10 septembre 2025
Agence usages Canopé

Les usages du numérique éducatif : L'Agence nationale des usages du numérique éducatif est un site web de référence qui vise la compréhension des enjeux liés à l’évolution des pratiques professionnelles des enseignants dans un contexte numérique. Cette publication présente une veille sur les outils, ressources, services pédagogiques numériques pour l’Éducation, des résultats de la recherche internationale, des expériences d’utilisateurs dans la conduite des actions d’enseignement et d’apprentissage et une observation en continue des processus « usages » mis en œuvre dans le cycle de vie des projets technico-pédagogiques.

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