Le très influent Programme PISA « Program for International Student Assessment » est chargé par l’OCDE d’évaluer les performances des systèmes éducatifs de ses pays membres, mais également des nations non membres. Depuis le début des années 2000, le PISA publie tous les trois ans ses résultats, avec un classement par pays implacable, selon les performances observées dans trois disciplines : mathématiques, sciences et lectures. Le système éducatif finlandais s’est couvert de gloire en 2003 en emportant la première place générale, avant de céder graduellement du terrain dans les études ultérieures. Les résultats demeurent malgré tout brillants, avec lors de la dernière évaluation de 2012 une cinquième place mondiale en sciences, une sixième en lecture, et une douzième position en mathématiques [1].
Une confortable première place des nations européennes, loin devant les rivaux estoniens, polonais, allemands, hollandais ou encore suisses. Pour ce qui concerne la France, le constat est quelque peu pénible, de l’aveu même du ministre de l'éducation nationale : « Les résultats du système éducatif français sont préoccupants[2]. Certes, avec une décevante vingt-et-unième place en lecture, une douloureuse vingt-cinquième position en mathématiques, et une piteuse vingt-sixième place en sciences. De quoi effectivement s’inquiéter, et au moins s’intéresser aux réformes éducatives en Finlande.
La calligraphie et l’écriture attachée ? Pour quoi faire ?
« Il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France sera sauvée ! », s’exclamait peu avant sa décapitation un célèbre révolutionnaire français face aux invasions étrangères de 1792. C’est peut-être (sûrement) ce qu’il faudrait en 2015 pour relever l’éducation nationale. De l’audace, pour sa part la Finlande n’en manque pas, ni de pragmatisme. Le pays scandinave vient d’annoncer en quelques mois deux réformes coup de poings, tout simplement inimaginables dans l’hexagone.
L’ancestrale écriture attachée, avec ses pleins et déliés délicatement calligraphiés sur cahiers blancs, c’est certainement joli (surtout pour les plus doués), et aussi à peu près inutile. Un constat brutal, mais logique : la Finlande glisse rapidement vers l’économie digitale, et se positionne, là encore, à la tête des nations adeptes du numérique et de l’e-learning. Posséder une belle écriture c’est bien, mais être capable de taper rapidement sur un clavier c’est mieux, du moins au point de vue économique. Selon Minna Harmanen, membre du conseil national de l’éducation finlandaise, c’est même « une importante compétence nationale », tout à fait en mesure d’infléchir sur le destin de la nation[3]. La mesure s’appliquera à la rentrée de 2016, mais ne relèguera pas totalement la calligraphie aux oubliettes. L’écriture détachée sera conservée, pour (vaguement) garder l’habitude d’écrire à la main, et aussi (surtout) car étant similaire aux caractères numériques[4]. Pragmatisme.
L’abus d’enseignement par disciplines est dangereux pour l’éducation
La seconde réforme est beaucoup plus spectaculaire. L’enseignement par discipline (histoire, maths, langues…) convenait bien au vingtième siècle, mais n’est plus en phase avec l’interdisciplinarité et le dynamisme prégnant au vingt-et-unième siècle, ni avec les nouveaux défis économiques. La solution est la même que pour la calligraphie, et tout aussi radicale : supprimer les disciplines. Ou tout au moins abattre les cloisons désespérément étanches entre les matières, et opérer une symbiose dynamique de l’éducation avec des « enseignements par thèmes ». Des thématiques réalistes, concrètes et utiles, comme par exemple « l’Union européenne », où se réuniront les connaissances auparavant dispersées issues de la géographie, de l’économie, de l’histoire ou des langues.
Un autre objectif de cette réforme est de modifier, efficacement (encore et toujours), la relation entre professeurs et élèves. Dépasser l’antique format figé de l’enseignement - un maître prolixe et un auditoire passif -, c’est le but affiché, en plaçant l’enseignant au centre de ses élèves, dans des classes à effectifs réduits. Avec à la clé un format participatif, et une pédagogie relationnelle, favorisant le dynamisme et la rétention d’attention. C’est en quelque sorte le principe originel de la fameuse classe inversée, incorrectement interprété par la suite comme une sorte de semi-délocalisation (absurde) de l’enseignement à la maison[5].
D’une certaine conception de l’efficacité
Le système éducatif finlandais s’appuie sur une conception ultra-rationnelle des enjeux économiques mondiaux actuels et surtout futurs. Pragmatisme, rationalité et aussi une bonne dose de numérique, c’est la clé de la réussite finlandaise. Marjo Kyllonen, l’un des responsables du développement des réformes pour la capitale Helsinki, ne dit pas autre chose :
« Nous avons réellement besoin de repenser notre éducation, et de faire évoluer la structure de notre système, dans l’optique de fournir à nos enfants les outils nécessaires pour aujourd’hui, et pour demain. Il y a encore des écoles qui enseignent dans la vieille méthode qui était certes efficace au début des années 1900, mais désormais les nécessités ne sont plus les mêmes ; nous avons besoin de quelque chose adapté au vingt-et-unième siècle[6] ».
Voilà qui est dit, et déjà en bonne partie acté. A plusieurs milliers de kilomètres de là, aussi bien au point de vue géographique que conceptuel, il y a le « modèle » français. Après une succession de réformes depuis trente ans pour parvenir à doter une partie des écoles françaises de matériel informatique, le fameux « Grand plan pour l’École de la République » semble annoncer un changement sérieux, à concrétiser dans les faits. Car le problème semble endémique au système éducatif français, frappé d’une lenteur léthargique terrible, et d’une crainte proverbiale à l’idée de toute réforme audacieuse. Ainsi, depuis la première annonce très vague du plan à la rentrée 2014, il a fallu attendre une demi-douzaine d’interventions officielles pour en savoir à chaque fois un peu plus sur le contenu réel. Entre temps, une laborieuse « concertation sur le numérique » a débuté durant l’automne, en attendant la réunion du Conseil supérieur des programmes « pour faire des propositions pour le développement du numérique dans les années qui viennent [7] ».
Les « orientations définitives » du plan devraient être annoncées en mai, avant d’espérer une mise en application concrète sur le terrain en 2016, tout en priant pour éviter un soulèvement massif des plus conservateurs. Une odyssée, voire une croisade. Rendez-vous au prochain classement du Programme PISA.