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Dans notre article précédent, nous avons vu qu’ un serious game est la mise en relation d’un jeu (vidéo) associé à une fonction utilitaire. Cette dernière s’écarte du seul marché de divertissement et peut être déclinée en trois catégories : la diffusion de messages (marketing, éducatif, informatif, subjectif), la mise en place d’un entraînement ou la collecte de données.
Cependant aborder l’objectif utilitaire d’un serious game est une affaire complexe et nécessite plusieurs niveaux d’accompagnement. Ces derniers sont abordés par Julian Alvarez lors de la conférence en pédagogie TICE 2012 dont vous pouvez voir l’intégralité dans la vidéo ci-dessous.

 Concevoir l’objet serious game mobilise plusieurs intelligences et des compétences collectives : lagameplay (réalisation, programmation), le game designer (scénario, niveaux de jeu), les  experts(connaissances à faire passer) et les ingénieurs pédagogiques multimédia (jonction entre les différents acteurs). À cela s’ajoute une batterie de tests visant à améliorer pour chaque itération la pertinence de l’objet sur le plan ergonomique ou sur la réception des messages.

Il s’agit également de prendre en compte le contexte de diffusion et d’utilisation de l’objet dans les écosytèmes auxquels il se destine. Par exemple : il est difficile d’intégrer un jeu sur le problème de la pédophilie au Vatican dans des écoles catholiques.

 Un serious game nécessite des accompagnements spécifiques. Dans l’enseignement universitaire, un chercheur nommé Franziska Zellweger Moseren distingue cinq.

Une analyse continue des besoins des usagers, des services testés et adaptables reflétant les compétences énoncées par le personnel de support, une concertation, des projets collaboratifs et des activités d’évaluation sont recommandés. Cette liste concerne les usagers (les apprenants) et les commanditaires ou les prescripteurs (les enseignants, les équipes pédagogiques). Cette liste peut être complétée selon Julian Alvarez.

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Il cite par exemple une étude faite sur Technocity et les problèmes soulevés quant à son accompagnement a posteriori. Julian Alvarez note un manque d’ accompagnement dans la conception du serious game.

Selon lui, on ne cloisonne pas la partie ludique de l’utilitaire. C’est maladroit dans le sens où si l’étudiant identifie ces parties utilitaires, il va passer outre et il ne va pas prendre une posture d’apprenant. Parmi les manques recensés, Julian Alavarez note également un problème d’accompagnement à l’utilisation (les élèves se débrouillant par eux-mêmes et les Sixièmes utilisent davantage le jeu que les Quatrièmes initialement visés). De même il soulève un problème d’accompagnement à la diffusion (le professeur-documentaliste ne sachant pas comment fonctionne le jeu ou les enseignants visés ne sachant pas qu’il avaient le jeu à leur disposition).

Ces accompagnements constituent trois grandes familles que l’on retrouve dans la plupart des serious games.

 Chacune de ces grandes familles peut-être subdivisée en plusieurs catégories. Par exemple la première famille associée à la réalisation du serious game comprend huit items : un accompagnement à la culture vidéo-ludique et artistique (culture du jeu, codes), un accompagnement à la gestion de projets (optimiser le processus de réalisation de son utilisation à sa diffusion, optimiser l’intelligence collective), un accompagnement à la conception, un accompagnement juridique (droits d’auteur, règles), financier et administratif, un accompagnement aux tests, pédagogique (les approches peuvent être différentes selon le type d’apprenant et la matière) et un accompagnement à la recherche-développement.

Dans ce dernier cas, on peut citer la création d’objets hybrides, mélangeant le tangible et le virtuel, tels que les tablettes ou  Le livre qui voulait être un jeu vidéo d’Etienne Mineur.

Dans un autre registre, les utilisateurs du jeu sérieux ne sont pas tous égaux et certains vont développer une compétence plus aiguisée (skillplay) voire préférer certains types de jeu (action ou réflexion) que d’autres. Par conséquent une médiation est nécessaire pour compenser cette hétérogénéité au niveau de l’appréhension du jeu.

De plus un accompagnement à la lecture et à l’interprétation du serious game est recommandé. Certains jeux peuvent être instrumentalisés, induire des messages biaisés ou cachés comme « Énergie Vive » qui promeut de façon déguisée l’utilisation du pétrole en dépit des énergies renouvelables selon Julian Alvarez. Un apprentissage est de ce fait nécessaire pour développer l’esprit critique.

Pour faciliter la diffusion d’un serious game, un accompagnement général au changement est également recommandé (l’ensemble du personnel d’un établissement scolaire peut être concerné par exemple). Il s’agit de freiner les a priori négatifs quant à l’utilisation de ces jeux et que ces derniers puissent être intégrés de façon cohérente avec l’ensemble du système.

En outre, un accompagnement marketing doit être opéré. Il s’agit, dès le début du projet, d’élaborer des stratégies de communication afin d’atteindre un public ciblé (les parents d’élèves ou les établissements par exemple). Ceci n’a pas bien fonctionné dans le cas de Technocity où seul le nom du producteur, l’Académie de Toulouse, était cité.

De plus des modèles économiques doivent être proposés pour assurer la rentabilité des serious games (coûtant parfois très chers) et leur diffusion. De même, pour déployer un serious game, un accompagnement politique voire stratégique est mis en œuvre.

Enfin un retour d’expériences est nécessaire pour étudier l’impact d’un serious game, pour éviter les écueils et optimiser le développement du jeu.

Les cinq accompagnements de Moser sont inclus dans ces quinze items.
Ces accompagnements recensés ne sont pas inédits et convoquent des approches déjà existantes pour la réalisation d’autres objets numériques (systèmes experts, simulations, site internet, jeux vidéo…).

Cette liste n’est pas exhaustive et ouvre de nouvelles perspectives. Ces indicateurs pourraient évaluer le gain en efficacité éducative que ce soit à destination d’apprenants de patients que du grand public.

Dans la mise en œuvre d’un serious game, il faut toujours chercher la cohérence. Selon Julian Alvarez, une rupture entre les infographies utilisées et la mécanique de jeu par rapport aux orientations pédagogiques, au contexte visé ou le public ciblé peut être un exemple de contre-indication. La rupture peut s’opérer à différents niveaux dans le rythme du jeu ou au niveau de l’immersion (le Flow). C’est l’état où l’étudiant se concentre sur sa tâche mais doit, au bout d’un moment, prendre du recul pour aboutir à la compréhension (soit prendre une position d’apprenant).

Par ailleurs, l’accompagnement au changement est à mettre en relation avec la représentation qu’on se fait du jeu vidéo. C’est un frein à soulever. Dans un cadre idéal, Julian Alvarez propose une pédagogie active (soit une formation des enseignants en petits groupes), une utilisation de ces différents jeux puis un retour oral sur les apports ressentis (les messages ou les fonctions utilitaires). L’objectif final consiste à susciter une envie, une possible mise en œuvre du jeu en classe.

Des personnes, ayant déjà une culture vidéo-ludique, peuvent être sollicitées pour sensibiliser d’autres à dépasser le simple cadre du divertissement et à utiliser le jeu dans un contexte d’enseignement.
Dixdoncdocs

Nous sommes un collectif de dix futurs professeurs documentalistes (Iufm Aquitaine) en veille permanente sur des sujets tels que les serious games, les réseaux sociaux, les usages pédagogiques...