C’est vrai aussi que les énormes bourdes qu’ils profèrent ont le mérite d’être rigolotes, de faire le buzz, comme on dit, de passer donc aisément à la postérité via les réseaux sociaux, contribuant ainsi à rendre ces détestables réactionnaires encore plus ridicules qu’ils ne l’étaient. C’est vrai encore que sur le sujet du numérique comme sur celui, plus étroit, du numérique éducatif, il est possible d’observer aujourd’hui d’étranges retournements de vestes… Comme quoi il reste un peu d’espoir.
La question d’enseigner avec le numérique ne se pose donc plus, car la question d’enseigner ne se pose pas.
Notez qu’il n’est pas question pour l’école, à mon avis, d’intégrer le numérique, comme certains discours ou écrits officiels nous le serinent. Je n’aime pas ce mot d’intégration qui ne correspond pas à ce qui doit se passer. Non, il est juste question de mettre l’école en adéquation avec son temps et la société telle qu’elle est. Et donc l’enseignement et les manières d’enseigner. Et donc les contenus et les programmes.
Je reviens sur ce point des programmes un peu plus loin dans ce billet car il est crucial, fondamental.
Si la question d’enseigner avec le numérique ne se pose plus, celle d’enseigner le numérique continue de se poser et nombreux sont ceux qui apportent sur le sujet des réponses différentes. Que convient-il de faire exactement ?
Certains, comme l’EPI et l’Académie des sciences et, à leur traîne, sans réfléchir une seconde, le Conseil national du numérique et certaines associations du libre, n’hésitent pas à proposer la création d’une nouvelle discipline scientifique informatique qui serait enseignée du premier degré à l’Université. J’ai déjà dit combien cette démarche, en tentant de cloisonner mieux encore les champs disciplinaires quand tout aujourd’hui, avec le numérique justement, tend à les rapprocher, me semblait ressortir d’un néo-obscurantisme moderne. Il convient donc de la combattre. Ce ne sera pas trop compliqué tant elle est navrante.
J’ai, pour ma part, longtemps pensé — je crois même l’avoir écrit sur ce blogue — que l’urgence commandait de proposer, à côté des disciplines traditionnelles, un nouvel enseignement du numérique. J’ai même imaginé, je crois bien, que cet enseignement soit pris en charge, dans leur emploi du temps, par des professeurs volontaires et compétents, à commencer par les professeurs documentalistes dont nombreux sont déjà formés à cet effet. Je crois avoir lu que certains m’appuyaient dans cette démarche. J’ai même proposé de réfléchir, l’été dernier, pour appuyer le travail d’OVEI, à un référentiel complet sur ce sujet de l’enseignement du numérique, intégrant l’éducation aux médias, l’éducation informationnelle, les littératies numériques et médiatiques, des éléments d’algorithmique, de programmation, des éléments juridiques, philosophiques, civiques, économiques… Et puis j’ai réfléchi.
Et j’ai changé d’avis.
Si l’école doit réussir sa mutation et se mettre à l’heure numérique, il ne faut pas créer de nouvelle discipline. C’est inutile. En revanche, chaque discipline existante doit s’éclairer, s’enrichir, s’augmenter dirait-on aujourd’hui, de la dimension du numérique. C’est devenu nécessaire.
C’est tout l’enjeu de cette mission si importante de la refondation que Vincent Peillon a confiée à Alain Boissinot, le 10 octobre dernier. Ce dernier, nommé donc à la présidence du Conseil national des programmes, a déjà commencé, avec ses collègues et les experts qu’il a choisis, le travail de réécriture des programmes de l’école du socle, de la maternelle au collège.
C’est là un chantier fondamental.
J’ai pu rencontrer Alain Boissinot récemment. J’ai pu lui poser quelques questions et tout ça fait l’objet d’un reportage vidéo qui sera projeté bientôt sur l’événement des « Boussoles du numérique » à Cenon, près de Bordeaux, le 12 décembre prochain.
Attention, aguichage : vous verrez et lirez tout cela bientôt ! J’espère bien trouver le temps de transcrire ses propos, soyez patients. Cela fera l’objet d’un nouveau billet ici et sur le site Éducavox dans les premiers jours de décembre.
Dans l’attente et sans déflorer les propos du président du CSP, ce dernier, qui présentera son plan d’action au Conseil supérieur de l’éducation le 6 décembre prochain, semble décidé à construire les nouveaux programmes de l’école du socle à l’éclairage de la dimension paradigmatique du numérique en toute conscience des conséquences sur la formation des maîtres, les postures, les modalités d’enseignement, les espaces, les temps et surtout l’évaluation.
Pas question pour lui donc d’une nouvelle discipline, ce sont bien les disciplines existantes qui doivent partager la prise en compte des littératies numériques et médiatiques.
Un fort regret pour ma part : les programmes du lycée ne seront modifiés que plus tard. Quand ? Sauf accident tectonique, notre vieux baccalauréat inadapté est donc encore là pour quelques années encore.
C’est bien malheureux.
Michel Guillou @michelguillou http://www.neottia.net/